Alors que Joe Biden fait le buzz dans les médias avec ses trous de mémoire à répétition, force est de constater qu’il fait preuve d’une vigueur intellectuelle intacte quand il s’agit de tirer profit des difficultés européennes actuelles. Qu’il s’agisse de souveraineté énergétique — avec le gaz — ou numérique — l’accord encadrant les transferts de données entre l’UE et les Etats-Unis, les abandons répétés de souveraineté de l’Europe pénalisent notre avenir.
Dans un vieux réflexe hérité du siècle dernier, l’Europe, paniquée par la fermeture du robinet de gaz russe qu’elle s’est elle-même infligée, se tourne vers son allié d’outre-Atlantique pour qu’il lui vienne en aide. La production de gaz de schiste américain n’est pas vraiment la plus écolo qui soit ? Nous allons devoir construire des méthaniers par centaines ? Des terminaux portuaires pour regazéifier pour partie le GNL reçu ? Qu’à cela ne tienne ! Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis, c’est bien connu.
Cela ne résout pas l’approvisionnement pour cet hiver ? Ce n’est pas grave, nous allons nous approvisionner ailleurs, en acheter à l’Azerbaïdjan qui a repris ses attaques contre l’Arménie, voire acheter du gaz russe beaucoup plus cher à d’autres pays qui lui permettent ainsi de détourner l’embargo. Il faut bien pallier des années d’erreurs majeures en matière de production et de diversification énergétiques, et le temps presse. [...]
« Je te vends mon gaz de schiste, tu me donnes tes données »
Parallèlement, et à la surprise générale, ce même 25 mars 2022, la Commission européenne et la Maison Blanche annoncent un accord de principe pour encadrer le transfert de données transatlantiques, alors que la situation est bloquée depuis 2020, avec l’annulation du précédent cadre légal, le Privacy Shield, jugé non conforme au RGPD par la Cour de justice européenne (CJUE). Sur le fond de ce nouvel accord, rien, ou si peu.
Quel rapport avec la crise énergétique, avec la guerre en Ukraine ? De prime abord, aucun. A y regarder de près cependant, et j’avais déjà ironisé en temps sur le sujet, cela ressemble fichtrement à un « je te vends mon gaz de schiste (cher) », « tu me donnes tes données », une négociation dont il n’échappera à personne qu’elle ne répond pas à l’exigence d’équilibre habituellement recherchée entre deux parties contractantes. Les Etats-Unis n’ayant toujours pas reconnu le RGPD, c’est un peu comme si nous acceptions d’alimenter l’Amérique d’un « Nordstream » de nos données personnelles, ces mêmes données qualifiées d’Or noir du XXIème siècle. L’Europe aurait-elle capitulé en rase campagne ?
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L’abandon de notre souveraineté numérique est finalement tristement comparable à celui que nous vivons en matière d’énergie. Et il semble que là aussi les leçons ne portent pas. Quel intérêt de quitter la dépendance Nordstream au gaz russe si c’est pour dépendre du bon vouloir américain et reproduire les mêmes erreurs, même si, comme disent les enfants, c’est « moins pire » ? Substituer une dépendance à une autre ne rend pas souverain, d’autant plus quand nos données servent de monnaie d’échange. Nous devons, dans les deux cas, remédier en urgence à une situation héritée de nos mauvaises décisions, de nos atermoiements et de ces abandons répétés de souveraineté, qui pénalisent notre avenir.
Une certitude en tout cas : lorsque seront annoncées dans le détail les modalités d’application du nouveau texte sur l’encadrement du transfert de nos données, nous saurons très clairement pour qui roule Ursula von Der Leyen.