Telles de mornes saisons, les crises mondiales se succèdent en des cortèges de désolation depuis longtemps familiers. À peine arrivées qu’elles emportent tout ce qu’elles croisent, y compris les renommées d’orateurs mal inspirés qui auront osé l’opinion interdite à leur sujet. Le conflit (re)naissant en Palestine ne dérogera pas à la règle.
Les actuels déferlements de violence en Palestine ont rouvert une plaie des plus anciennes. Le conflit au Proche-Orient est une pulsation brutale qui agite depuis 1948 le corps planétaire à intervalles de temps irréguliers et lui cause des maux profonds, souvent irréversibles. Les cadavres se sont empilés en 75 ans et les décomptes méticuleux, s’ils sont indispensables, ne vont pas sans les sentiments de dépit et de dégoût que la démarche entraîne. Mais parce que les calculs appellent des statistiques et les statistiques des conclusions, chacun finit par prendre parti, parfois malgré lui, pour un camp ou pour l’autre. Ce fut le cas, dans une moindre mesure, pour les épisodes du covid et de l’Ukraine. Et ça l’est désormais pour la guerre Tsahal/Hamas, saison 75.
Or, si les esprits ont pu mettre du temps à choisir entre Raoult et Véran ou entre Poutine et Zelensky, compte tenu de la complexité de la science d’une part et du désintérêt que suscite tout conflit à l’est de l’axe Berlin-Rome d’autre part, il en va différemment cette fois-ci. Les implications émotionnelles et engagements idéologiques que suscite le conflit israélo-palestinien sont si exacerbés qu’ils ne laissent pas plus d’espace à la raison qu’à la recherche de vérité. Or, tout louable qu’il soit d’afficher publiquement son soutien à l’un des camps, la prise de risque à ce faire demeure asymétrique. Il semble plus aventureux de crier « Vive Netanyahou » à la Goutte d’or que dans le Marais. De la même manière qu’il paraît plus téméraire de demander la libération de la Palestine sur un plateau télé que dans un bar à chichas.
Ici, nous nous intéresserons aux seules personnalités publiques et aux risques que ces dernières sont prêtes à faire courir à leur carrière pour affirmer leurs idées. Ce critère retenu à l’exclusion de tout autre, un constat doit d’abord s’imposer : l’immense majorité de la classe politico-médiatique et de la caste culturo-mondaine désignent le Hamas et, par une extension viciée, les Palestiniens comme seuls responsables du chaos ; laissant aux Israéliens le rôle de victimes expiatoires fondées à rendre les coups au centuple. Partant, quiconque dispose d’une image publique et souhaite nuancer le narratif officiel prête le flanc aux critiques et accusations les plus ordurières. De l’incomparable soupçon d’antisémitisme à la très en vogue suspicion d’apologie du terrorisme, rien ne sera épargné à qui osera plaider la cause des femmes, des enfants et des vieillards qu’on bombarde.
Médias ????
Football ⚽️ #Israel #GazaUnderAttackKylian #Mbappe attaqué sur BFM pour ne pas avoir témoigné son soutien à Israël pic.twitter.com/Kbs5u8cDcu#IStandWithPalestine #FreePalastine #IsraelPalestineWar
— CALAM (@Calam_media) October 12, 2023
L avocate et chroniqueuse sioniste Sarah Saldmann sur @RMCInfo à dit " j étais à la manifestation lundi je confirme y avait pas beaucoup de goy pour soutenir israel"(toute personne non juive mauvaise personne,personne de mauvais gout...) #IsraelTerrorists#FreeGaza #Gaza pic.twitter.com/fyFD069mY6
— Saïf ﷻ (@hami_haj89051) October 13, 2023
Parmi ces célébrités qui appellent à l’aide pour la Palestine sans pour autant cautionner les horreurs du Hamas, on trouve de tout. De l’ancienne pornstar Mia Khalifa à la mannequin Belle Hadid, de l’acteur Mark Ruffalo à l’actrice Viola Davis, du footballer Mohammed Salah à la chanteuse Rihanna, le choix est varié. Les exemplaires sont en nombre limité certes mais il doit pouvoir se trouver, dans chacune de ces professions à haut potentiel médiatique, une voix qui clame sa compassion pour les Gazaouis et son aversion pour l’escalade armée. Or, même la saine volonté de voir le conflit instamment cesser pour le salut des civils sur place est décriée. Sur les réseaux, cette posture pacifiste est assimilée au slogan « All Lives Matter » [Toutes les vies comptent], réputé raciste et infamant car contribuant à invisibiliser la minorité opprimée.
Toutes nos prières pour les habitants de Gaza victimes une fois de plus de ces bombardements injustes qui n’épargnent ni femmes ni enfants.
— Karim Benzema (@Benzema) October 15, 2023
Certains diront que les soi-disant vedettes péniblement listées ne sont que des figures de seconde zone au rayonnement inconséquent. C’est sans doute vrai. Mais l’essentiel est ailleurs. D’abord parce que l’avis d’une star ne compte pas plus qu’un autre. Ensuite, parce que les événements actuels ne sont pas un concours de popularité mais un révélateur de personnalité. Il y a les intellectuels plébiscités dont on attendait des actes de sagesse virile, entre clairvoyance, mesure et fermeté, et qui ont dérapé dans le passionnel immature. Ben Shapiro et Jordan Peterson par exemple.
And they can fuck right off. https://t.co/SnYPauzNkc
— Ben Shapiro (@benshapiro) October 9, 2023
Give 'em hell@netanyahu
Enough is enough
— Dr Jordan B Peterson (@jordanbpeterson) October 7, 2023
Il y a ceux qui ont cru avoir des convictions fermes et résolues, jusqu’à ce que leurs disciples froncent les sourcils et les fassent virer de bord. Kelly Jenner et madame le maire de Strasbourg pour ne citer qu’elles. Il y a ceux qui s’abstiennent de prendre parti et enfin ceux qui font tapis à cinquante contre un en adoptant la position dissidente.
Roger Waters (Pink Floyd)
suppoting Palestine pic.twitter.com/yAuUvXd6HW— Insaf (@TheSkinnyCurls) October 11, 2023
Parmi ces derniers, la plupart a amassé assez d’argent pour jouir d’une vie entière de confort et de sérénité. Très certainement aucun n’ignore les répercussions socio-professionnelles qu’auront leurs déclarations déviantes au sujet du Proche Orient. Shoah et caricatures de Mahomet mises à part, le conflit israélo-palestinien est le sujet le moins indiqué pour tenter des pensées originales, surtout si l’on souhaite conserver son emploi, le sommeil ou un rythme cardiaque. Ces personnalités publiques ont donc fait un pari osé, celui de vivre selon leurs impopulaires convictions. Peut-être par manque d’impartialité, peut-être par crainte de finir entre Bono et Madonna à chanter Oseh Shalom en mondovision. Qu’importe. Elles acceptent de vivre ce que les pro-Trump et antipass ont subi : une mise au ban de la société et la promesse de n’en jamais réintégrer les cercles privilégiés.
Pour le meilleur ?