Mathieu Bock-Côté voit dans les viols de Cologne la face cachée de la légende du « vivre-ensemble diversitaire ». Il s’étonne du traitement médiatique tardif de ces agressions massives.
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie et chargé de cours aux HEC à Montréal. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (VLB éditeur, 2013), de Fin de cycle : aux origines du malaise politique québécois (Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille : mémoire, identité et multiculturalisme dans le Québec post-référendaire (Boréal, 2007). Mathieu Bock-Côté est aussi chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada.
L’information circulait depuis quelques jours sur Internet sans qu’on ne parvienne vraiment à la valider : y avait-il eu vraiment une vague massive d’agressions sexuelles sur les femmes à Cologne, la nuit de la Saint-Sylvestre, par des migrants ou des bandes d’origine étrangère ? Il a fallu que la rumeur enfle suffisamment pour que les autorités reconnaissent les événements et que le système médiatique consente à rendre compte du phénomène, dont on ne cesse, depuis, de constater l’ampleur, tellement les témoignages accablants se multiplient à la grandeur de l’Allemagne.
On peut voir là une preuve de plus de la tendance du complexe médiatico-politique à filtrer les mauvaises nouvelles idéologiques qui peuvent, d’une manière ou d’une autre, compromettre la légende du vivre-ensemble diversitaire. Pour éviter que le peuple ne développe de mauvais sentiments à son endroit, on traitera les mauvaises nouvelles le concernant en les désamorçant le plus possible et en multipliant les mises en garde contre les amalgames. On les réduira à des faits divers, sans signification politique, et on ne commentera les événements qu’avec la plus grande prudence.
On est loin du traitement de la photo déchirante du petit Aylan Kurdi mort sur la plage qui avait suscité une émotion immense dans les pays occidentaux, d’autant plus que les médias se livrèrent alors sans gêne à une séance de culpabilisation massive, comme si ce petit être au destin si atroce représentait à lui seul l’ensemble de la crise migratoire. À ce moment, l’amalgame était permis : tous les migrants étaient Aylan Kurdi. Chaque segment de la société devait céder à l’impératif humanitaire, ce qui n’est pas sans rappeler la formule d’Elie Halévy, qui voyait dans « l’organisation de l’enthousiasme » une marque distinctive du totalitarisme. Pour peu qu’on y réfléchisse, la nouvelle des agressions de Cologne représente l’envers absolu du grand récit de l’ouverture à l’autre, où ce dernier est chanté à la manière d’un rédempteur. On somme les sociétés occidentales d’embrasser une diversité qui pourrait les régénérer de l’extérieur, d’autant qu’elle serait toujours une richesse. On voit désormais qu’elle peut aussi prendre le visage d’une barbarie agressive, où des bandes organisées entendent imposer leur présence sur le territoire, avec la plus archaïque et la plus primitive des techniques de guerre, celle de la prise des femmes, à qui on indique qu’un nouveau pouvoir s’installe et qu’il s’exercera d’abord sur elles. [...]
On se demande ce qu’il faudra encore pour que les sociétés occidentales constatent à quel point l’utopie multiculturaliste pousse au désastre.