Bvoltaire : Vous venez de signer Osons dire la vérité à l’Afrique consacré à l’Afrique noire. Le moins qu’on puisse dire est que le constat que vous en dressez n’est pas des plus brillants. À croire que, pire que la colonisation, il y a désormais la post-colonisation, avec les pillages de richesses, la corruption qui monte, conjointement avec la pauvreté…
Bernard Lugan : En 1962, René Dumont publia L’Afrique noire est mal partie, livre dont le titre était aussi fort que faux car, à l’époque, le monde en perdition n’était pas l’Afrique mais l’Asie, alors ravagée par de terrifiantes famines et de sanglants conflits : guerre civile chinoise, guerres de Corée, guerres d’Indochine et guerres indo-pakistanaises. En comparaison, durant la décennie 1950-1960, les habitants de l’Afrique mangeaient à leur faim, étaient gratuitement soignés et pouvaient se déplacer le long de routes ou de pistes entretenues sans risquer de se faire attaquer et rançonner… Mais c’était au « temps des colonies », époque devenue « honteuse » et dont il n’est plus permis de parler que d’une manière négative.
Soixante-dix ans plus tard, le contraste est saisissant : du nord au sud et de l’est à l’ouest, le continent africain est meurtri. De la Méditerranée aux prolongements sahariens, la dislocation libyenne entretient un foyer majeur de déstabilisation. Dans le cône austral, ce qui fut la puissante Afrique du Sud sombre lentement dans un chaos social duquel émergent encore quelques secteurs ultra-performants, cependant que la criminalité réduit peu à peu à néant la fiction du « vivre ensemble ».
De l’Atlantique à l’océan Indien, toute la bande sahélienne est enflammée par un mouvement à la fois fondamentaliste et mafieux dont les ancrages se situent au Mali, dans le nord du Nigeria et en Somalie ; plus au sud, la Centrafrique a explosé, cependant que l’immense République démocratique du Congo n’en finit pas de mourir.
Humainement, le désastre est total avec des dizaines de milliers de boat people qui se livrent au bon vouloir de gangs qui les lancent dans de mortelles traversées en direction de la « Terre promise » européenne. Les crises alimentaires sont permanentes, les infrastructures de santé ont disparu comme l’a montré la tragédie d’Ebola en Afrique de l’Ouest, l’insécurité est généralisée et, contrairement à ce qu’affirment médias et « spécialistes », la pauvreté atteint des niveaux sidérants. Économiquement, et à l’exception d’enclaves dévolues à l’exportation de ressources minières confiées à des sociétés transnationales sans lien avec l’économie locale, l’Afrique n’existe pas, même si certains pays-comptoirs connaissent une réelle prospérité.