La Maison-Blanche a publié sur Facebook un communiqué qui mentionne les États-Unis et le Royaume-Uni comme seuls vainqueurs des nazis en 1945. La diplomatie russe s’est déclarée « extrêmement indigné[e] » par l’omission du rôle central joué par l’URSS.
« Nous sommes extrêmement indignés par les tentatives de déformer les résultats [...] de la contribution décisive de notre pays [à la défaite de l’Allemagne nazie] », a déclaré dans un communiqué le ministère russe des Affaires étrangères, en référence à une publication sur la page Facebook et Twitter de la Maison-Blanche du 8 mai, qui ne mentionne que les États-Unis et le Royaume-Uni comme vainqueurs du régime nazi en 1945. Omettant, donc, la participation de l’URSS.
Partant, la diplomatie russe a affirmé vouloir une « conversation sérieuse » avec les responsables américains à ce sujet. « Les officiels américains n’ont pas eu le courage ni la volonté de dire un petit mot sur le rôle indiscutable et les pertes inédites subies par l’Armée rouge et le peuple soviétique au nom de l’humanité entière », déclare encore le ministère russe des Affaires étrangères, cité par Sputnik.
À rebours d’un communiqué de fin avril, célébrant le coopération entre Moscou et Washington en 1945
Cette omission américaine va à rebours de l’intention, récemment manifestée par les autorités étasuniennes, de rappeler le combat commun des États-Unis et de l’URSS contre l’Allemagne nazie. Le mois dernier, le Kremlin et la Maison-Blanche avaient en effet commémoré un épisode de la Seconde Guerre mondiale dans une déclaration commune.
L’épisode en question datait du 25 avril 1945, lorsque les troupes américaines rejoignirent leurs homologues soviétiques sur les bords de l’Elbe, près de Torgau en Allemagne – une journée qui sera considérée comme une étape importante, symboliquement tout du moins, dans la défaite du régime nazi. « L’esprit de l’Elbe est un exemple de la manière dont nos pays peuvent mettre de côté les différences, instaurer la confiance et coopérer dans la poursuite d’une cause plus grande. Alors que nous travaillons aujourd’hui à affronter le défi le plus important du XXIe siècle, nous rendons hommage aux valeurs et au courage de ceux qui ont combattu ensemble pour vaincre le fascisme », écrivaient les présidences de Vladimir Poutine et Donald Trump. Cette déclaration commune d’avril, néanmoins, avait suscité des débats au sein de l’administration Trump selon le Wall Street Journal, certains responsables américains s’inquiétant de voir ce geste symbolique compromettre la ligne toujours dure de Washington vis-à-vis de Moscou.
Les libérateurs au drapeau rouge
Célébration de la victoire sur le nazisme, le 8 mai est l’occasion de rappeler qui a payé le prix fort pour nous en débarrasser : l’Union soviétique. De Moscou à Stalingrad, de Stalingrad à Koursk, de Koursk à Berlin, l’Armée rouge a éliminé la machine de guerre hitlérienne. Mais demander simplement qu’on le reconnaisse est sans doute beaucoup trop demander. Admettre que l’Armée rouge a libéré le monde de cette folie meurtrière fait partie des aveux dont l’Occident est incapable. Abreuvé des sornettes d’Hannah Arendt, il croit dur comme fer qu’Hitler et Staline étaient des frères jumeaux et qu’ils conspiraient pour dominer le monde. Rien de tel, décidément, pour alimenter la nouvelle guerre froide, calomnier la Russie, et se présenter comme un parangon de vertu.
On va nous raconter que le pacte germano-soviétique du 23 août 1939 est la cause de la Seconde Guerre mondiale, oubliant au passage ces accords de Munich, le 30 septembre 1938, où les glorieuses démocraties ont vendu la Tchécoslovaquie pour le plat de lentilles d’une paix illusoire. Mais peu importe : en histoire la chronologie est secondaire, disent les nouveaux pédagogues. Il ne manquera pas non plus d’experts pour accréditer la thèse d’une connivence entre Moscou et Berlin, alors que les élites occidentales ont joué Hitler contre Staline, et obstinément refusé les offres soviétiques visant à constituer un front commun contre les fascismes.
Mauvaise foi sans limite d’une propagande qui réécrit l’histoire à sa guise. Auto-promotion d’un Occident qui occulte ses propres turpitudes. Il ne lui suffit pas d’avoir attendu juin 1944 pour ouvrir un second front contre le Reich, laissant ainsi à l’armée soviétique la tâche colossale de vaincre la Wehrmacht. Il faut qu’il nie avoir commis cet abandon, qu’il se vante de ses exploits et qu’il se présente ingénument comme son propre libérateur. Quel lycéen français a-t-il entendu parler de l’opération Bagration, conduite par Joukov à l’été 1944, qui a détruit plusieurs armées allemandes et rendu possible le débarquement allié en Normandie ?
L’occultation de l’histoire, dès lors qu’elle ne souscrit pas aux présupposés de l’idéologie occidentale, est tellement commode. Ce n’est pas un hasard s’il est à la base de l’enseignement historique en France : le mythe des jumeaux totalitaires accrédité par Hannah Arendt fournit à cette réécriture de l’histoire un argumentaire en béton armé. Reductio ad hitlerum, la doctrine prescrit de voir dans le totalitarisme un monstre à deux visages. Elle prête à Hitler le vœu de s’entendre avec Staline pour écraser l’Occident libéral, mais sans dire pourquoi la machine de guerre nazie s’est déchaînée contre le peuple soviétique, Hitler invitant ses généraux à mener une guerre totale et à exterminer les cadres communistes.
Cette doctrine assène que l’idéologie et la terreur sont caractéristiques du régime totalitaire, alors qu’elles définissent tout aussi bien la domination impitoyable, justifiée par un racisme d’État, qui fut infligée par les puissances européennes aux peuples colonisés. De manière absurde, elle identifie l’idéologie nazie et l’idéologie soviétique, alors qu’il n’y a rien de commun entre la mystique de la race et le marxisme-léninisme. Elle prête au régime totalitaire (à deux faces) des ambitions conquérantes et agressives, en oubliant que la conquête territoriale et le pillage colonial, historiquement, caractérisent à merveille l’Occident capitaliste.
L’inconvénient de la vulgate arendtienne, c’est qu’elle regarde le monde d’un seul œil et qu’il est myope. Au lieu de corriger son interprétation à la lumière des faits, elle tord les faits pour les conformer à son interprétation. Les contradictions de l’histoire passent à la trappe, et elle enfile les abstractions comme on enfile des perles. Prouesses conceptuelles qui tournent à vide, et qui laissent la pensée orpheline d’une matière historique qu’elle a décidé d’ignorer. Loin de ces élucubrations, il y a urgence à ne plus s’en laisser compter. La romance occidentale, d’ailleurs, a-t-elle le moindre succès ailleurs qu’en Occident ? Comme on connaît la réponse à cette question, il ne reste plus qu’à balayer devant la porte.
En ce 8 mai 2020, rendons hommage à nos libérateurs au drapeau rouge.