On a vu désormais l’ensemble du débat. Il était intitulé « L’identité française vaut-elle un débat ? ». Il y aurait bien des choses déjà à dire là-dessus, mais les auteurs ont rarement leur mot à dire sur l’emballage que trouve leur éditeur, alors des débattants pris en charge par un média YouTube… Le format du débat, abrité et modéré par Aude Lancelin, s’appelle L’Explication… Programme ambitieux, derrière la feinte simplicité, on y reviendra.
Après le discrédit encouru à la suite du précédent débat de Bégaudeau avec un « homme de droite », en l’occurrence Pierre-Yves Rougeyron, il s’agissait de se refaire la cerise avec un débat un peu plus équilibré. Pour rappel, le PYR avait déclaré forfait, mais était venu quand même. Il s’est cru à une discussion détendue entre potes après match. Las, F. Bégaudeau, au lieu d’être beau joueur, l’a fini à coup de talon sur le trottoir, sous les gloussements de l’animatrice. Vilain spectacle… On se dit donc qu’avec Laurent Ozon, ça risque d’être mieux, plus intéressant, les chances étant mieux réparties ici a priori.
Laurent Ozon, intellectuel écologiste et localiste qui n’a pas dédaigné la politique (passage éclair en 2011 au bureau politique du FN), même s’il s’intéresse plus, depuis longtemps, à l’infra-politique, celle qui est au plus près du réel, et la moins sujette aux faux-semblants des postures (Maison commune, Vivre et travailler en Vendômois…), auteur de nombreux articles dont très récemment ceux donnés pour Géopolitique profonde. Il est de ceux qui savent que l’adhésion idéologique est le pain des petits esprits… ou des demi-habiles. Et qui, s’ils pensent quelque chose, savent pourquoi et comment. Ses fondations théoriques sont du côté de la biologie, de l’écologie et de l’anthropologie philosophique. Si Laurent Ozon a pu être qualifié lui-même d’identitaire, il est un de ceux qui ont le mieux montré les failles de cette posture et les apories où a mené ce courant en France (voir le « Glissement d’une partie de la nébuleuse identitaire dans le camp otano-occidental »). Bref, l’antithèse du bourgeois idéaliste qui ne sait pas d’où il parle.
F. Bégaudeau, quant à lui, ex-prof de lycée et désormais littérateur de son état, a pu échapper à la première condition au moyen de la deuxième. Il a même utilisé l’expérience de la première pour entrer dans la deuxième (la carrière littéraire). Son premier roman, Entre les murs, est la sombre – mais lumineuse – histoire d’un amoureux de la langue (philologue ?) qui essaie de partager sa passion avec des analphabètes venus du monde entier (2006). Rapidement repéré, promu, elle a même été adapté à l’écran, fêté à Cannes. CQFD. Par ailleurs, François Bégaudeau est tout sauf un idiot (l’écouter par exemple sur l’être bourgeois et la relative vanité des questions institutionnelles ou encore, pourquoi pas, lire Histoire de ta bêtise). En tout cas, Bégaudeau a pris goût à cette promotion ; il aime son miroir et la mise en scène de soi.
Il ne nous en voudra donc pas qu’on joue l’arbitre des élégances.
Depuis quelques années (au moins depuis Notre joie, 2021), un des dadas de F. Bégaudeau est : les identitaires ont un problème avec le réel (on cite Bégaudeau à l’oral, on ne fait pas nous-mêmes cet anglicisme grossier). Ça a été la matière des premières passes de ce débat où l’homme de gauche (il assume parfaitement cette catégorie d’un autre âge) a montré une arrogance certaine dans le déni de ce qu’il est convenu d’appeler l’insécurité culturelle que crée entre autres facteurs l’immigration. Mais pas seulement : déni aussi de leur rapport avec les stratégies de domination bien évidentes, qui étaient le sujet du socialisme dans sa glorieuse naissance.
F. Bégaudeau a montré qu’un bon rhéteur, c’est d’abord avoir la ferme conviction d’avoir la posture d’un bon rhéteur (ethos).
Même si cela va jusqu’à lui donner l’allure du gosse mal élevé qui lève les yeux au ciel. Plus cultivé et câblé, le François, mais à peine mieux élevé qu’un moutard de droite. Toute la première heure fut dominée par le persiflage, la fausse insolence, la négligence affectée que donne la certitude, non de dominer le sujet, mais d’être du côté du manche sur toute la scène publique. Allons plus loin... ce sont les tics mêmes de l’aristocratie quand elle n’a plus que ses manières à exhiber, mais plus aucun titre sérieux à exercer la domination.
Face à la panoplie entière des artifices rhétoriques – mauvaise foi, interruption bidon hors de propos, requête de définition, attaques ad hominem, procès d’intention… – Ozon, à deux contre un et tout en conservant son calme, creusait son sillon.
