En signant un accord — au demeurant illégal en droit international — avec la Turquie pour ralentir l’afflux de migrants, les dirigeants de l’Union européenne se sont engagés un peu plus dans un pacte avec le diable. Une grande partie des 3 milliards d’euros annuels alloués à Ankara servira à financer le soutien aux jihadistes et, par conséquent, à augmenter le nombre de migrants fuyant la guerre. Surtout, en abrogeant dans les prochains mois les visas avec la Turquie, les Européens instituent la libre-circulation entre les camps d’Al-Qaïda en Turquie et Bruxelles. En écrasant les peuples irakien et syrien sous l’oppression des jihadistes qu’ils financent indirectement et en abandonnant le peuple turc à la dictature du président Erdoğan, ils préparent les bases d’un très vaste affrontement dont ils seront les victimes.
Le Conseil européen des 17 et 18 mars 2016 a adopté un plan visant à résoudre le problème posé par l’afflux massif de migrants en provenance de Turquie [1]. Les 28 chefs d’État et de gouvernement se sont soumis à toutes les demandes d’Ankara.
Nous avions déjà analysé la manière dont les États-Unis entendaient utiliser les événements du Proche-Orient pour affaiblir l’Union européenne [2]. Au début de l’actuelle crise des « réfugiés », nous avons été les premiers à observer à la fois que cet événement avait été délibérément provoqué et les problèmes insolubles qu’il allait poser [3]. Malheureusement, toutes nos analyses ont été vérifiées et nos positions ont été, depuis, largement adoptées par nos détracteurs d’alors.
Allant plus loin, nous voulons étudier la manière dont la Turquie s’est emparée du jeu et l’aveuglement de l’Union européenne qui persiste à avoir un coup de retard.
Le jeu de Recep Tayyip Erdoğan
Le président Erdoğan n’est pas un homme politique comme les autres. Et il ne semble pas que les Européens, ni les peuples, ni leurs dirigeants, en aient pris conscience.
• Premièrement, il est issu de la Millî Görüş, un mouvement islamique panturquiste lié aux Frères musulmans d’Égypte et favorable au rétablissement du Califat [4]. Selon lui — comme d’ailleurs selon ses alliés du Milliyetçi Hareket Partisi (MHP) —, les Turcs sont les descendants des Huns d’Attila, eux-mêmes enfants du loup des steppes d’Asie centrale, dont ils partageaient l’endurance et l’insensibilité. Ils forment une race supérieure appelée à gouverner le monde. Leur âme est l’islam. [...]
• Deuxièmement, le président Erdoğan, qui n’est soutenu que par un tiers de sa population, gouverne seul son pays par la contrainte. Il est impossible de savoir précisément ce que pense le peuple turc, puisque la publication de toute information mettant en cause la légitimité du président Erdoğan est désormais considérée comme une atteinte à la sécurité de l’État et conduit immédiatement en prison. [...]
• Troisièmement, le président Erdoğan utilise les pouvoirs qu’il s’est anticonstitutionnellement octroyés pour transformer l’État turc en parrain du jihadisme international. En décembre 2015, la police et la Justice turques avaient pu établir les liens personnels de M. Erdoğan et de son fils Bilal avec Yasin al-Qadi, le banquier global d’Al-Qaïda. Il a donc limogé les policiers et les magistrats qui avaient osé « porter atteinte aux intérêts de la Turquie » (sic), tandis que Yasin al-Qadi et l’État intentaient un procès au quotidien de gauche BirGün pour avoir reproduit mon éditorial, « Al-Qaida, éternel supplétif de l’Otan ».
En février dernier, la Fédération de Russie déposait un rapport de Renseignement au Conseil de sécurité de l’Onu attestant du soutien de l’État turc au jihadisme international, en violation de nombreuses résolutions [5]. J’ai publié une étude précise sur ces accusations, immédiatement censurée en Turquie [6].
La réponse de l’Union européenne
[...] L’Union s’est engagée à :
verser 3 milliards d’euros annuels à la Turquie pour l’aider à faire face à ses obligations, mais sans mécanisme de vérification de l’usage de ces fonds ;
mettre fin aux visas requis aux Turcs pour entrer dans l’Union [7] — ce n’est plus qu’une question de quelques mois, voire de semaines ;
accélérer les négociations d’adhésion de la Turquie à l’Union — ce sera par contre beaucoup plus long et aléatoire.
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Extrait de l’émission À la une diffusée sur la télévision iranienne Sahar TV le 19 mars 2016, avec pour invité Thierry Meyssan :