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Kafr Kassem, 1956 : derrière le massacre, un plan d’expulsion des Palestiniens d’Israël

Des archives longtemps censurées confortent ceux qui lient le sort des quelque cinquante victimes arabes israéliennes du massacre de Kafr Kassem en 1956 en Israël à un plan officiel secret annulé trop tard. Le plan voulait forcer par la violence les Palestiniens israéliens de la région dite du « triangle » à fuir vers la Jordanie.

 

Ce 29 juillet 2022, la justice militaire israélienne a pris une décision qui a surpris maints observateurs en Israël : elle a levé la censure sur une partie des transcriptions du procès intenté en 1957 contre onze membres de la police des frontières (Magav) accusés d’avoir assassiné une cinquantaine d’Arabes israéliens l’année précédente dans le village de Kafr Kassem. Jusque-là, l’armée israélienne affirmait que cette censure s’imposait, car, argumentait-elle, la déclassification de ces documents porterait atteinte à la sécurité de l’État, à ses relations avec les entités étrangères, ainsi qu’à la vie privée et au bien-être de diverses personnes. Mais la ténacité d’Adam Raz, un jeune historien de l’Institut Akevot de recherche sur les conflits israélo-palestiniens (et qui a révélé le massacre de Tantura), a finalement prévalu, cinq années après le lancement de sa requête en annulation de censure.

 

La guerre contre l’Égypte de nasser

De quoi s’agit-il ? D’une terrible affaire en vérité. Le 29 octobre 1956, le jeune État d’Israël se lance dans une guerre contre l’Égypte du colonel Gamal Abdel Nasser aux côtés du Royaume-Uni et de la France en réponse à la nationalisation du canal de Suez. Selon le plan convenu avec Londres et Paris, l’État hébreu entame ce matin-là la conquête du Sinaï. Les dirigeants civils et militaires israéliens craignent que la Jordanie, à l’est, ne se sente contrainte d’appuyer militairement l’Égypte et ils décident de renforcer la surveillance de la « Ligne verte », la démarcation datant du cessez-le-feu en 1949 entre l’État d’Israël et le royaume de Jordanie. Profitant de la déroute des armées arabes, la Jordanie avait en effet annexé la Cisjordanie et Jérusalem-Est après l’indépendance d’Israël. Quant aux Palestiniens restés dans le nouvel État, communément appelés « Arabes israéliens », ils étaient considérés comme une minorité déloyale à l’État et subissaient à l’époque un régime militaire (qui ne sera levé qu’en 1966).

Dans ce contexte de guerre en 1956, un couvre-feu est imposé la nuit, notamment dans la zone dite du « Triangle » (les villages arabes israéliens le long de la Ligne verte au centre du pays). Une mesure très sévère : toute personne la violant risque d’être abattue séance tenante.

Ce 29 octobre, le responsable militaire de la zone, le colonel Issachar « Yiska » Shadmi, décide d’avancer le couvre-feu de trois heures et en avertit le moukhtar (maire) de Kafr Kassem à 16 h 30, une demi-heure avant la mise en place de la mesure coercitive. Le notable local objecte que quelque 400 villageois sont aux champs, parfois loin, et qu’ils ne pourront donc pas prendre connaissance du changement d’horaire en temps utile, mais Shadmi n’en a cure. Et lorsque des dizaines de villageois, dont plus de la moitié de femmes et d’enfants, arrivent après 17 h à proximité de chez eux, ils sont accueillis sans sommation par des salves de tirs d’armes de guerre. Entre 47 et 53 personnes, selon les sources, sont ainsi tuées de sang-froid.

 

Des condamnés rapidement libérés

Ces faits tels qu’ici énoncés ne sont nullement contestés en Israël où, malgré la censure militaire immédiate, ils commencèrent à se savoir dans les mois qui suivirent. Au point qu’en 1957 le gouvernement dut se résoudre à traduire en justice onze « sous-fifres », dont des chefs d’escouade. À l’issue d’un procès dont une partie importante se déroula à huis clos, huit condamnations à de longues peines de prison tombèrent (jusqu’à 17 ans), mais tous les condamnés seront graciés et déjà libérés en novembre 1959.

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« Taupe », le plan secret

Mais il manque à l’affaire de Kafr Kassem ainsi résumée une partie longtemps tenue sous silence. Il revint au journaliste israélien Ruvik Rosenthal de mettre au jour dans un article dans le journal Hadashot en 1991, puis dans un livre en hébreu paru en 2000, l’opération « Haferperet » (Taupe), qui devait être appliquée aux Arabes israéliens de la zone le cas échéant lors des événements de 1956.