F. Bégaudeau a montré qu’un bon rhéteur ne rechigne pas devant des méthodes plus directes (actio).
Et progressivement, le ton monte, la figuration change ; le débattant de gauche et l’animatrice de gauche se sont mués en commissaires politiques. Ils ont compris qu’ils avaient affaire à une chaire moins tendre, au cuir plus dur et plus épais que Pierre-Yves Rougeyron. Habituellement, l’ex-prof de français joue sur du velours car il est habitué à des contradicteurs sous-alimentés sur les plans théorique et épistémologique (on se souvient de François Bousquet qui en avait fait les frais), ce n’est pas le cas ici. Alors, après une bonne heure et quart de badinage ricanant, ce petit ton insupportable d’entre soi Canal +, ils sont passés à des méthodes moins raffinées, aux interruptions et aux menaces : c’est du fascisme ! Aude Lancelin sort ses fiches d’une rare idiotie, croyant enfoncer le clou.
Quand Ozon énonce un paradoxe un peu subtil (vers 1h18) : « J’aime les cultures ; j’apprécie qu’il y ait une certaine marge d’incommunicabilité entre les peuples », alors, soupirs d’agacement et regards inquiets de la truffe. La chienne de Pavlov pense très fort : « Dis donc, François, ce serait pas un peu fachiste ça, raciste même ! » Même hors champ, sa présence, sa pesanteur, son défaut de grâce (ou de légèreté), se fait entendre. Elle respire fort, la garce… La blancheur, et l’allure moins vulgaire mises à part, notre hermaphrodite n’était plus si loin de Jean Messiah face à Youssef Hindi chez Morillot.
Au passage, Bégaudeau souscrit (sur le ton de la plaisanterie ?) à la remigration mais aussi au baratin climatique et à sa fonction de justification de l’amplification à prévoir des mouvements migratoires. Mais avant cela, il aura fallu faire usage du bon gros pathétique de situation individuelle pour faire pleurer Margot ou Mamadou : « À partir de quand Mohammed doit-il s’attendre à être remigré ? »
F. Bégaudeau a montré qu’un bon rhéteur, c’est celui qui maîtrise le plateau, a la connivence du public et de la modératrice du débat (decorum).
Arrogance qui s’est manifestée encore dans une manière de ne pas prendre au sérieux les questions, de jouer la connivence avec son environnement immédiat, l’animatrice.
Ensuite, si on prend un peu de recul et qu’on considère la configuration, le jeu de rôle, indépendamment de l’accident ou du sujet. Un débattant est chez lui, l’homme, l’intello gauchiste Bégaudeau. La rencontre est arbitrée par une journaliste un peu trop sûre d’elle pour la qualité de ses interventions. Mais les rôles ne sont pas censés se confondre. Or l’homme est descendu à son niveau et à force de psittacisme il s’est même lagasnerisé. Une illustration pour Schopenhauer et matière à satire pour Félix Niesche. Pénible mais juste image de l’antifa, Bégaudeau, dans ce débat, a eu besoin du renfort de la police, la truffe blonde avec ses gros sabots, pour harceler son opposant.
Elle, grue dans l’âme, n’est là que pour soutenir le mâle dominant proclamé par le decorum, empêcher Ozon de terminer son raisonnement et donc d’achever l’explication. Parlant d’explication, reprenons un poncif du moment, de quoi L’Explication est-elle le nom ? Pas du logos en tout cas. Si cette série de débats s’appelle L’Explication, c’est parce qu’ils nous livrent in vivo la raison de la fuite de la classe populaire blanche et des classes moyennes, diplômées ou pas, de la plantation gauchiste.
Enfin, y a-t-il eu un débat ?
À peine. Les débattants ont chacun creusé leur tunnel en parallèle. Bégaudeau de manière distraite, à coup de saillies, de pointes et de pirouettes. Ozon, de manière patiente, attentive et sous le harcèlement continu des mouches du coche, Difficile de faire advenir une concaténation d’idées dans ces conditions. Ozon a semblé par moment tenir pour acquis ce qui évidemment ne l’était pas pour ses contradicteurs (de mauvaise foi ou pas d’ailleurs). Alors qu’a-t-il manqué à ce débat sur le fond ? Sortir de la fausse alternative « question sociale vs question culturelle », comme si le culturel était parfaitement soluble dans l’économique, et comme si le culturel n’était pas immédiatement social. Et pour cela, il fallait accepter d’entrer dans les prémisses du matérialisme dialectique et les retourner contre la police politique de l’antiracisme institutionnel. Alain Soral, malheureusement exilé en Suisse, aurait été l’homme de la situation. Ou Francis Cousin, pour peu qu’il laissât au vestiaire son autisme terminologique. Ou Félix Niesche qui connaît aussi bien Marx que le cadavre du gauchisme qu’il a laissé pourrir il y a cinq lustres et dont il observe la décomposition encore trop lente depuis...
Résumé : Bégaudeau reste un bourgeois cultivé de gauche. Il sacrifie l’honnêteté intellectuelle et la défense des humbles au confort de rester dans le camp du bien. Sa manie de débattre avec des gens de « droite » est un leurre, l’intelligence de nos problèmes, de notre société, de notre époque n’y progresse pas d’un iota. Ce n’est pas fait pour ça. C’est un simple aliment à la satisfaction de sa vanité d’auteur.