L’une des figures emblématiques du rap américain est présentement au cœur d’un scandale sexuel sans précédent. Et si les affaires de fesses ne sont pas tout à fait une nouveauté dans le milieu, celle-ci pourrait bien bouleverser le visage de l’industrie et en abattre des figures majeures.
Rassurons d’emblée ceux qui vouent au rap la considération que les démocraties occidentales daignent au sort des Palestiniens : il ne sera pas question ici de cette « musique nègre » si chère à Henri de Lesquen. Cela tombe bien d’ailleurs car Sean Combs, jadis connu sous les sobriquets de Puff Daddy ou P. Diddy, n’est pas un rappeur. Bien qu’ayant permis l’émergence d’une icône de la spécialité – le regretté Notorious Big –, Diddy n’a jamais pu aligner deux rimes décentes en trente ans de studio ni su gommer son flow léthargique de boomer fatigué. Tout au plus a-t-il été suffisamment habile, à une époque où le sampling prenait son envol, pour piller sans vergogne des morceaux déjà classiques et les travestir en soupe marketée pour le grand public. Une contrefaçon artistique érigée en marque de fabrique, qui rapporte notamment à Sting 5 000 dollars par jour pour sample non autorisé.
Au contraire, ce qui intéresse ici est bien l’auteur et non son œuvre. Et comment l’ignominie présumée du premier est en passe d’éclipser la médiocrité avérée de la seconde. Le 25 mars dernier, en effet, les villas floridiennes et californiennes de Diddy étaient perquisitionnées par la Sécurité intérieure (!), à la demande du parquet fédéral de New York, sous le chef de « trafic d’êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle » [1]. Une accusation lourde, aux ressorts encore incertains, mais dont le retentissement judiciaire s’annonce unique en son genre. Certes, en 2021, un autre artiste afro-américain, R. Kelly, avait été condamné à trente ans de réclusion criminelle pour « extorsion, exploitation sexuelle de mineur, enlèvement, trafic, corruption et travail forcé ». Mais l’interprète de la B.O. d’Ali avait alors agi seul et pour son compte, ce qui pourrait ne pas être le cas de Diddy.
Ce dernier semble en effet au cœur d’un réseau dont on commence à saisir les contours, à mesure que les semaines passent et que les langues se délient. Le premier assaut sur la forteresse Diddy est venu de celle qui a partagé sa vie pendant dix ans, la chanteuse Cassie. Encouragée par son entourage, l’artiste assignait Diddy en novembre dernier pour « violences conjugales et trafic sexuel ». Le magnat du hip-hop lui aurait notamment imposé des rapports à la sauce Sofitel – en binôme et en groupe – lorsqu’elle lui eut fait part de ses envies de rupture [2]. L’on prendra évidemment ses assertions avec les pincettes qu’elles requièrent, la vague #MeToo ayant accouché par wagons de nymphos mythomanes et cupides. Mais les parties concernées ont depuis soldé leurs différends par un accord financier, ce qui prête à penser que la plainte était fondée.
Cette affaire aurait pu n’être qu’un fait divers anecdotique entre deux amants maudits : elle s’est avérée être la première pierre d’une longue série lancée à la figure de Diddy. Dans le sillage de Cassie, d’autres victimes ont trouvé en elles le courage de parler et s’épanchent ainsi, depuis quelques semaines, devant tous les micros que les juges, journalistes et podcasteurs leur tendent. Or, leurs aveux convergent pour décrire un système d’emprise complexe – quoiqu’encore flou – mêlant drogue, sexe et vidéo. Après qu’une accusatrice anonyme eut assigné Diddy pour « viol en réunion sur mineur » en décembre dernier [3], le producteur Rodney « Lil Rod » Jones a déposé plainte à son tour contre son ancien associé et porté à son encontre des accusations rappelant précisément celles proférées contre le pédophile Jeffrey Epstein : soumission chimique, prostitution de mineurs et chantage à la sextape.
