Journaliste à Marianne, Paul Conge travaille depuis plusieurs années sur l’extrême droite. Il vient de publier Les Grand-remplacés. Enquête sur une fracture française (éd. Arkhê, 2020). Entretien.
Conspiracy Watch : La parution de votre livre s’inscrit dans un contexte où l’imaginaire conspirationniste semble n’avoir jamais eu autant d’influence. Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à vous y intéresser et pourquoi ce titre, Les Grands-remplacés ?
Paul Conge : Depuis quelques années, je me suis rendu compte qu’autour de moi, des amis, des proches, des journalistes me citaient souvent des youtubeurs nationalistes que je connaissais, que je pensais réservés à un public d’extrême droite. Ils les regardaient comme n’importe quelle autre vidéo sur YouTube. Ce n’était pas du tout leur habitude. Ils trouvaient ça amusant, sulfureux.
Ils tombaient aussi sur certains idéologues qui se servent de leurs théories pour faire passer une vision du monde qui concorde en bien des points avec celle véhiculée par l’extrême droite. La thèse du grand remplacement fait partie de celles-là. D’où le titre du livre…
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À quel public vous adressez-vous en particulier ?
Aux moins de 35 ans, à ceux qui ont grandi avec Internet, qu’ils soient politisés ou non, diplômés ou non. Mon enquête permet de trouver des clés de lecture pour y voir un peu plus clair dans toutes ces théories du complot qui sont devenues virales. Il met aussi au jour le fonds de commerce des idéologues en question.
Vous mettez en évidence certains influenceurs et têtes pensantes de la complosphère ainsi que les communautés qu’ils se sont constituées. Vous insistez aussi sur les conséquences que peuvent avoir certaines thèses conspirationnistes. Pouvez-vous nous en citer quelques exemples ?
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Alain Soral est également très présent dans Les Grands-remplacés. Il a formé tout un tas de jeunes dans plusieurs domaines si je peux dire. Par exemple, des groupes de dragueurs de rue et certaines écoles de la masculinité s’en inspirent. Ils ont lu le Soral viriliste, l’auteur de Sociologie du dragueur (1996) – qui s’est écoulé à plus de 50 000 exemplaires – ou encore de Vers la féminisation ? (1999), tous deux édités dans un premier temps par les Éditions Blanche.
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Ces « bébés Soral » estiment devoir réaffirmer une virilité traditionnelle, ce qui passe notamment par la restauration d’une assymétrie entre les hommes et les femmes. La drague leur permet cela. Ils pensent se comporter comme des prédateurs sexuels mais civilisés, ce qui leur permettrait (à les croire) de se différencier des immigrés que certains considèrent comme des « sauvages ». J’ai par exemple suivi les Philogynes : 200 à 250 mecs qui se parlent quasi-quotidiennement, dans une ambiance de « vestiaire » en quelque sorte, et qui pratiquent la drague de rue ensemble.
Vous vous êtes également intéressé aux plateformes et forums de jeux vidéos qui réunissent des communautés gamers, devenus un enjeu pour l’extrême droite identitaire et complotiste. Qu’y avez-vous trouvé ?
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Dans certaines franges des gamers, les 12-20 ans, on retrouve très souvent sur leurs espaces de discussion, sur les plateformes de jeux vidéos, des caricatures antisémites qui n’ont rien à envier à celles des années trente. Henry de Lesquen et Alain Soral sont cités abondamment par les jeunes et considérés comme des sortes de mentors. La culture gameuse est un condensé langagier de toute la fachosphère antisémite. Elle lui offre des codes communs. Il faut savoir que les visuels antisémites circulent par milliers. Par exemple, certains gamers se servent des têtes de Lesquen et de Soral sous forme de GIF, comme des ponctuations dans leurs phrases.
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