Erdogan isolé
Depuis le début de la guerre contre la Syrie en 2011, Recep Tayyip Erdogan, en tant que Premier ministre (2003-2014) et président de la République de Turquie (depuis 2014) a engagé son pays, aux côtés, entre autres, des États-Unis, de l’Arabie saoudite et d’Israël, dans une guerre, par l’intermédiaire de groupes terroristes qu’il soutient, abrite et arme. En tant que membre de l’OTAN, la Turquie a offert son plein soutien à la coalition occidentale, sous l’autorité des États-Unis, dans la tentative de démembrement du Levant, conformément à l’application du plan israélien Oded Yinon [1].
Le point culminant du rôle de provocateur joué par la Turquie dans ce contexte a certainement été l’épisode où un avion de chasse turc a abattu un bombardier Su-24 russe dans l’espace aérien syrien le 24 novembre 2015. Erdogan, qui n’a certainement pas commis cet acte de guerre sans l’aval des Américains, s’est attiré les foudres du Kremlin qui, malgré son sang-froid, a déclaré avoir la ferme intention de faire payer tôt ou tard cet acte de trahison d’une rare bassesse.
Erdogan, frappé par la folie des grandeurs – encourageant les velléités expansionnistes turques (au détriment de la Syrie) teinté d’un néo pan-turquisme (racialiste et non culturaliste) de type kémaliste contre les minorités non-turques –, s’est aussi aliéné ses maîtres étasuniens qui voient d’un très mauvais œil les libertés que prend le dirigeant turc qui a trop tiré sur la laisse en allant bien au-delà de ses prérogatives de vassal.
Il est devenu pour les Américains un allié gênant, car de leur point de vue, la Turquie est au Moyen-Orient ce que l’Allemagne est à l’Europe, à savoir une puissance régionale qui n’est tolérée qu’à condition qu’elle applique l’agenda politique des États-Unis en toute soumission.
Depuis, Erdogan, qui s’est retrouvé isolé et en difficulté sur le plan de la politique intérieure, tente une réconciliation avec la Russie. Il a déclaré, jouant la carte de l’innocence, « ne pas comprendre comment les relations entre les deux États avaient été mises à l’autel du sacrifice en raison d’une erreur commise par le pilote » ; le chef de la diplomatie turque, Mevlut Savusoglu, a quant à lui proposé de mettre en place un groupe de travail visant à normaliser les relations entre la Russie et la Turquie, ce à quoi à répondu le porte-parole de la présidence russe, Dimitri Peskov, que l’initiative d’Ankara n’allait pas résoudre le problème, tout dépendant des autorités turques dit-il. Le 31 mai dernier, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergeï Lavrov, a été catégorique : « La Russie n’est pas disposée à faire le premier pas » [2]. Il est hors de question pour les dirigeants russes, et en particulier pour Vladimir Poutine, de faire « à nouveau » confiance à un traître, même si les relations russo-turques se réchauffent à l’avenir.
Erdogan a fini par présenter ses excuses à Moscou [3] et a dans la foulée normalisé officiellement ses rapports avec Israël. Pourquoi ?
Le président Turc, frappé par l’hybris, s’est progressivement, depuis 2011, aliéné ses voisins et ses alliés. Cette politique suicidaire ayant isolé la Turquie, la seule issue qui s’offre à Erdogan est de renouer avec le géant militaire russe qui se trouve être aussi un partenaire économique important pour la Turquie.
Les négociations turco-israéliennes sur leurs relations – suspendues depuis 2010 suite à l’affaire de la flottille allant à Gaza – comportaient visiblement une condition : la levée du blocus israélien sur Gaza. Ceci afin de redorer le blason d’Erdogan aux yeux de sa population et d’une partie des masses arabes, après son soutien ouvert aux groupes terroristes de Syrie et à son bellicisme hystérique.
Le terrorisme comme outil politique
En un an, la Turquie a été frappée cinq fois par des actes terroristes. Comme j’ai déjà eu l’occasion de l’écrire, un certain nombre d’experts ont pointé du doigt la probable implication des Services secrets turcs dans ces attentats qu’Erdogan impute systématiquement au PKK et autres organisations d’extrême gauche. Le journal français Le Point, a parlé, dans un article du 14 octobre 2015, d’une « connivence du pouvoir » avec les terroristes, et rapportait qu’il y a des « doutes [existant quant aux compétences] des services de renseignement turcs, déjà vivement critiqués pour ne pas avoir pu empêcher la meurtrière attaque d’Ankara » [4].
L’on peut en effet se questionner quant à l’éventuelle implication d’un État comme la Turquie qui soutient activement des terroristes qu’elle abrite, soigne et arme. Le terrorisme est un formidable outil de neutralisation de la population lorsque celle-ci se tourne contre ses dirigeants ; il y eut d’ailleurs, en 2012 une manifestation de la population turque qui s’opposait vivement à une guerre contre la Syrie qu’Erdogan s’apprêtait à déclencher, prétextant des frappes de l’Armée syrienne sur le sol turc – une manifestation qui s’est transformée en rassemblement contre le parti au pouvoir, l’AKP [5].
Un spécialiste de la question terroriste et ancien instructeur au centre des forces dirigeantes de l’Armée allemande, Christoph Hörstel [6], qui avait commenté les attentats du 13 novembre 2015 à Paris, affirma que : « nous assistons en France à un management de la terreur consistant à fabriquer ou laisser faire des attentats pour distraire la population et surtout détourner sa colère ». Cet expert affirme que tous les gouvernements membres de l’OTAN mentent, car les auteurs des attentats seraient, d’après lui, dans 95% des cas très bien connus des services de sécurité.