Le système de prédation mis en place par Diddy reposerait sur les soirées fastueuses qu’il organisait chez lui pour les grands noms du showbiz. « Ain’t no party like a P. Diddy party » (« Il n’y a pas de fête comparable à celle de P. Diddy ») était d’ailleurs le refrain entonné par quiconque voulait résumer ces sauteries sans trop s’exposer. De l’alcool aurait été servi à des mineurs, des escorts auraient été fournies aux participants et des centaines d’heures de vidéo immortalisant l’intimité de ce petit monde auraient été soigneusement collectées par l’organisateur. Comme dans le cas Harvey Weinstein, le vice à l’étalage dans ces soirées n’était un secret que pour le bas peuple, les initiés étant parfaitement au fait de cette hideuse réalité. Katt Williams, un des meilleurs stand-uppeurs US, avait d’ailleurs dénoncé cette hypocrisie et alerté contre les tendances inverties de Diddy, dans un podcast prémonitoire déjà culte.
L’avertissement donné par l’humoriste aurait pu n’être qu’une manœuvre pour générer du clic, une acrobatie promotionnelle où l’exagération de la vanne en renforce l’effet comique et le potentiel viral. Mais les archivistes du net, jamais avares de recherches au long cours, sont allés exhumer tous les documents audio et vidéo mettant en scène Diddy pour en avoir le cœur net. Conclusion : la mise en garde n’était pas superflue. De passage chez Howard Stern, le chanteur Usher revenait sur une période où, âgé de 13 ans, il vécut un an chez Diddy et y fut témoin – seulement ? – de choses normalement réservées aux adultes licencieux [4]. Une autre vidéo a également refait surface, mettant cette fois-ci en scène Diddy avec un Justin Bieber très jeune, et visiblement très inquiet à l’idée de passer un week-end entier chez Puff et ses sbires calibrés.
La promiscuité de Diddy avec ses jeunes artistes masculins, non condamnable à ce stade, a malgré tout suscité le doute jusque chez ses fans. Pas pour sa dimension homosexuelle : après tout, le rap serait aux mains d’un mafia gay selon des témoins fiables [5] et, Diddy en étant la première fortune, il eût été logique qu’il donnât l’exemple. Pour la dimension pédocriminelle en revanche, c’est différent. Il existe un monde entre « persuader un adulte de faire le nécessaire pour le bien de sa carrière » et « élargir le cercle de ses amis prépubères ». Or, une vidéo TikTok de 2020 a ravivé les soupçons quant aux possibles déviances de Diddy. On y voyait l’homme du scandale présenter à ses abonnés virtuels une enfant blanche comme étant sa fille adoptive, sans que l’on ne sache comment il en avait obtenu la garde ni pourquoi elle ressemblait tant à une autre petite Ava, disparue en 2014 [6].
À ce jour, les spéculations vont bon train. Dernièrement, Ava a rassuré ses fans sur l’appli chinoise – après quatre années d’absence inexpliquée – en les invitant à prier pour son père adoptif. Si ce message a rassuré quant au sort de l’adolescente, des zones d’ombre demeurent et opacifient un tableau déjà trouble. L’image de Diddy est en effet loin d’être immaculée. Sa carrière a été régulièrement émaillée d’épisodes violents, de la simple affaire de coups et blessures à celle de port d’armes illégal en marge d’une fusillade. Des rumeurs persistantes font même de Puff un personnage quasi mafieux, qui n’hésiterait pas à s’appuyer sur des flics véreux pour éliminer la concurrence. L’une de ces rumeurs ne concerne rien moins que l’assassinat commandité de Tupac, la légende ultime du rap West Coast. Une antienne reprise d’ailleurs par un Eminem moqueur en 2018 [7].
Alors, Diddy : corbeau ? maquereau ? pédophile ? mafioso ? Il est encore tôt pour faire le tri entre ces qualificatifs infamants. D’autant que des cadavres de potentiels témoins gênants commencent tout juste à apparaître en marge de l’affaire [8]. Aussi, laissons Ye résumer la situation et être, comme bien souvent ces jours-ci, la voix de la raison.