Il a fallu l’état d’urgence pour fermer cette salle de prière installée dans les entrepôts portuaires. Enquête sur un lieu de culte qui, pendant des années, a concentré les dérives d’un extrémisme musulman que les autorités locales ne voulaient pas voir...
C’est l’histoire d’une petite mosquée des Hauts-de-Seine, dissimulée entre cuves de pétrole et entrepôts, sur le port de Gennevilliers. Une salle de prière musulmane ne ressemblant à rien, faite de bric et de broc, à l’image de celles qui ont prospéré dans les banlieues durant des décennies. Une de ces mosquées pirates comme la France en a vu pousser des dizaines, favorisant sans le vouloir ce que les spécialistes ont appelé l’islam des caves, propice à toutes les dérives radicales.
Le tout dans un local squatté au nez et à la barbe du département et des autorités du port autonome, copropriétaires des murs, et avec la bénédiction de l’État qui fermait les yeux plutôt que d’affronter le problème. Jusqu’au jour où l’état d’urgence, décrété après les massacres du 13 novembre dernier, a précipité une descente de police. La fermeture qui a suivi était dès lors prévisible à partir du moment où le nouveau préfet, Yann Jounot, s’était mis en tête de mettre un peu d’ordre autour des tapis de prière...
L’imam affirme avoir voulu tenir à l’écart ces fidèles
Depuis combien d’années la petite mosquée prospérait-elle plus ou moins discrètement derrière ces murs ? Depuis combien de temps ses animateurs développaient-ils leurs activités aux marges de la République, dans ces préfabriqués occupés sans droit ni titre, pour le plus grand bonheur d’une poignée de prédicateurs ? L’inauguration d’une belle et grande mosquée, en règle celle-là, sur la commune de Gennevilliers, en 2009, aurait dû entraîner la fermeture de ce lieu pirate. C’était du moins l’ambition de la municipalité, communiste, qui avait contribué à faire sortir de terre ce nouvel et digne établissement. C’était aussi le marché passé avec la communauté musulmane.
Sauf qu’une poignée d’irréductibles ont décidé de s’enraciner, probablement parce qu’ils ne partageaient pas complètement la ligne « officielle » de la grande mosquée, sans doute aussi à cause de l’enjeu financier que représente une salle de prière, les fidèles étant généralement volontiers généreux lors de la prière du vendredi. Une association, El Houda, s’est donc montée et le flot des fidèles n’a cessé de gonfler, d’autant que la fermeture d’une mosquée estampillée « salafiste » à Épinay-sur-Seine, en novembre 2010, avait rabattu vers le port près de 300 fidèles supplémentaires, rejoints par quelques centaines d’autres un peu plus tard, venus cette fois d’Argenteuil...
Le vendredi, le nombre de véhicules stationnés en double file à proximité de la salle rendait difficile le passage des camions se rendant dans la zone industrielle voisine, au point que la police passait régulièrement verbaliser à tour de bras. Les services de renseignements ont à plusieurs reprises alerté les autorités administratives, sous le quinquennat précédent, sur les risques d’emprise salafiste, mais rien ne bougeait. Comme si ce point de fixation arrangeait, si ce n’est le ministère de l’Intérieur lui-même, qui pouvait facilement surveiller ce petit monde, au moins les responsables de la mosquée « officielle » de la ville, débarrassés des fidèles les plus remuants.
Un imam « dur »
C’est ainsi que, ces derniers temps, les animateurs d’El Houda avaient été contraints de repousser les murs et de monter, à l’arrache, plusieurs tentes dans l’arrière-cour. Avec plus de 700 fidèles recensés les grands jours, débordant parfois dans la rue, il fallait bien ça. Le tout était placé sous la houlette d’un imam considéré comme un « dur », du moins par rapport à celui qui prêchait dans la grande mosquée, dont les frères Kouachi, auteur du raid mortel contre les locaux de Charlie Hebdo, avait déploré la « mollesse ». Un vieil homme d’origine algérienne, suffisamment adroit pour ne pas franchir certaines limites, ce qui aurait pu mettre en péril son titre de séjour.