Le 12 mars 2005, Pierre Conesa analysait le phénomène général de radicalisation dans notre société.
« Quand vous trouvez sur des sites djihadistes “2000 morts à Gaza on ne fait rien, quatre occidentaux égorgés on envoie l’armée”, vous ne pouvez pas avoir de contre-argument face à ce type de posture diplomatique. »
Pour les sourds et malentendants, voici la retranscription de cette interview :
1° Comment définir la radicalisation ?
Le sociologue définit la radicalisation comme la posture de légitimation ou de passage à l’acte dans le domaine de la violence.
Donc si on prend cette définition, ça veut dire que la radicalisation touche beaucoup de domaines aujourd’hui, qui sont le domaine politique avec une radicalisation d’extrême gauche ou d’extrême droite, avec les identitaires, avec les black blocs, ça touche les domaines religieux puisque l’Islam n’est pas la seule grande religion touchée par les phénomènes de radicalisation, ça touche aussi des domaines tout à fait inattendus comme la défense des animaux etc.
La radicalisation est un phénomène générique, qui d’ailleurs pose des problèmes à toutes les sociétés démocratiques, mais évidemment la radicalisation qui nous préoccupe le plus pour le moment à cause des attentats terroristes est évidemment la radicalisation djihadiste.
2° La France pourrait-elle prendre exemple sur les programmes de déradicalisation mis en place ailleurs ?
Toutes les analyses de radicalisation ne tiennent pas compte de la dimension de politique extérieure, parce que je considère que ce qui caractérise la radicalisation musulmane ou disons la radication sectaire salafiste djihadiste, si on la compare à d’autres sectes, c’est que c’est une mobilisation qui se fait sur des thèmes internationaux : les musulmans sont victimes, le complot judéo-américano-français etc., donc toute la théorie du complot, et la dimension de la politique extérieure est très importante dans la mobilisation.
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« Au Moyen-Orient, c’est nous qui avons déclaré la guerre »
Pour le site middleeasteye.net, l’ex-fonctionnaire du ministère de la Défense analyse les attentats de Paris de novembre 2015 à la lumière de son rapport « Quelle politique de contre-radicalisation en France ?, publié en décembre 2014, juste avant les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher.
MEE : Pourquoi l’organisation État Islamique (EI) s’en est-elle prise à la France et pas à un autre membre de la coalition internationale qui opère en Irak et en Syrie ?
Pierre Conesa : Depuis la présidence de Nicolas Sarkozy, la France s’est totalement alignée sur la stratégie américaine. Paris a joué le fer de lance d’une espèce de défense européenne dans le monde arabo-musulman. On l’a vu avec l’affaire de la Libye mais également avec François Hollande et ses déclarations sur la Syrie, dossier sur lequel il était plus en pointe que Barack Obama. Les islamistes de l’EI ont pu penser que par rapport à Jacques Chirac qui avait refusé d’aller faire la guerre à l’Irak, désormais les néo-conservateurs étaient au pouvoir avec Nicolas Sarkozy et François Hollande. C’est également mon analyse, je fais un lien direct avec cet activisme néo-conservateur de la France et ces attentats. Forcément, cette position a fait remonter la France dans la hiérarchie des ennemis.
La seconde raison est une simple question d’accessibilité. La France est un pays d’immigration. On y trouve la plus importante communauté chinoise, juive, arménienne et musulmane de l’ensemble des pays de l’Union européenne. Par définition, s’y trouve donc une opinion publique qui est particulièrement sensible à la diplomatie française. On a pu voir par le passé qu’en raison de cet activisme militaire des Français, des gens étaient prêts à commettre des attentats sur le sol français, comme Mohamed Merah par exemple.
MEE : Dans la vidéo de revendication, l’EI appelle tous les musulmans français qui ne peuvent pas se rendre en Syrie pour combattre à commettre de nouveaux attentats. Au-delà de la stratégie sanglante de sidération, l’EI a-t-il aussi une stratégie de division, de scission ou même de guerre civile en France ?
PC : Dans cette affaire, c’est moins la question de l’islam que celle du salafisme qui se pose. Les salafistes prétendent que comme ils sont les meilleurs musulmans au monde, c’est à eux de parler au nom de la communauté, l’Oumma. J’ai rédigé l’année dernière mon rapport intitulé « Quelle politique de contre-radicalisation en France » dans lequel je notais la fracture entre ces gens qui prétendent parler pour l’ensemble des musulmans et une classe moyenne française de culture musulmane qui a sa place en France, qui y réussit, fournit ses élites, artistes, écrivains, ingénieurs… Cette classe moyenne se trouve confrontée à ces salafistes qui les qualifient de traîtres, d’auxiliaires de police. Cette classe moyenne s’était déjà mobilisée contre ces salafistes. D’ailleurs, au passage, ces derniers assassinent plus de musulmans que de non-musulmans.
MEE : Mais n’y a-t-il pas aussi une volonté, chez l’EI, de créer ou d’alimenter une suspicion envers les musulmans français ?
PC : Oui effectivement. En lançant ce genre d’instructions, en prétendant mobiliser l’ensemble des musulmans, ils créent de fait un amalgame qui va forcément beaucoup plaire aussi à l’extrême droite. Contre cette idée que tous les musulmans seraient responsables, il me semble que maintenant que l’état d’urgence est déclenché, il y a plus que jamais la nécessité de discuter avec les Français musulmans pour éviter de refaire des erreurs. Par exemple, dans la famille de Mohamed Merah, si un de ses frères, ainsi que sa sœur, avaient soutenu son action, l’autre frère avait largement condamné ses actions terroristes. La police doit être capable de faire cette distinction. Plus que jamais, il faut coopérer avec les structures représentatives des musulmans, les théologiens, tous ceux qui sont prêts à coopérer pour empêcher que ces attentats se renouvellent. C’est d’ailleurs ces gens de culture musulmane qui sont les plus à même d’aider la police.