Michael Moore se faisait discret ces derniers temps. Mais le conflit en Palestine et la perspective d’un retour de Trump aux manettes en 2024 ont fait sortir le plantigrade oscarisé de son hibernation médiatique.
Invité à évoquer l’actualité au Proche-Orient sur la chaîne d‘information MSNBC, le réalisateur de Bowling For Columbine et Fahrenheit 9/11 a pris tout le monde à contre-pied, en désignant les chrétiens blancs d’ascendance européenne comme principale menace pour la communauté juive [1]. Haletant face caméra comme en proie à une digestion difficile, Michael Moore s’est employé à convaincre le journaliste et les gens devant l’écran de ne pas se tromper de cible : contrairement aux apparences, les méchants ne sont pas les barbus nerveux qui crient « Mort à Israël » mais bien les adorateurs du Christ à la peau claire. Et ce, depuis 2 000 ans. Pour Michael, dont la quête de justice sociale n’a d’égale que celle des buffets à volonté, il est impératif de remettre l’Église au centre du viseur village et la race au cœur du débat. Une manière habile d’expliquer au boxeur chancelant que le spectateur du premier rang est davantage responsable de ses maux que le type ganté en face de lui.
Mais pourquoi donc une telle opinion chez celui qui envisagea un temps de devenir prêtre [2] ? À en croire les mauvaises langues, Michael Moore serait un personnage aigri, que la haine de soi et l’amour du vide auraient mené aux confins de l’ethnomasochisme. Il tenterait de compenser les limitations physiques auxquelles son obésité morbide le condamne, par un surcroît hasardeux d’activité cérébrale et noierait son mal-être dans de prétentieuses créations à visée politique. Enfin, sa lâcheté et son ingratitude expliqueraient qu’il s’autorise à cracher sur le seul groupe ethnique et religieux qui tolère ses jérémiades, quand les autres le réduiraient à son rôle attitré de curiosité encombrante. Notez au passage qu’il s’agit là de spéculations psychanalytiques que nous relayons par pur professionnalisme sans les approuver aucunement ; devoir d’objectivité et respect du sérieux obligent. En revanche, et ici nulle conjecture, la conscience de race de Michael est très limitée et son attachement au sort des siens, quasi nul.
« Le nombre de Blancs aux États-Unis a diminué pour la première fois depuis le premier recensement en 1790.
En d’autres termes, meilleur jour de l’histoire des États-Unis. »
Les raisons de ce désamour sont obscures. Michael pense-t-il qu’il aurait pu devenir documentariste millionnaire ailleurs qu’en Occident, monde ouvert aux arts et à la libre critique du pouvoir ? Peut-être. Et après tout qu’importe. Michael est, à sa manière empirique, un journaliste d’investigation. Et s’il prétend savoir ce dont il parle, admettons cette assertion comme évidente. Ses expériences et rencontres l’ont amené à considérer la « blanchité » comme matrice des persécutions économiques et religieuses du monde moderne. Du patron de Nike aux tueurs de Littleton, de W. Bush à Donald Trump, de l’Inquisition à Auschwitz, ses enquêtes aboutissent inlassablement sur les traces du même coupable : un homme blanc, parfois croyant, toujours malfaisant. Rien d’étonnant donc à ce qu’il ait fini par nommer le suprémacisme blanc, le racisme systémique envers les Noirs et le Parti républicain comme ses ennemis jurés, dans un texte déchirant que l’on jurerait volé au bloc-notes de BHL [3].
Le Blanc raciste, atteint d’un complexe aigu de supériorité, façonneur d’un monde inique dont lui seul savoure les fruits. Voilà donc ce qui réveille Michael Moore en sursaut la nuit et stimule son esprit militant. Il n’est donc pas, comme on peut l’entendre, un agent de la pensée unique au service de pouvoir profond, instrumentalisé pour torpiller à son échelle les fondements d’une société à qui il doit tout. Certes, son ralliement à Hillary après le premier tour de la présidentielle 2016 pouvait laisser penser le contraire ; d’autant que le cinéaste n’avait pas tari d’insultes à l’endroit de l’intéressée [4]. Mais ce n’est pas parce qu’on appelle à voter pour une criminelle de guerre incarnant l’establishment politique et la finance mondialisée que l’on doit admettre s’être renié. Ce serait simpliste et malhonnête. Las. Les contorsions idéologiques de Michael sont encore trop subtiles pour ne pas être mal interprétées de temps en temps, et c’est bien là l’apanage de tout pionnier de l’activisme disruptif.
- « Le capitalisme, c’est le mal. »
Les petites mains que Michael exploite pour ses films sont elles-mêmes parfois dépassées par la finesse des rouages intellectuels de leur employeur. Certaines d’entre elles se sont ainsi plaintes du traitement que leur infligeait celui qu’elles prenaient pour un modèle et un allié. En 2009 par exemple, en marge de son film Capitalism : A Love Story, la corporation des scénaristes a reproché à Michael d’embaucher des auteurs non syndiqués afin de pouvoir les payer en-deçà des tarifs habituels [5]. Il fut également critiqué pour l’atmosphère de travail toxique et le chantage au licenciement qu’il pratiquait pour garder ses effectifs sous tension. Malheureusement, ce que les gens ne comprennent pas, c’est que Michael fait du journalisme total et qu’il se met en complète immersion pour les besoins de la cause. Et si cela implique de se muer en gros homme blanc vénal et exploiteur d’intermittents, Michael est prêt à le faire. Un « quoi qu’il en coûte » que l’on connaît et respecte sous nos latitudes.
Finalement, c’est encore Michael qui illustre le mieux sa thèse : le catholique blanc euro-descendant peut effectivement être une vraie plaie pour ses pairs.