et 
!
Certains ont déjà été avalés par la Méditerranée. D’autres, rescapés, errent sur des bateaux de fortune, refoulés d’un port à l’autre. Les plus chanceux seront débarqués un jour quelque part. Nous les croiserons dans nos rues sans les voir. Que nous diraient-ils s’ils pouvaient nous adresser la parole de cœur à cœur ?
N’ayez pas peur, n’ayez pas peur de nous ; nous sommes comme vous.
Nous habitions une rue, nous habitions une ville, nous habitions dans un bled, nous habitions une adresse. Nous sommes de la famille des hommes.
Et un jour, risquant notre peau nous sommes partis de notre rivage. Suppliciés par la vie, malmenés par mille misères, barrés par l’arbitraire, la sagesse était de partir ; nous sommes partis ; à notre place, vous seriez partis, vous aussi. Cavalées les routes, traversées les frontières, achetés et vendus aux enchères comme du vil bétail, rescapés de terre de barbarie, chevauchant la mer, Bruxelles, Londres, Berlin, Rome, Madrid ou Paris comme étincelles dans nos yeux, nous marchons depuis l’autre rive, les vies fracassées, sans fortune, sans papiers, sans boussoles, l’espoir entêté.
Les jours hantés par la débine, les pieds usés de misères, nous marchons portant sur ce qui nous reste de spartiates la poussière de la solitude. Au fond de nos regards, le mal du chemin.
Nouées d’endurances, nos voix muettes et souriantes disant nos peines désespérées, nous râlons souvent en silence dans toutes les langues du monde, l’accent parfois âpre, espérant un signe, prêts à tout apprendre.
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