Le Président de la République est un homme de gauche, et il veut que cela se sache. C’est pourquoi il tient tant à ce que ses promesses de campagne, dont certaines – et en particulier celles dont le coût est très faible – soient appliquées par le gouvernement.
Il a promis la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim, au ravissement des Écologistes, pour 2016, et il a été ferme quant aux emplois aidés, qui devraient créer en 2013 environ 100 000 postes de travail. Notons qu’entre-temps, de septembre 2012 à décembre 2013, le chômage augmentera fortement. Ce sont probablement 700 000 personnes qui perdront leur emploi. Les promesses de François Hollande ne couvriront donc qu’un septième de l’accroissement probable du chômage.
Il veut aussi que l’on sache qu’il est un homme raisonnable. C’est pourquoi il fera voter par l’Assemblée Nationale le TSCG ou Traité sur la Stabilité, la Coordination et la Gouvernance. Ce Traité prévoit que le déficit total d’un pays de la zone Euro ne saurait excéder les 3% et que le déficit structurel, ne devrait pas excéder les 0,5%, laissant 2,5% de marge pour le déficit dit « conjoncturel ».
Le traité prévoit aussi l’adoption de la « règle d’or » limitant le déficit par une loi organique dans le cas de la France, ce qui serait plus contraignant qu’une loi normale mais sans aller jusqu’à l’inscription dans la Constitution. On peut se demander pourquoi tant d’acharnement dans la rigueur et l’austérité, alors que la situation économique de la zone Euro est critique, et celle de la France se dégrade désormais rapidement.
En effet, les données statistiques et les prévisions qui sont faites depuis la rentrée indiquent toutes une entrée dans la récession, voire la dépression. Mettons de côté le cas de la Grèce, qui s’enfonce toujours plus dans une crise terrible, et du Portugal, qui l’imite avec un an de retard. Mettons aussi de côté le cas de l’Irlande, où l’économie se dégrade de nouveau après une embellie de courte durée en 2011. Ce sont des économies de petite taille, certes à l’évolution très symptomatique, mais dont le poids est insuffisant pour tirer vers le bas la conjoncture dans la zone Euro.
Le problème par contre est bien plus grave si l’on regarde l’Espagne et l’Italie. L’Espagne ne cesse de corriger ses données passées à la baisse. L’économie y est à l’arrêt, et 2012 devrait se clore sur une chute de la richesse nationale (le PIB) d’au moins 2%. En Italie, la récession est aussi évidente, et le PIB devrait reculer cette année d’environ 1%, et continuer son recul en 2013. La France, quant à elle, est actuellement en stagnation, avec une croissance de 0% comme l’indique la Banque de France. Elle devrait connaître une récession dès la fin de l’année 2012 et le début de 2013.
Le lien entre les mesures d’austérité ou de rigueur et le climat récessif a été établi depuis des mois. Pourtant, François Hollande persiste ; pourquoi ? La réponse tient en deux paris qu’il fait.
Le premier porte justement sur le TSCG. Ce dernier est censé signifier un engagement de « sérieux » des pays signataires, en échange de quoi l’Allemagne pourrait assouplir son attitude sur la BCE et accepter de financer des pays comme la Grèce et le Portugal qui auront besoin d’une aide supplémentaire. François Hollande fait le pari que ce qui importe est le vote et non l’application du traité. Déjà, en retenant une hypothèse de croissance de 0,8% pour l’année 2013, le gouvernement français indique bien qu’il n’a nullement l’intention de réduire le déficit budgétaire, qui se situe autour de 5%.
Cette hypothèse est parfaitement irréaliste. En admettant que la croissance ne recule que de -0,5% en 2013, l’écart entre les prévisions et la réalité serait de 1,3%, soit 26 milliards d’euros environs. Cela signifie qu’il manquera à peu près 12 milliards de recettes fiscales. Comme les dépenses continueront de monter, ne serait-ce qu’en raison de la récession, on devrait aboutir à un surcroît de déficit de 20 milliards d’euros, soit approximativement 1% du PIB. Une situation analogue se produira dans de nombreux pays de la zone Euro, et François Hollande fait donc le pari qu’aucun pays ne mettra en place les structures coercitives prévues dans le TSCG, et que la Commission de Bruxelles, devant une mauvaise volonté généralisée, n’appliquera pas les sanctions qui sont prévues dans ce traité.
