La position du Hamas sur la guerre au Yémen, qui le rapproche de l’axe dit sunnite, va peut-être redessiner la carte de ses alliances politiques dans la région.
Avec la poursuite de l’opération Tempête décisive que la coalition dirigée par l’Arabie Saoudite mène au Yémen contre les Houthis, depuis le 26 mars, les prises de position - certaines pour et d’autres contre – sur l’opération se multiplient, ce qui redessine la carte des alliances dans la région.
Le Hamas a annoncé sa position sur la guerre le 30 mars, dans un bref communiqué en soulignant son attachement à la légitimité politique au Yémen, et au droit du peuple yéménite à choisir démocratiquement son leader. Le communiqué a souligné que le Hamas souhaite que l’unité et la sécurité règnent au Yémen et que le dialogue et le consensus entre ses habitants soient favorisés. Le communiqué dit aussi que le mouvement soutient tout ce qui favorise la sécurité et la stabilité de toute la région arabe et rejette tout ce qui nuit à sa sécurité et à sa stabilité.
C’est probablement la crainte du coût politique élevé d’une prise de position pour ou contre la guerre contre les Houthis - en soulevant la colère de l’Arabie saoudite qui dirige la coalition, ou de l’Iran qui soutient les Houthis qui explique que la seule déclaration publiée par le Hamas sur le Yémen ait été rédigée avec tant de prudence et de réserve.
Pour le Hamas, le communiqué officiel annonçant sa position sur le Yémen est aussi sensible que l’avait été celui qui avait suivi le déclenchement de la révolution syrienne, le 2 avril 2011.
À l’époque, la Syrie et l’Iran avaient estimé que la déclaration du Hamas signifiait qu’il soutenait les rebelles contre le régime. Cela avait causé une rupture historique entre le Hamas et ce qu’on appelait alors "l’axe de la résistance et de l’opposition" et le fossé n’a pas été comblé à ce jour. C’est pourquoi, le Hamas a tenu des consultations internes pendant plusieurs jours avant de donner sa position sur la guerre au Yémen, en utilisant des expressions dont l’interprétation peut évoluer en fonction des changements éventuels et qui sont en mesure de satisfaire la plupart des parties impliqués dans la crise yéménite.
Ce qui est étrange, c’est que le Hamas et le Fatah sont d’accord avec la guerre au Yémen. Le président du Fatah, Mahmoud Abbas, a dit, le 5 avril qu’il y avait un consensus arabe sur la guerre et que les Palestiniens adhéraient au consensus.
C’est d’avec ses alliés de la résistance palestinienne que le Hamas diffère sur la guerre au Yémen. Le Jihad islamique a dit le 29 mars que la guerre au Yémen ne servait pas la cause palestinienne et que ceux qui en tiraient le plus de profit étaient Israël et les Etats-Unis.
Le même jour, le Front Populaire pour la Libération de la Palestine a condamné ce qu’il considérait comme une agression soutenue par les Américains contre le Yémen, et a condamné toute ingérence dans les affaires étrangères du pays.
La déclaration officielle du Hamas sur le Yémen ne prend pas clairement position pour l’un ou l’autre camp du conflit, mais quand on lit entre les lignes on s’aperçoit que le Hamas maintient son soutien tacite au président démocratiquement élu, Abed Rabbo Mansour Hadi, qui bénéficie de la reconnaissante internationale et régionale.
S’exprimant le 30 mars lors d’une conférence politique dans la bande de Gaza où Al-Monitor était présent, le directeur adjoint du bureau politique du Hamas, Ismaïl Haniyeh, a déclaré : "Les Arabes vivent aujourd’hui une période difficile de l’histoire de la région. Il y a des menaces, des conflits et des polarisations ; et ils ont le droit de protéger leurs pays".
Dire que les États arabes ont le droit de sécuriser leurs propres pays, équivaut à une approbation tacite de l’opération militaire en cours contre les Houthis au Yémen. La déclaration d’Haniyeh est sur la même ligne que les accusations de Riyad contre les Houthis qui menaceraient la sécurité du Yémen et les frontières des pays voisins du Golfe.
Cette position a été clarifiée par Ahmed Youssef, un ancien conseiller de Haniyeh, qui a dit à Al-Monitor : "L’Arabie Saoudite s’efforce de se concilier le Hamas. La région du Golfe craint la propagation chiite dans la région, ce qui incite le roi Salman [n bin Abdul-Aziz Al Saoud] à [essayer] d’unifier les sunnites contre les chiites. Les pays du Golfe ont le droit de défendre leurs intérêts à Bab al-Mandeb et dans la mer Rouge".
