Nul ne peut rester indifférent devant les images effroyables qui nous viennent de Homs. Nul ne peut rester de marbre devant la souffrance de ces familles terrées dans leurs caves, sans pain, sans eau et sans espoir. Les obus pleuvent et s’écrasent dans un bruit assourdissant, fauchant des vies sans demander l’âge ni l’identité de leurs victimes.
Devant le drame de Homs, on ne peut qu’éprouver rage et colère à l’encontre du président syrien, de son parti et de son armée.
Mais ce camp aujourd’hui en pleine offensive après avoir été totalement débordé par la violence terroriste (1), est-il le seul à blâmer ? L’Armée syrienne libre (ASL) qui, depuis des mois, tient des quartiers entiers en otage, entraînant une partie de la population dans une aventure militaire incertaine n’est-elle pas autant responsable de cette tragédie ?
Début novembre, le régime de Damas avait promis une amnistie à tous les insurgés qui rendraient leurs armes pour autant qu’ils n’aient pas de sang sur les mains.
Si l’on peut légitimement douter de la bonne foi du régime, rappelons-nous tout de même que ce type d’engagement gouvernemental a été respecté et même validé par les observateurs de la Ligue arabe (2).
Au lendemain de cette promesse d’amnistie, la porte-parole du Département d’Etat américain Victoria Nuland avait appelé les insurgés à ne pas rendre les armes. Par leur soutien affirmé au terrorisme et au chaos, les États-Unis n’ont-ils pas mis de l’huile sur le feu ?
Quant à la stratégie de ces rebelles fanatiques qui espéraient, comme en Libye, un appui aérien de l’OTAN pour poursuivre leur avancée vers la capitale et entraîner la chute du régime à tout prix n’est-elle pas insensée sinon criminelle vis-à-vis des millions de victimes potentielles ? Que dire aussi des actes terroristes commis par ces mêmes rebelles ?
A Homs, ils ont procédé à une véritable épuration ethnique, chassant et liquidant chrétiens, alaouites ou sunnites pro-régime des quartiers qu’ils contrôlent. N’allez pas croire que notre grande presse va émettre un soupçon de reproches aux terroristes sectaires qui se servent de boucliers humains.
Que nenni, quand il s’agit de défendre Israël et d’affaiblir l’Iran, l’ASL et ses bataillons salafistes parrainés par l’Arabie saoudite, le Qatar, le Courant du futur des Hariri et Al Qaida, sont les meilleurs alliés donc forcément de gentils militants pro-démocratie.
Le 28 janvier, nous avons tous été bouleversés par les images du massacre d’une famille sunnite à Nasihine, femme, enfants et bébés inclus. Dans ce quartier de Homs, ce jour-là, douze innocents, douze membres de la famille Bahader, ont été froidement assassinés.
Sans la moindre preuve, le reporter photo du journal Le Monde répondant du pseudonyme de Mani avait mis ce crime horrible sur le compte des milices loyalistes recrutées, dit-on, parmi les alaouites. Le lendemain, on apprit que cette famille sunnite était en fait devenue la cible des rebelles parce qu’elle « collaborait avec le régime ».
En fait, Abdel Ghani, le père de famille était un fonctionnaire du gouvernorat de Homs. Un homme sans histoires. Lui et son frère Ghazouan qui est un chauffeur attaché au même gouvernorat, avaient reçu de nombreuses menaces de mort de la part des rebelles.
Abdel Ghani souhaitait déménager pour éviter toutes représailles de la part de l’ASL qui voulait l’enrôler de force. Mais la barbarie terroriste l’attendit au tournant, lui et sa famille.
Le 23 février, un groupe armé commit un nouveau massacre d’innocents. Quartier visé : al-Arman al-Janoubi à Homs. Les victimes : un couple et leurs quatre enfants. Les terroristes ont d’abord ligoté Mohamed Ryad Darwich, sa femme et ses enfants avant de les torturer à coups de poignards.
Les victimes ont été mutilées méthodiquement par des tortionnaires qui ont poussé le vice jusqu’à écrire des mots sur leurs corps à l’aide de leurs poignards.
Ils ont ensuite mis le feu à la maison de cette famille. Entre le massacre des familles Bahader et Darwich, on ne compte plus les exécutions sommaires perpétrées par les terroristes.
Des centaines de civils et de militaires pro-régime ont subi le même sort. Ces événements et bien d’autres encore témoignent de ce que l’horreur ne se trouve pas dans un seul et même camp.
Tout ça pour ça ?
Peu d’analystes s’interrogent sur les réelles motivations des rebelles. Se rebeller, c’est bien. Encore faut-il avoir une raison valable, une réelle alternative démocratique et utiliser les moyens adéquats pour y parvenir.