« L’idée de ce plan, expliquait dans le Haaretz du 31 juillet 2022 l’historien Tom Segev, était d’exploiter une future guerre avec la Jordanie pour évacuer les villages arabes du Triangle. Une partie de la population fuirait vers la Jordanie, tandis que d’autres seraient envoyées dans des camps de détention en Israël ».

Mais c’est un autre historien israélien déjà cité, Adam Raz, qui se démène depuis de longues années pour prouver le lien intrinsèque existant, selon lui, entre l’opération Taupe programmée, mais annulée en dernière instance, et le massacre de Kafr Kassem. La confession édifiante du colonel Issachar Shadmi, notamment relayée par un long article dû à la plume d’Ofer Aderet dans Haaretz le 13 octobre 2018, a conforté l’historien dans sa thèse. Aderet et Raz avaient rencontré Shadmi en 2017 à son domicile, soit un an avant son décès. Malgré ses 96 ans, il avait gardé santé et lucidité.

Après son quasi-acquittement en 1958, raconte Aderet, « Shadmi célèbre sa "victoire" avec le premier ministre Ben Gourion, qui décrit dans son propre journal comment "nous avons bu à son exonération". Une fête a été organisée à Sdot Yam en présence du chef d’état-major Haïm Laskov et d’autres généraux. Pourtant, rétrospectivement, Shadmi a dit à Adam Raz et à moi-même que les expressions de joie étaient surtout destinées à la consommation publique ; il n’était pas du tout surpris par le verdict qu’il avait reçu. Il nous a dit que l’issue du procès, qu’il a qualifié de "pièce de théâtre" et de "procès-spectacle", était fixée dès le départ. »

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« Des ordres qui conduisaient à l’expulsion des villageois »

Le plan Taupe devait en somme rester enfoui sous terre. Mais, plus d’un demi-siècle plus tard, Adam Raz cherche à le divulguer, bien que le texte reste peut-être dissimulé quelque part dans les archives de l’armée israélienne. Le témoignage instructif de Shadmi publié en 2018 vient donc d’être corroboré par les minutes — rendues publiques ce 29 juillet 2022 — du procès des onze membres de la police des frontières jugés en 1957. Raz disait déjà ceci en 2018 : « Le massacre n’a pas été perpétré par un groupe de soldats qui étaient hors de contrôle, comme on l’a prétendu jusqu’à aujourd’hui. De leur point de vue, ils suivaient des ordres qui, par essence, devaient conduire à l’expulsion des villageois ». Les révélations du procès vont bien dans ce sens, et d’ailleurs le plan Taupe y fut mentionné à plusieurs reprises ; les soldats sur place avaient été mis au courant.

Ainsi, selon les dires de Chaim Levy, qui commandait la compagnie sud de la police des frontières supervisant Kafr Kassem, l’ordre de chasser les Arabes n’était pas écrit, mais verbal.

[...]

Le 29 juillet 2022, la députée palestinienne israélienne de la Liste commune Aida Touma-Sliman avait réagi à la publication tardive des protocoles :

« Aujourd’hui, ce que nous avons dit dès le premier jour a été révélé : le massacre choquant de Kafr Kassem en 1956 était un meurtre délibéré, faisant partie d’un plan de déportation des résidents du Triangle ! Les protocoles publiés prouvent qu’Israël n’a pas seulement assassiné de sang-froid cinquante citoyens arabes, mais qu’il a également planifié "l’établissement de lieux clos" et le "transfert de populations", non seulement en 1948, mais aussi sous le régime militaire des années 1950 ».

Épuration ethnique, camps, transfert de populations : ces notions hantent la population palestinienne d’Israël depuis l’origine de l’État. Le massacre de Kafr Kassem n’est qu’un des jalons les plus hideux de son histoire. Et le rejet, plusieurs fois répété par le parlement israélien, de la reconnaissance officielle du drame par l’État nourrit son ressentiment. La dernière tentative a donné lieu à un décompte édifiant : le 26 octobre 2021, seuls douze députés (dont onze Arabes) ont voté en faveur d’une proposition de loi visant à commémorer le massacre, et 93 l’ont repoussée.

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La version humaniste d’i24news

Les images d’époque (en anglais non sous-titré)

Comme prévu, sur E&R :

 






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