Cela a été une semaine fantastique, qui a vu le premier signe clair de l’effondrement de l’Union européenne et le président turc Erdogan présentant ses excuses à la Russie, pour l’attentat contre le chasseur russe SU-24 au-dessus de la Syrie il y a sept mois. Alors que ce dernier événement a été largement éclipsé par le Brexit, il pourrait être le signe de quelque chose d’encore plus dramatique : l’effondrement en cours de la Turquie.
Cela ressemble-t-il à une hyperbole ?
Regardons de plus près.
La présidence Erdogan n’aura été rien moins qu’un cataclysme pour la Turquie, entraînant une tempête parfaite de crises, chacune très sérieuse :
1) Crise en Syrie : la politique turque de soutien à Daesh pour renverser Assad a échoué. Misérablement. Non seulement Assad est toujours au pouvoir, mais le dernier attentat en Turquie semble indiquer que Daesh se tourne maintenant contre la Turquie (en supposant que l’explication officielle soit vraie, ce qui pourrait ne pas être le cas, comme nous le verrons ci-dessous). L’ensemble de la politique syrienne d’Erdogan est maintenant en ruines.
2) Crise avec l’UE : la dernière chose que les Britanniques ont faite avant le Brexit, a été de dire à la Turquie qu’elle pourrait rejoindre l’UE dans 3 000 ans. D’autres États membres de l’UE ne sont pas aussi directs, mais tout le monde sait que c’est vrai. En outre, la grande alliance amicale entre Erdogan et Merkel a complètement foiré.
3) Crise avec les Arméniens : lorsque le Parlement allemand a reconnu le génocide des Arméniens et que, tout de suite après, le pape a fait de même, il était sacrément clair que les puissances occidentales qui comptent envoyaient à la Turquie un message simple : un doigt d’honneur. Love Story terminée, allez-vous faire foutre !
4) Crise avec les États-Unis : les forces spéciales américaines ont maintenant été repérées en Irak arborant des insignes kurdes. Bien que mineur, cet incident est révélateur et a grandement irrité les Turcs. Traduction : l’Empire a besoin des Kurdes en Irak et en Syrie, la Turquie prend la deuxième place pour l’instant.
5) Crise avec l’Iran : en soutenant Daech, en essayant de saboter le « pipeline islamique » et de renverser Assad, la Turquie s’est complètement aliénée Téhéran.
6) Crise avec les Kurdes : en élevant brutalement le niveau de la violence anti-kurde, les Turcs ont essentiellement relancé une guerre civile à grande échelle et les Kurdes ne montrent aucun signe d’affaiblissement. En fait, ils sont actuellement plus puissants que jamais, grâce à l’invasion américaine de l’Irak.
7) Crise avec l’OTAN : après l’attaque contre l’avion russe SU-24, l’OTAN a clairement indiqué à Erdogan qu’il n’avait qu’à se débrouiller tout seul et que l’OTAN ne participerait pas à une guerre déclenchée par la Turquie.
8) Crise avec la Russie : l’attaque contre le SU-24 n’a pas abouti à la réponse militaire russe prévue, mais a abouti à sept mois de sanctions économiques paralysantes par la Russie et une énorme perte de prestige pour la Turquie. Un peu plus à ce sujet plus loin.
Donc, tout cela peut être résumé en disant que la Turquie, sous Erdogan, a montré un niveau d’incompétence, d’arrogance et d’illusion vraiment digne de l’Ukraine.
Et c’est dans ce contexte vraiment dramatique, qu’Erdogan a dû écrire sa lettre d’excuses.
La première chose qui doit être dite à ce sujet, est que Erdogan a pris un risque politique majeur : après avoir passé des mois à gesticuler et trépigner, déclarant urbi et orbi que la Turquie ne ferait jamais – jamais – d’excuses tout simplement parce qu’elle avait raison, ce virage soudain met Erdogan dans une position très difficile. D’où les premières rumeurs disant que la lettre déclarait qu’il était désolé mais ne s’était pas excusé ou, deuxième variante, que les excuses était seulement destinées à la famille du pilote russe assassiné, mais pas à la Russie. Cela n’a pas duré trop longtemps, et très rapidement les Turcs déboussolés ont renoncé à essayer de donner bonne figure à ces excuses. C’était exactement ce que tout le monde avait compris : de vraies excuses complètes et humiliantes.
Ensuite il y eut une déclaration du ministre turc des Affaires étrangères, niant catégoriquement qu’une compensation serait payée. Cela aussi a duré quelques heures, jusqu’à ce qu’il ait été admis que non seulement la Turquie allait payer, mais qu’elle devrait payer tout ce qui était demandé.
Enfin, il y a une possibilité très réelle que l’attentat terroriste à l’aéroport d’Ankara soit un message très direct envoyé à Erdogan : « Si vous essayez d’apaiser les Russes, nous allons déchaîner l’enfer sur vous. »