Nous savons toutes et tous que les rebelles veulent renverser le régime. Ce programme aurait été légitime s’il eut obtenu la confiance de la majorité des Syriens.
Or, des millions de citoyens aspirent à une démocratisation dans le cadre du régime actuel. Ils l’ont maintes fois exprimé lors de manifestations monstre ou du référendum constitutionnel du 26 février 2012. En effet, 89,4 % de votants soit près de 7,5 millions des 14.589.954 inscrits sur les listes électorales ont approuvé la nouvelle Constitution syrienne qui abolit la suprématie du parti Baas « sur l’Etat et la société ».
Malgré cette réalité, l’intransigeance des insurgés est totale. Ils excluent ainsi tout compromis, toute négociation, toute réforme et tout règlement politique. Seule une élimination radicale du régime baassiste qui revendique pourtant près de deux millions de membres pourra les satisfaire. Aux insurgés djihadistes, il faut tout, tout de suite. Qu’importe pour eux que la majorité des Chrétiens, des Druzes, des Alaouites, des Arméniens, des Sunnites kurdes ou arabes ne les suivent pas.
Devant leur empressement, je ne peux m’empêcher de penser aux rebelles colombiens qui résistent depuis près de 50 ans envers et contre tout. Ces insurgés là n’ont droit à aucune compassion de la part de « nos » armées philanthropiques.
Le sol de leurs jungles et de leurs montagnes regorgent pourtant de cadavres, celui de dizaines de milliers de syndicalistes, de paysans, de femmes et d’enfants assassinés par les escadrons de la mort agissant pour le compte de « nos » gouvernements.
D’autres mouvements de libération résistent à la tyrannie, seuls dans leur maquis. Depuis des lunes. Comme les Tigres de l’Eelam Tamoul. Leur encerclement et leur anéantissement par l’armée sri-lankaise en 2009 n’a pas suscité l’indignation internationale que nous connaissons depuis des mois en faveur de l’ASL.
Nos rebelles syriens, eux, veulent la victoire illico. Servie sur un plateau d’argent. De préférence avec show laser dans le ciel nocturne de Damas et d’Alep. « Déroulez-nous le tapis de bombes » martèlent-ils à leurs amis atlantistes et wahhabites.
Et pour faire quoi messieurs ? Une fois installés au pouvoir, le Conseil national syrien (CNS) alias « Conseil d’Istanbul » et l’Armée syrienne libre (ASL) prendront la courageuse décision de rompre le lien Damas-Téhéran. Ils souhaiteraient également couper les ponts avec les patriotes libanais rassemblés autour du Hezbollah.
Dans une interview accordée au Wall Street Journal, le président du CNS Burhan Ghalioun, a affirmé vouloir négocier avec Israël, notamment au sujet de la restitution du Golan « en misant sur nos relations spéciales avec les puissances européennes et occidentales (sic) ». (3)
En d’autres termes, Ghalioun rêve d’une Syrie apprivoisée et docile. Une Syrie asservie aux puissances coloniales. Une Syrie dénaturée, défigurée, dépersonnalisée. Le triste jeu des insurgés de Homs en vaut-il vraiment la chandelle ?
Comment aurait réagi un Etat occidental dans pareille situation ?
On l’a vu à l’œuvre maintes fois : lorsqu’il se sent ou se trouve réellement attaqué, le régime syrien peut s’avérer être excessivement brutal et sanguinaire. Ce mécanisme d’autodéfense est toutefois loin d’être exceptionnel.
En effet, dictature ou pas, tout système politique qui se veut responsable à l’égard de ses citoyens ou qui désire juste sauver sa peau, aurait tendance à montrer ses dents dans une situation de violence extrême.
C’est d’autant plus vrai pour une nation dont les ennemis extérieurs n’ont ni le profil, ni l’armement ni l’appétit expansionniste des îles Kiribati, d’Andorre ou du Liechtenstein. C’est une nation qui, de surcroît, s’est aliénée une partie de sa population pour de multiples raisons parmi lesquels le massacre de Hama commis en 1982.
L’impunité que s’offre le régime syrien depuis la boucherie de Hama couplée à l’esprit revanchard des djihadistes et à l’incompatibilité existentielle entre les principes laïcs du pouvoir et la charia entretiennent un climat de guerre larvée qui peut à tout moment dégénérer en conflit ouvert.
En Europe de l’ouest, depuis la seconde guerre mondiale, nous n’avons certes pas de situation équivalente à celle de Homs. Non pas que nos élites et leurs armées sont plus pacifistes mais parce que l’exploitation des pays du Sud notamment par le mécanisme de l’endettement, ont permis aux bourgeoisies européennes de s’offrir une relative paix sociale, de nous concéder quelques droits moyennant notre démobilisation, ce que l’on appelle en turc « la part du silence ».
