Sans aucun doute, Jean Castex est un brillant haut fonctionnaire. Mais cela n’en fait pas l’homme de la situation pour devenir Premier ministre de la France. Il n’a pas réfléchi à la manière de restaurer le pacte social face à la globalisation financière et se satisfait de mesures pour acheter la paix sociale à court terme. Dès sa nomination, il a montré qu’il ne voulait pas réformer la classe politique, qu’il se contentait de lutter contre la pandémie en faisant comme les autres, et qu’il soutenait le projet maastrichien conçu durant la Guerre froide.
L’administration française fonctionne très bien toute seule. En ce sens, c’est une des meilleures au monde. Le rôle des ministres n’est pas de se substituer aux directeurs d’administration centrale qui font tourner la machine. C’est au contraire d’adapter l’administration aux changements du monde ; de l’orienter dans le sens imaginé par le président de la République et approuvé par les citoyens lors de son élection.
Le président de la République ne peut avoir d’avis sur tout. Mais ils doit penser les Affaires étrangères et la Défense, la Police et la Justice, la Monnaie et les Impôts. C’est ce que l’on appelle les fonctions régaliennes. Actuellement, il doit repenser cet ensemble pour rétablir le contrat social face à une modification profonde des structures de la société.
Les inégalités de patrimoine se sont considérablement accrues. Au cours des dernières années, les classes moyennes ont fondu comme neige au soleil et une nouvelle classe sociale est apparue qui s’est présentée à la vue de tous lors des manifestations des Gilets jaunes. L’homme le plus riche du pays dispose d’une fortune égale à ce qu’un smicard ne parvient pas à gagner brut en un million et demi d’années. Cet écart astronomique renvoie le pays à une organisation médiévale et rend impossible tout fonctionnement démocratique.
Depuis l’accident cérébral du président Jacques Chirac, le 2 septembre 2005, il n’y a plus de pilote dans l’avion. Lors des trois élections présidentielles de 2007, 2012 et 2017, aucun des candidats élus n’a présenté de vision du pays, juste des mesures sectorielles. Privée d’un président digne de ce nom, la France est dès lors à la dérive depuis 15 ans.
Le nouveau Premier ministre français, Jean Castex, est un très haut fonctionnaire dont tout le monde loue l’efficacité et l’attention aux autres. Mais ce n’est pas un responsable politique capable de fixer des objectifs nouveaux et de repenser l’architecture du système.
Son directeur de cabinet, Nicolas Revel, est partisan d’un atlantisme féroce. Il est le fils de l’académicien Jean-François Revel et de la journaliste Claude Sarraute. Le premier était le principal agent de la National Endowment for Democracy en France. La seconde était chroniqueuse au Monde. Avec humour, elle s’est appliquée à ridiculiser les syndicats ouvriers et à valoriser les combats sociétaux. Mathieu Ricard, le frère de Nicolas, est un porte-parole du dalaï lama qui ne manque jamais une occasion de dénoncer la Chine.
Le bilan des premiers jours de Jean Castex à Matignon est catastrophique. Dans cet article, je pointerai ses trois premières décisions en matière d’organisation du gouvernement, de réponse à la pandémie et de politique européenne.
1- La réforme des cabinets ministériels
Dès la nomination de son gouvernement, le nouveau Premier ministre a réformé la règle limitative imposée par son prédécesseur à la composition des cabinets ministériels. Il a élargi le nombre des collaborateurs politiques de 10 à 15. En effet, les ministres des gouvernements d’Édouard Philippe se plaignaient de ne pas avoir d’équipe assez nombreuse pour pouvoir contrôler les administrations centrales. À quoi servaient donc leurs 10 collaborateurs ? À répondre au public et à améliorer leur image.
Certes, les ministres ne sont pas élus et n’ont donc de compte à rendre qu’au Premier ministre et au président de la République, pas directement aux électeurs. Mais comme chacun pense d’abord à sa carrière, puis à sa fonction, 10 collaborateurs de relations publiques, ce n’est pas de trop.
Dans ces conditions, il ne fallait pas créer 5 postes supplémentaires auprès de chaque ministre, mais veiller à ce que les collaborateurs engagés le soit dans l’intérêt du gouvernement, pas de l’avenir du ministre. En effet, sans préjuger de ce que chacun fera, il est évident que Jean Castex ne souhaite pas que les conseillers interférent avec l’administration, mais qu’ils informent les ministres sur les aspects techniques des dossiers. Ce n’est qu’un tout petit pas en avant qui ne règlera pas le problème.
