Un nouveau drame en marge de l’affaire Epstein rappelle la tendance inopportune qu’ont les victimes et témoins gênants d’affaires sensibles à mourir en cours d’enquête, d’instance ou de détention.
Le 23 mai dernier, la police de West Palm Beach (Floride) identifiait dans une chambre d’hôtel le corps sans vie de Carolyn Andriano, 36 ans [1]. La jeune femme, morte d’overdose, se projetait une nouvelle vie en Caroline du Nord avec son mari et leurs cinq enfants. Mais le destin en a décidé autrement et achevé sans tambour l’existence chaotique de cette victime au long cours. Car Carolyn n’était pas n’importe qui. En 2021, elle avait témoigné à la barre contre Jeffrey Epstein et Ghislaine Maxwell pour dénoncer des viols subis de ses 14 à 18 ans. Hélas pour elle, la justice n’a jamais vraiment pu panser les outrages endurés : le corps du milliardaire ayant été retrouvé pendant paisiblement dans sa cellule new-yorkaise deux ans plus tôt ; le procès de la maquerelle n’ayant abouti fin 2021 qu’à sa seule condamnation, à l’exclusion de tout client du réseau. Une affaire sordide en somme, que l’on pensait promise à l’oubli collectif, si elle n’en avait rappelé une autre.
En 2017 en effet, la même police de West Palm Beach identifiait déjà dans une chambre d’hôtel le corps sans vie de Leigh Skye Patrick, 29 ans. La jeune femme avait également rompu le silence pour dénoncer les déviances de la paire Esptein-Maxwell, jusqu’à ce qu’une overdose ne vienne là encore freiner ses ardeurs accusatoires [2]. Ces deux cas, troublants de ressemblance, sonnent le rappel d’une réalité que les amateurs de chroniques criminelles ne connaissent que trop. Celle d’un phénomène curieux et récurrent dans les affaires sensibles, savoir la propension des plaintifs à perdre la vie précocement. Ces disparitions, accidentelles ou volontaires, peuvent surprendre le néophyte tant par leur soudaineté que par leur originalité. Mais quiconque est au fait des affaires pédocriminelles ne s’étonnera plus qu’un informateur se suicide de plusieurs balles dans le dos la veille d’une interview capitale.
Car si les interventions (sur)médiatisées des Julien Pain et autres Rudy Reichstadt ont bien laissé quelque chose à la postérité journalistique, c’est que les coïncidences, ça existe ; même lorsqu’elles semblent hautement improbables et préméditées de toute pièce. Le sort est facétieux et les fact-checkeurs d’utilité publique le savent bien, raison pour laquelle ils ne paniquent jamais devant des cadavres empilés dans le box des accusés, mais préfèrent rappeler la létalité du dernier variant à la mode. Démunis devant les facéties du destin, il ne nous reste plus, simples spectateurs, qu’à déplorer le timing malencontreux de ces décès, alors même que les concernés auraient pu être de quelque utilité dans des enquêtes, dans des procès. Une regrettable infortune, consentiront finalement les professionnels du débunkage, mais rien de plus. Et certainement pas la preuve d’une conspiration contre la vérité ourdie par des élites malfaisantes.
Or, certains esprits revêches refusent de ne voir dans ces morts en série qu’une expression de la fatalité. Au contraire, ils y trouvent même matière à conspirer. Parmi les plus extrêmes, certains entretiennent par exemple le mythe selon lequel une soixantaine de morts suspectes aurait émaillé l’entourage intime du couple Clinton [3]. Des avocats, des mécènes, douze gardes du corps… Des personnes indiscrètes qui auraient soi-disant pu compromettre Bill et Hillary dans des affaires de meurtres et d’abus sexuels et qui ont, selon les autorités, succombé au hasard (accident d’avion, de musculation) ou à la malchance (démembrement impromptu, combustion spontanée). Un camouflet pour des conspirationnistes en mal de sensationnel. Un succès pour la majorité éclairée, imperméable à ce genre de fantasmes, et probablement soulagée que la calomnie n’ait jamais vraiment atteint les anciens locataires de la Maison-Blanche.
Hillary et Bill : « Nous n’avons pas suicidé ce gars, Jeffrey Epstein »
Mais ne nous voilons pas la face pour autant : de tels excès de paranoïa maccarthyste existent partout dans le monde, y compris sous nos latitudes. En marge de l’affaire Dutroux, certains investigateurs amateurs ont prétendu avoir identifié trente personnes liées à l’enquête dont la mort aurait été inexpliquée [4]. Des policiers, des témoins et un avocat général, en réalité dépressifs ou poissards, qu’on a tenté de faire passer pour des témoins gênants post-mortem. Idem pour les affaires des disparues de l’Yonne et d’Appoigny. La mort du gendarme Jambert, et de quelques témoins à peine, a fait croire qu’on couvrait un réseau de notables tortionnaires de déficientes mentales en Bourgogne. Une hérésie entretenue par la presse, jusqu’à ce qu’on arrête les superprédateurs solitaires Émile Louis et Claude Dunand et qu’on classe les chimères pédocriminelles au rebut dont elles étaient sorties. Des épilogues heureux qui ont toujours rassuré la ménagère mais jamais conquis, hélas, le conspi réfractaire.
En résumé et contrairement à ce qu’indiquent les courbes d’audience d’Hanouna, l’esprit humain a bel et bien horreur du vide. Et devant un mystère insoluble, il cherchera toujours des explications valables, quitte à s’imaginer des machinations peu crédibles. La réalité est souvent bien plus simple. Des morts surviennent, c’est un fait. Parfois lors d’une partie de golf, parfois la veille d’une déposition sous serment. C’est une injustice inhérente à la condition humaine, que les cerveaux les moins disciplinés gagneraient à vite intégrer. Pour le bien de tous. Et celui de nos maîtres en particulier.
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