Nos élites ont, pour ainsi dire, construit et renforcé leur stabilité sur le malheur des plus faibles. Cela n’a pas empêché les pays occidentaux d’être régulièrement confrontés à des troubles sociaux et des crimes relevant davantage du droit commun à l’instar des Fort Chabrol ou des prises d’otages.
Dans bien des cas, les forces d’intervention policières d’Europe ou des USA ne font pas dans la dentelle. Si les forcenés n’obtempèrent pas, ils sont froidement abattus. Et cela, au nom de la sécurité des citoyens.
Or, à Homs, certains Fort Chabrol durent depuis des mois et s’étendent sur des quartiers entiers. De plus, leurs auteurs tirent sur tout ce qui bouge, plongeant des populations entières dans un climat de terreur permanent qui fait bien souvent regretter l’environnement sécuritaire imposé par le régime syrien.
En tant que garante de la souveraineté nationale et de l’intégrité territoriale de la Syrie, l’armée gouvernementale était tenue d’intervenir dans les quartiers de Homs tombés en dissidence. Cette même armée avait d’ailleurs été vivement critiquée pour son laxisme par les habitants des secteurs soumis aux tirs provenant des quartiers insurgés.
A ceux qui l’ignorent, il convient de rappeler que depuis l’après-guerre, les pompiers pyromanes de l’OTAN ont maintes fois tiré « sur leurs propres citoyens » pour bien moins que ça. Le 13 mai 1985, une paisible communauté africaine baba cool de Philadelphie appelée Move fut arrosée de napalm pour avoir voulu vivre en autarcie. Onze personnes dont dix enfants périrent dans les flammes occasionnées par la bombe larguée depuis un hélicoptère de la police. Les habitants de l’immeuble ne menaçaient pourtant personne.
Il y eut par ailleurs l’écrasement de la mutinerie de la prison d’Attica dans l’Etat de New York en 1971, le siège de Waco au Texas en 1993 contre la communauté des Davidiens (86 morts), le Bloody Sunday en Irlande, le massacre de Polytechnique en Grèce, les opérations militaires dans les prisons turques de Diyarbakir, Ümraniye, Ulucanlar, Bayrampasa ou dans les villes kurdes de Lice et de Cukurca en Turquie...
Sans parler des guerres secrètes de l’OTAN : tueries du Brabant, attentats de la gare de Bologne, de la Piazza Fontana à Milan, de la place Taksim, de la place Beyazit et du quartier de Gazi à Istanbul, ou encore des pogromes de Maras, Corum et de Sivas...
Personne n’a évoqué pour autant l’option d’une intervention humanitaire armée à Washington, Londres, Rome ou Ankara. Je vous passe des assassinats de masse et des génocides commis par les forces atlantistes dans les pays du Sud.
Et puis, attendez voir ce que nous réserve l’Europe « démocratique » le jour où les mouvements d’indignés constitueront une véritable menace pour les élites politiques et financières... Les Murs des fédérés ressurgiront hélas à chaque coin de rue.
Bien entendu, comparaison n’est pas raison. Autrement dit, les crimes commis par les troupes atlantistes ne justifient nullement ceux commis par l’armée syrienne. Et la vie d’un enfant syrien qu’il soit du côté rebelle ou du côté loyaliste, n’est pas moins précieuse que celle d’un enfant français, américain ou scandinave.
Finalement, les mots sont si vains devant la tragédie de Homs. Seule compte la vie des innocents de cette ville pris entre deux feux. Si on veut les sauver, il faudrait peut-être commencer par abandonner la logique de confrontation et dialoguer avec le gouvernement syrien.
Au lieu de gesticuler, d’insulter ou de tenter de convaincre la Russie et la Chine, il serait peut-être plus sage de descendre de ses grands chevaux et de rejoindre le bloc sino-russe dans son appui à une solution de transition démocratique syrienne sans paternalisme et sans interférence. Nous serions ainsi bien plus en phase avec la Charte des Nations Unies.
Et si, pour les enfants de Homs et pour la survie de la Syrie, on osait la paix ?
Bahar Kimyongur
Notes
(1) Durant les semaines qui ont précédé l’assaut sur Homs, il mourait en moyenne une vingtaine de soldats gouvernementaux par jour. Sans compter les innombrables victimes civiles tombées sous les balles des groupes insurgés.
(2) Le rapport de la mission des observateurs arabes en Syrie : http://tunisitri.wordpress.com/2012...
(3) The Wall Street Journal, 2 décembre 2011