2- Les masques obligatoires
Juste avant d’être nommé Premier ministre, Jean Castex fut chargé d’une mission sur le déconfinement après l’épidémie de Covid-19. Il est donc censé avoir réfléchi à la prévention de cette maladie.
Alors que le gouvernement précédent avait déclaré que les masques ne servaient pas à grand chose, Jean Castex les a rendus obligatoires. L’opinion publique a interprété à tort ce changement de consigne en fonction de la disponibilité de ces masques : quand il n’y en avait pas, ils ne servaient à rien, quant ils sont là, ils deviennent obligatoires.
En réalité, huit mois après le début de l’épidémie mondiale, on ne sait toujours pas comment ce virus se transmet et donc comment on peut éviter sa propagation. La différence des consignes n’est pas due à la disponibilité des masques, mais à la volonté du nouveau gouvernement de montrer qu’il prend les choses en main. Ce n’est pas une mesure médicale, mais une manière de se rassurer.
Souvenez-vous, lorsque le virus est arrivé en Occident, toutes les autorités affirmaient qu’il se propageait par contact via des surfaces solides. Une hystérie s’est emparée de l’Europe à propos des poignées de portes. Il suffisait d’en toucher une et de porter sa main au visage pour risquer la mort immédiate.
On avait en effet découvert que le virus pouvait survivre quelques heures sur des poignées de porte et même deux jours sur du carton. On en avait conclu que les lettres et paquets devaient être conservés pendant 48 heures avant de les ouvrir. Aujourd’hui, ces consignes paraissent idiotes et personne ne les suit. Pourtant, au plan scientifique, rien n’a changé. Nous n’en savons pas plus sur les modes de contamination aujourd’hui qu’hier. On a juste remarqué qu’il ne semble pas y avoir de transmission via des surfaces solides. On « croit » donc qu’elle se fait directement par quelques mystérieux liquides humains. L’« opinion » communément admise affirme que la maladie se transmet par les gouttelettes respiratoires. Il convient donc de porter le masque. Mais cette croyance n’est pas plus sûre que la précédente.
Je me souviens que l’on avait agi de la même manière lors de l’épidémie de SIDA. Le rétrovirus avait été identifié dans le sang et le sperme. On en avait conclu qu’il pouvait se transmettre par les moustiques et la fellation. Pendant trois ans, les autorités sanitaires de nombreux pays ont multiplié les messages de prévention en ce sens. Aujourd’hui, on sait qu’elles se trompaient. Le SIDA ne se transmet pas par les moustiques, ni par la fellation.
L’erreur est de croire qu’il suffit d’attraper un virus pour tomber malade. Or, le corps humain est prévu pour vivre avec de nombreux virus. La plupart du temps, il sait comment s’en protéger. La Covid-19 est une maladie respiratoire. Elle se transmet donc a priori comme les autres maladies respiratoires : par l’air. Si c’est le cas, les seuls masques utiles doivent être hermétiques, comme des masques à gaz utilisés par les armées ou les laboratoires P4. Les masques chirurgicaux sont au contraire de fausses protection car ils n’adhèrent pas à la peau et laissent passer l’air en de nombreux endroits.
Dans le cas où la Covid-19 se transmet comme toutes les autres maladies respiratoires – ce qui est a priori l’hypothèse la plus probable – , la prévention doit être d’aérer les espaces fermés. Ce que l’OMS avait déclaré au début de la pandémie.
Cependant, un autre problème surgit. On a installé au cours des dernières années des systèmes de climatisation dans de nombreux immeubles. Si l’air climatisé absorbe des vapeurs d’eau contaminée, toutes les autres personnes respirant cet air risquent d’être contaminées. On se souvient de l’épidémie de légionellose (une infection bactérienne pulmonaire grave) lors de la convention de l’American Legion, en 1976 à Philadelphie. La même maladie fut transmise de la même manière, en 2000, à des patients de l’hôpital européen Georges Pompidou à Paris, peu après son ouverture. Il fallut réformer tout le système de climatisation de ce gigantesque hôpital flambant neuf.
Il faut distinguer les systèmes de climatisation qui expulsent l’air à l’extérieur de ceux qui fonctionnent en circuit fermé, diffusant éventuellement la maladie dans tout l’établissement. Les contaminations dans les abattoirs, espaces climatisés en circuit fermé et à basse température, laissent à penser que cette hypothèse devrait être prise très au sérieux.