Là où le pari prend l’eau, c’est qu’une loi, ou un traité, est faite pour être appliquée. Si ce n’est pas le cas, c’est la crédibilité générale des gouvernements et des gouvernants qui est atteinte. Dès que l’on verra vers quoi nous nous acheminons, il est clair que la spéculation reprendra de plus belle, et cette fois-ci touchera de plein fouet la France. C’est donc un pari bien dangereux, et un pari que François Hollande va perdre.
Le second pari porte sur le chômage. François Hollande semble se résoudre à une forte montée de ce dernier en France. Mais, il espère que ceci ne sera que momentané. D’ailleurs, il a dit dans sa récente intervention sur la chaîne de télévision TF1 qu’il se donnait pour tâche d’inverser le mouvement du chômage à la rentrée de 2013. Le pari réside ici dans l’espoir que la conjoncture internationale s’éclaircira dès l’été 2013, et que la croissance hors de la Zone Euro tirera cette dernière de la trappe récessionniste dans laquelle elle s’est enfermée. D’ici là, François Hollande compte sur les emplois aidés pour apaiser une partie du malaise social qu’il sent monter.
Mais, si l’on regarde les autres régions économiques du monde, on voit que rien ne vient conforter ce second pari. La Chine se prépare à une longue période de récession, et probablement de troubles politiques. Il est exclu qu’elle puisse jouer le rôle de tracteur de l’économie mondiale. La même chose peut être dite de l’Inde, qui elle aussi semble bien engagée dans une période de récession. Quant aux États-Unis, l’assouplissement monétaire auquel se livre la Réserve Fédérale (le QE-3) devrait y stabiliser la situation, mais ne saurait permettre une relance que quelque importance. Les problèmes économiques des États-Unis sont structurels, et caractérisés par un investissement très faible et une désindustrialisation avancée.
Sur ce point également François Hollande a toutes les chances de perdre son pari. Non seulement nous n’assisterons pas à une stabilisation, voire une légère régression du chômage à partir de septembre ou d’octobre 2013, mais tout laisse penser qu’il continuera de monter. Nous devrions arriver, à la fin du mois de décembre 2013, au chiffre jamais vu de 3,7 à 4 millions de chômeurs. Et rappelons que ces chiffres n’incluent pas les personnes « parquées » dans les divers dispositifs mis sur pied depuis plus de vingt ans. Le nombre réel de personnes exclues du marché du travail sera en réalité plus proche des 6 millions que des chiffres officiels.
Qu’un homme politique fasse des paris sur l’avenir est une chose normale. Mais, quand il s’agit de la politique d’un pays, on est endroit de s’attendre à ce que la fourchette des probabilités soit nettement plus ouverte que ce que l’on a aujourd’hui. En fait, ces paris ne sont que la forme d’un renoncement. La vérité est que François Hollande se résout à faire des paris, dont il ne peut ignorer qu’il a toutes les chances de les perdre, uniquement pour éviter de prendre des décisions certes pénibles mais inévitables. On sait bien que la crise de la zone Euro est avant tout une crise de compétitivité. On sait bien aussi que la solution la plus efficace et la plus facile pour restaurer la compétitivité consiste à dévaluer. Mais, pour cela, il faudrait dissoudre la zone Euro.
Face à cette perspective, François Hollande se comporte comme un enfant qui a mal aux dents mais qui a encore plus peur du dentiste. Sur le fond, il n’est pas dupe. Ce serait un grand tort de mésestimer son intelligence. Il sait que cette solution s’imposera. Mais, pour l’instant, la peur du dentiste, et de la dissolution, l’emporte. Il cherche donc à gagner du temps, et il fait des paris, certes « rationnels », mais dont sait aujourd’hui qu’ils seront perdus.
Peut-être espère-t-il en un événement imprévu que lui sauverait la mise ? Mais ceci est un troisième pari, et celui-ci parfaitement irrationnel.