L’intellectuel américain, dont la ligne idéologique n’est pas celle d’E&R, est pourtant aussi infréquentable dans son pays qu’Alain Soral ne l’est ici. L’auteur et activiste, à trop savamment digresser sur les concepts de race et de diversité, s’est en effet mis à dos les gardiens de la pensée. Au point, comme le Patron, de se voir privé de réseaux sociaux, de sponsors et d’invitations en plateau.
Samuel Jared Taylor appartient à cette caste d’orateurs dont les prises de parole ne laissent pas indifférent. Sous ses airs de grand-père placide et bienveillant, l’homme incarne à lui seul, pour les censeurs du régime, les dérives de la libre expression. Né au Japon en 1951, Jared a fondé le mensuel puis le site Internet American Renaissance, et la New Century Foundation. Avec une éloquence de tribun assagi et une élégance de gentleman déraciné, il aime à y disserter sur des thèmes corrosifs et se jouer des convenances par ses opinions à la marge. Son thème de prédilection : l’importance de la race et de l’ethnie dans la construction sociale. Sa thèse : certains groupes seraient plus à même de constituer des sociétés fonctionnelles que d’autres et devraient pouvoir revendiquer le droit à se prémunir d’influences étrangères s’ils les jugent délétères. De quoi mettre n’importe quel universaliste à idées fixes en état d’apoplexie. Mais que diable peut bien raconter ce septuagénaire pour causer tant d’émoi ?
Le plaidoyer blanc
Bien qu’ayant vu le jour et vécu les seize premières années de sa vie de l’autre côté du Pacifique, Jared Taylor a développé un attachement viscéral à son pays de cœur : les États-Unis. Plus spécifiquement, ce sont les racines européennes du pays et l’héritage culturel du Vieux Continent qui ont gagné son cœur. Établissant un lien entre l’essor de l’Amérique et l’homogénéité raciale de ses premiers colons, Jared en a déduit la nécessité de conserver une base démographique euro-descendante (blanche, pour faire simple) dans l’intérêt supérieur de la nation. En parallèle, il a développé un scepticisme certain quant aux richesses qu’amènerait l’importation massive et non concertée de populations immigrées sur le sol américain. Aussi se présente-t-il aujourd’hui comme avocat de la cause blanche (« white advocacy ») et souhaite, dans un monde où le sentiment d’appartenance communautaire est exalté de toute part, que les Blancs puissent former les mêmes groupes d’entraide et d’influence que leurs homologues noirs ou latinos.
Suprémaciste ?
Outre son statut de défenseur des Blancs, Jared s’honore du titre de « race realist » et voit la race, non comme une construction sociale, mais comme une réalité biologique. De fait, il n’hésite pas à expliquer les comportements des individus en groupe à l’aune de ce seul critère. Plus audacieux encore, il estime ses frères en humanité doués d’une intelligence très variable selon leur région d’origine et redoute que les écarts cognitifs entre les peuples aboutissent à des gouffres civilisationnels infranchissables. Il prône par conséquent un système de ségrégation volontaire afin de prévenir les tensions communautaires que le multiculturalisme pourrait engendrer. Ce type de pensées, sévèrement réprimé ces jours-ci, l’était déjà il y a trente ans. Jared arbore ainsi, malgré ses dénégations, l’étiquette de suprémaciste blanc depuis 1992, label décerné par les experts de la haine à la sortie de son étude Paved With Good Intentions - The Failure of Race Relations in Contemporary America. Mais Jared Taylor a-t-il vraiment un complexe de supériorité raciale dû à la blancheur de sa peau ?
Lisons l’intéressé
La franchise de ses propos laisse à penser que Jared ne se soucie guère d’offenser ses auditoires. Aussi peut-on imaginer qu’il ne se priverait pas de présenter publiquement sa pyramide des races s’il devait en avoir dressé une au cours de ses recherches et rencontres. Ce ne semble pas être le cas.
« Le suprémacisme blanc est un terme qui s’applique aux Blancs qui veulent dominer les personnes d’autres races. Historiquement, cela a été un phénomène, l’idée de prendre une certaine race de personnes et d’en faire des esclaves. Cela n’est pas mon idée. Mon idée est que l’intérêt premier des Blancs est de survivre en tant que peuple distinct doté d’une culture distincte. J’ai un intérêt légitime à préserver mon peuple. Ce que je veux pour mon peuple, c’est exactement la même chose que ce que je veux pour chaque groupe racial : la possibilité de se développer en accord avec son propre héritage, son propre destin et son propre tempérament. » [1]
La population blanche étant vouée à devenir une minorité aux États-Unis d’ici vingt ans [2], le souhait de Jared semble en somme d’en préserver la diversité en sauvegardant une future minorité. Aussi louable soit-elle, la démarche est pourtant mal accueillie en général, et ses contradicteurs sont souvent galvanisés à l’idée d’en découdre. Après tout, Jared est un vieux mâle blanc fortuné, diplômé de Sciences Po (économie) et de Yale (philosophie), qui n’a honte ni de son teint ni de ses opinions. La cible parfaite.