Envisager cette hypothèse, c’est envisager d’admettre que de nombreux bâtiments modernes doivent être réhabilités, comme on l’a fait avec l’hôpital Pompidou. Ce sont des budgets conséquents comparables à ceux que l’on dépense pour désamianter des immeubles.
Pour un haut-fonctionnaire, il vaut mieux ignorer cette question. Ne rien changer, agir comme d’autres États et rendre obligatoire le port du masque.
3- Le moment hamiltonien
Le projet franco-allemand du chancelier Helmut Köhl et du président François Mitterrand fut conçu durant la Guerre froide. Énoncé par le Traité de Maastricht, en 1992, il se poursuit inexorablement. L’objectif stratégique est de construire une structure supra-étatique capable de neutraliser les divergences d’intérêt entre les deux pays et de rivaliser économiquement avec les États-Unis, la Russie et la Chine. Inexorablement, les pièces du puzzle se mettent en ordre une à une comme ce fut le cas avec le Traité constitutionnel.
Vue l’opposition de nombreux peuples européens à cette construction sous contrôle américain, les étapes actuelles sont difficiles à franchir, mais l’épidémie de la Covid-19 permet aux dirigeants allemands et français d’agir à la faveur de la panique sanitaire. C’est le hamiltonian moment (« moment hamiltonien »), par référence à la manière dont Alexander Hamilton fit basculer son pays d’un système de coopération entre États indépendants à une Fédération. Durant la période 1789-95, lorsqu’il fut le Premier secrétaire au Trésor des États-Unis, il fit reprendre les dettes contractées par les États membres lors de la guerre d’Indépendance par le gouvernement fédéral, créant ainsi leur dépendance. Cependant, ce ne fut que soixante-dix ans plus tard, lorsque les États du Sud refusèrent les droits de douane uniques que le gouvernement fédéral tenta de leur imposer dans l’intérêt des États du Nord que le fédéralisme s’avéra un carcan, provoquant la guerre de Sécession.
À l’issue d’un des plus longs sommets des chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne, un plan de 750 milliards d’euros a été adopté par le Conseil européen pour faciliter la reprise économique post-Covid. Il ne sera pas financé par une dévaluation de l’euro car seuls 19 États en sont membres sur 27, mais par des emprunts de 30 ans. Il devrait donc être sinon impossible du moins très difficile d’organiser des sorties de l’Union sur le modèle du Royaume-Uni durant les 30 prochaines années.
Dans un premier temps, lorsque les entreprises recevront des subventions ou des prêts européens, tout le monde se réjouira. Mais lorsque les choses iront mieux et que l’on constatera s’être aliéné pour 30 ans, la révolte grondera.
Ce plan est présenté comme une mesure d’urgence face à une terrible crise. Il ne s’agit que d’un emballage de communication comme l’atteste le fait qu’une fois adopté par le Conseil des chefs d’État et de gouvernement, il a été renvoyé devant le Parlement européen et les parlements nationaux qui ne se prononceront pas avant des mois. Durant toute cette période l’aide prétendument « d’urgence » sera bloquée.
Ce plan est accompagné d’un nouveau budget de l’UE pour les sept prochaines années. Il révèle la vraie nature de cette union : par exemple, alors que l’on communiquait sur la nouvelle « Défense européenne », son budget de la Défense est divisé par deux sans explication.
C’est ce tour de passe-passe que Jean Castex vient d’avaliser, faisant passer le rêve de puissance de Kohl et Mitterrand, puis de Merkel et Macron, avant la volonté d’indépendance des peuples. Il s’agit d’un choix d’une extrême gravité qui s’est déjà fracassé les deux fois où la France seule, puis l’Allemagne seule, l’ont tenté avec Napoléon et Hitler. Dans la version actuelle, les chefs d’État des deux pays sont d’accord entre eux, mais probablement pas leurs peuples et encore moins ceux des autres pays concernés.
Emmanuel Macron et Jean Castex ont accepté à la place des Français d’enchaîner le pays à l’UE pour 30 ans afin de récupérer 40 milliards d’euros. Mais pour quoi faire ? Pour réformer le mode de rémunération du travail et résorber le gouffre social entre les ultra-riches et les autres ? Pour indemniser les Français dont le travail a été détruit par un confinement imposé ? Ou pour gagner du temps tout en préservant la paix sociale ? Malheureusement, ces deux hommes ne veulent rien changer et cet argent sera dépensé en pure perte.