Mais Mahmoud al-Zahar, membre du bureau politique du Hamas qui dirige un courant important du Hamas en faveur d’un rapprochement avec l’Iran, a annoncé plus clairement le 29 mars que le Hamas ne soutenait ni ne s’opposait à l’opération Tempête décisive, en spécifiant que le Hamas appelait à l’unité du Yémen dans le cadre du droit.
Bien que l’Iran n’ait pas réagi à l’annonce de la position du Hamas sur la guerre au Yémen, des sources médiatiques proches du Hezbollah ont critiqué la déclaration du Hamas. Selon Al-Akhbar le 30 mars, le soutien implicite du Hamas envers l’Arabie Saoudite est le signe d’un profond différend entre les ailes politique et militaire du mouvement en ce qui concerne l’opération au Yémen, mais il n’a offert aucune preuve à l’appui de cette allégation.
Pourtant, un ancien membre du Conseil de la Choura iranien a déclaré, sous couvert d’anonymat, à Al-Monitor : "Le Hamas n’a pas tiré d’enseignement de sa précédente prise de position sur la Syrie. Bien que sa déclaration sur le Yémen n’ait pas eu pour objet de provoquer l’Iran, il est clair qu’elle manifeste un parti-pris en faveur de l’Arabie Saoudite, ce qui signifie que le Hamas tourne - pour la deuxième fois - le dos à celui qui l’a soutenu en lui donnant de l’argent et des armes."
Le 30 mars, le site officiel du Hamas a publié une analyse de la déclaration du mouvement, affirmant que sa position était équilibrée, et a adopté la logique de l’Arabie Saoudite en soutenant la légitimité du président yéménite. Il semble, selon l’analyse, que le Hamas cherche à prendre sa place dans l’appareil arabe officiel et, à cette étape délicate, accepte la direction de Salman, la préférant à d’autres alliances. L’analyse souligne, toutefois, que le Hamas ne veut mécontenter aucun des camps impliqués dans le conflit, car il a aussi des relations avec des puissances internationales et régionales comme la Russie et l’Iran.
Ces derniers jours, il y a eu, en Palestine sur les réseaux sociaux, de vifs débats politiques sur la position du Hamas sur la crise yéménite. Certains ont appelé le mouvement à garder le silence et à ne pas commenter la guerre en cours afin d’éviter une réédition de la crise avec la Syrie et l’Iran. Cependant, d’autres pensaient nécessaire que le Hamas annonce sa position du fait des tensions confessionnelles dans la région, pour ne pas rester simple spectateur de l’expansion régionale de l’Iran au détriment des pays arabes.
Mohammed Nazzal, un membre du bureau politique du Hamas, a déclaré à Al-Monitor : "Le Hamas s’engage à suivre une politique de non-ingérence dans les affaires intérieures des autres états, mais parfois des événements de grande importance s’imposent sur la scène politique de la région et ont un impact significatif sur la cause palestinienne. Il était donc nécessaire de clarifier notre position, pour éviter toute confusion ou malentendu".
Peut-être le soutien des Frères musulmans à la guerre au Yémen, annoncé le 2 Avril, a-t-il joué un rôle dans la position du Hamas sur cette crise, car le mouvement se considère comme faisant partie des Frères musulmans.
Enfin, la position du Hamas sur la guerre au Yémen redessine la carte de ses alliances politiques dans la région, puisque cela le rapproche de l’axe dit sunnite, qui est dirigé par l’Arabie Saoudite et qui comprend la plupart des pays du Golfe, l’Égypte et la Turquie. Toutefois, la déclaration du Hamas laisse la porte ouverte à un rapprochement avec l’Iran et ne coupe pas les liens avec ce pays, puisque le Hamas a évité de mentionner l’opération Tempête décisive par son nom dans sa déclaration.
Le nouvel alignement du Hamas aux côtés de l’Arabie Saoudite s’explique peut-être par le fait que les tentatives de rapprochement du mouvement avec l’Iran de ces derniers mois ne se sont pas traduites par une totale normalisation des relations qui aurait assuré au Hamas le renouvellement du soutien financier et militaire iranien. L’Iran continue de vouloir imposer des conditions impossibles au Hamas et ses offres de "flirt" n’ont pas eu l’effet escompté, comme le montre un article d’Al-Monitor sur ce thème.