Un rhéteur hors pair
Hélas pour ses adversaires, Jared est un client en interview. Peu importe la détermination de l’interlocuteur, sa position confortable de procureur et sa connivence avec l’arbitre du débat, Jared finit toujours debout, le poing levé. La différence de classe, d’analyse et d’érudition est généralement saisissante entre Jared et son adversaire, au point d’éprouver un certain embarras pour le rival en déroute. Invité à parler esclavage et colonisation avec un rappeur un peu simplet, Jared a calmement démembré son vis-à-vis pendant deux heures, sourire en coin [3]. Prié d’exposer ses vues sur les tensions raciales en Amérique devant une salle d’Afro-Américains, il a sereinement déjoué les pronostics qui le donnaient bon pour le bac à viande et récolté les applaudissements d’une foule interloquée. Sommé de reconnaître privilège blanc et racisme systémique au micro de la BBC, il a patiemment rappelé que ses convictions lui avaient valu une mort sociale, médiatique et professionnelle, puis a annihilé son hôte – ancêtres inclus – pour conclure l’entretien en souplesse.
Et sur la question J ?
Interrogé quant à son rapport à la communauté juive et à la place qu’il lui réserve dans sa classification, Jared la considère comme partie intégrante de la race blanche. Du moins s’agissant des Ashkénazes. Certains pourraient s’étonner de cette position, nombre de Juives et Juifs pratiquants se réclamant eux-mêmes d’une race à part, mais Jared relativise. Ils voient en eux des camarades de lutte sur le front de l’ouest et les sait fervents soutiens de son identitarisme affirmé. Pour autant, acculé, il reconnaît que certains israélites œuvreraient contre les intérêts de la cause blanche. Par exemple en encourageant l’immigration d’un côté et empêchant l’émergence d’un nationalisme blanc de l’autre. Malgré cette funeste contribution au « blanc remplacement », Jared ne tient pas de grief particulier contre la communauté juive ni ne fait de cette dernière le sujet central de ses réflexions. Tout au plus l’invite-t-il à choisir un camp dans la bataille idéologique entamée et à faire cesser sa promotion insistante de la diversité.
Que penser de Jared Taylor ?
Intellectuel courtois empreint de bon sens ? Xénophobe nostalgique de la ségrégation ? La question se pose et sans doute l’intéressé seul connaît-il la réponse. Ses diverses productions, elles, laissent à penser que l’individu n’est pas malveillant. Si sa prose radicale distillée de manière frontale peut ébranler les esprits fragiles, la tranquillité avec laquelle il assène ses aspirations séparatistes semble attester sa bonne foi et son esprit Coubertin.
Ce que l’on retient surtout, c’est que l’alignement de sa colonne vertébrale n’a pas bougé d’un iota toutes ces années malgré les turbulences. Sous le feu nourri d’une intelligentsia allergique à des propos qu’elle juge dangereux et archaïques, Jared ne s’est pas mis à ramper en abjurant ses convictions. Ce qui est au pire un signe de respectabilité et au mieux la marque des très grands.
Puis, l’on admettra que ses opinions, qu’on y souscrive ou non, sont une bonne occasion de s’intéresser à des sujets tabous. En 2019, un récipiendaire du prix Nobel de médecine a subi une excommunication en bonne et due forme par ses pairs, pour des propos comparables à ceux de Jared sur la race et le QI. Ce qui atteste de la vitalité du débat sur ces sujets même chez les initiés [4].
Enfin, on rappellera qu’il faut lire et écouter le personnage pour s’en faire une idée exacte. À ce titre, rien ne vaut évidemment une immersion dans l’œuvre du bonhomme en version originale. Mais pour les anglo-réfractaires, Jared est francophone [5] et des traductions de ses textes sont disponibles, notamment éditées par le sac de frappe fétiche du patron.
En attendant, chez E&R, nous restons prudents. Les constats de Jared Taylor sont souvent incontestables et ses analyses rarement démenties. Toutefois, le communautarisme qu’il encourage, fût-il en réaction à d’autres communautarismes, n’est pas exactement raccord avec l’idée de réconciliation des peuples si chère à notre association.
Le communautarisme qu’il nous semble sain d’alimenter à l’heure actuelle s’écrit à une autre échelle : celle de la France, par la révérence à ses valeurs, à son patrimoine et à son histoire, dans ce qu’elle a offert de meilleur et de moins bon. Ce chauvinisme, éthiquement acceptable, doit rassembler les Français de cœur et de culture et évincer ceux de rente et de papiers. Toute autre subdivision – de couleur, de religion, de sexe – n’est que littérature.