Attention, chronique truffée de chiffres qui touchent à l’économique et au social. Tous les chiffres du monde ne valent rien devant la réalité d’une seule vie, mais les chiffres nous permettent de faire émerger des tendances lourdes, et donc des évolutions. Naturelles, ou moins naturelles.
25% des Français sont à découvert chaque mois
La banque de dépôt française est maligne : elle gagne sur les comptes des riches, car elle utilise leur argent, avec un effet démultiplicateur de crédit, et elle gagne sur les pauvres, en leur faisant payer agios et frais au moindre écart. La pauvreté, c’est quelque chose qui coûte, une sorte de luxe. Certes, les comptes bien dodus rapportent, en théorie. Mais jamais plus que le coût de la vie, faut pas prendre les banquiers pour des ânes. Non, ce qui rapporte vraiment, hormis les « produits financiers », qui peuvent être risqués, c’est la pierre. Ah, la pierre. La France, c’est le pays de la pierre. Dès que les gens font trois sous, ils achètent de la pierre. Car la pierre, comme l’or, reste.
Et l’activité ? La banque soutient l’activité, et donc les entreprises, mais jusqu’à un certain point. En cas de création de petite et moyenne entreprise – dont on rappelle qu’elle fait l’embauche et le tissu social du pays – les dossiers sont épluchés à la loupe, la prise de risque est minimale, le prêt rare. On ne va pas en plus demander à la banque française d’avoir de l’audace et de l’imagination… sauf pour pomper ses clients.
Il ne s’agit pas de la sempiternelle charge gauchiste anti-banque, simplement d’une photographie grossière de la banque d’aujourd’hui. Pour le banquier, mieux vaut un fonctionnaire avec des revenus stables (au nombre de 5 640 000) qu’un créateur d’entreprise avec des rentrées fluctuantes. Au bout du compte, une vitalité économique freinée, qui n’est pas ce qu’elle devrait être : les Français ont des idées, mais leur réalisation peine. Reconnaissons une chose : la « science » économique n’est pas le point fort de notre pays. Les gens qui fourmillent d’idées ignorent souvent la gestion d’une entreprise, et les accidents sont nombreux. Le maquis administratif et les ponctions impitoyables de l’État n’améliorant pas les choses, il faut le dire. Résultat, l’ingéniosité naturelle des Français ne trouve pas la traduction qu’elle mérite dans le monde de l’entreprise, c’est-à-dire de l’enrichissement collectif.
La France des déserts médicaux
Pour des raisons économiques (remboursement d’emprunts toxiques, diminution du budget de la Santé), des services d’urgence (10% en tout) et des hôpitaux disparaissent lentement des provinces françaises. Le principe de la prise en charge rapide (« aucun Français ne doit se trouver à plus de 30 minutes de soins d’urgence » promettra Hollande en 2012) est théoriquement assuré sur tout le territoire, mais avec une élasticité grandissante. Parfois, le tissu se déchire, et c’est l’accident médical. Normalement, une personne victime d’une attaque cardiaque doit être secourue en 30 minutes, car la mort survient dans les 4 heures. Une femme enceinte à terme ne peut pas faire 150 kilomètres pour trouver le premier service obstétrique, surtout si l’accouchement présente un risque. Mais il n’y a pas que les hôpitaux : il y a aussi les médecins.
Le temps d’attente pour un rendez-vous avec un praticien est de 16 jours en Saône-et-Loire, contre 6 dans l’ensemble du pays. Pour ce qui concerne les spécialistes, par exemple les ophtalmologistes, le délai monte à 85 jours en moyenne. Et il grandit d’année en année. Mais là aussi, les statistiques montrent des disparités selon les territoires : 20 jours dans les Alpes-Maritimes, contre 168 dans le Finistère !
2,5 millions de Français sont concernés par les déserts médicaux. Les Côtes d’Armor voient leurs médecins généralistes partir à la retraite, sans être remplacés. La population des villages vieillit, l’école et la Poste ferment, diminuant encore l’attractivité du coin. Ces trous médicaux coïncident avec des trous de services publics. La qualité de la vie en prend un coup dans l’aile.
46% des Français trouvent que la vie « était mieux avant »
Oui mais avant quoi ? Entre Patrick Calvar de la DGSI qui nous promet des tueries de masse en voiture piégée comme à Bagdad, et les 7 millions de chômeurs toutes catégories confondues, c’est sûr que la vie était meilleure en 1967, quand la France était au top de sa forme.
Le 13 juillet 1967, il y a 50 ans, l’Agence Nationale pour l’Emploi, qui allait devenir tristement célèbre, était créée. À l’époque, le secrétaire d’État chargé de l’Emploi s’appelle Jacques Chirac, un jeune loup aux dents longues. Sa carrière décollera, le chômage aussi. En 1968, année bénie, la France compte 100 000 pointeurs (au chômage). Il y a du boulot, on importe des travailleurs de partout, on peut faire son trou dans une boîte facilement, l’avancement quasi-automatique marche à l’ancienneté, la France et les Français s’enrichissent, jusqu’au premier choc pétrolier.
La barre du million de chômeurs est passée en 1976, celle des 2 millions fin 1981, en pleine vague rose. Il faudra attendre 20 ans pour passer les 3 millions (1996). Après un petit mieux en 2000-2001, sous Jospin, qui bénéficiera d’une conjoncture économique favorable (la fameuse « bulle »), le chômage repartira vers les sommets que l’on connaît. Officiellement, 3,5 millions de sans-emploi en catégorie A, qui ne compte pas les demandeurs d’emploi qui travaillent moins de 78 heures dans le mois. Le Pôle Emploi définit 5 catégories, et dans les trois premières on est tenu de faire des actes de recherche positifs. Le total fait en réalité 6,15 millions de personnes pas ou peu employées.
Si l’on ajoute à ce tableau l’incroyable inflation due au passage à l’euro (dont on ne connaîtra sans doute jamais le taux réel, sauf les scrupuleux qui ont noté année après année le prix en francs des tomates en 2002 et qui ont calculé la différence avec le prix en euro d’aujourd’hui, moins la petite inflation officielle moyenne de 2% par an depuis 15 ans), et son impact violent mais non reconnu par les autorités sur le panier ou le caddy de la ménagère, plus la dégradation de la qualité de la vie sociale (rue, école, transport, hôpital), alors là oui, c’était mieux avant.
Une question demeure : est-ce l’évolution naturelle d’un pays dit vieillissant (mais avec la première natalité européenne), ou une évolution politique ? Tout est là.