La Chancelière allemande, Madame Merkel, lors de son allocution au Forum de Davos, a demandé du temps pour trouver une solution à la crise de l’Euro. Elle a eu raison et tort à la fois.
Le temps, il en faut, et tout le monde le comprend, pour aboutir à un accord politique de fond.
Néanmoins, est-il raisonnable de demander encore du temps alors que nous savions, depuis l’automne 2009 que la situation était critique en Grèce et que, derrière, se profilait la crise de l’Euro ? Qu’ont donc fait les gouvernements depuis lors ? Ils ont tous cherché à gagner du temps non pas pour trouver une solution à la crise, mais au contraire pour éviter d’avoir à prendre une décision. L’Allemagne, qui est la grande bénéficiaire de la zone Euro car elle réalise plus de 60% de ses excédents commerciaux au sein de la zone, a voulu maintenir celle-ci sans en payer le prix. Or, c’est parfaitement impossible. On ne peut gagner sur tous les tableaux où, comme diraient des économistes libéraux, il n’y a pas de déjeuner gratuit (there is no free lunch).
L’Allemagne devra donc payer, et ce jusqu’en 2018 au moins, entre 4% et 6% de son PIB. Elle peut, aussi, se résoudre à l’éclatement de la zone Euro. Le prix économique en serait moindre, environ 2,5% de son PIB seulement, si l’on en croit les calculs réalisés par Patrick Artus pour le compte de la banque française NATIXIS. Cependant, le prix politique que l’Allemagne aurait alors à supporter serait exorbitant.
On comprend donc que Madame la Chancelière demande du temps. Mais le temps, et Madame Merkel risque de s’en apercevoir très vite, est un bien rare pour les politiciens lorsqu’ils sont rattrapés par leurs erreurs. En effet, alors que l’on se congratule à Davos, la crise, elle, continue en dépit de l’euphorie passagère qu’a provoquée l’injection massive de liquidités au profit des banques commerciales par la Banque Centrale Européenne.
Elle continue tout d’abord en Grèce, où les négociations sur l’annulation d’une partie de la dette ont atteint leur point critique. On en connaît l’objet : il s’agit de ramener une dette de près de 160% du PIB à environ 120% par des annulations « volontaires » de créances consenties par les investisseurs privés. Les discussions désormais se cristallisent sur la Banque Centrale Européenne, sommée par les banques privées de s’associer à leurs propres pertes. Il est vrai que l’on comprendrait mal que ce qui s’applique aux banques ne puisse s’appliquer à la Banque Centrale. Mais d’autres problèmes sont aussi en jeu. Tout d’abord, l’importance des taux d’intérêts sur la dette résiduelle : les banques ne veulent pas descendre en dessous de 4,5% alors qu’un taux de 3,5% est le maximum que puisse tolérer l’économie grecque. Ensuite, il faut tenir compte du fait que les fonds spéculatifs ou hedge funds refusent d’être traités comme les banques.
Le gouvernement d’Athènes peut alors être tenté d’imposer à certains investisseurs une restructuration, la clause dite d’action collective, qui lui permettrait de rendre effectif un accord signé avec une majorité de banques. Mais, ceci constituerait clairement un « événement de crédit » (autrement dit une forme de défaut) qui déclencherait les « assurances de crédits » soit les Credit Default Swaps ou CDS. Et de cela, les autorités européennes et la BCE ne veulent sous aucun prétexte car c’est ouvrir la boîte de Pandore. Non seulement nul ne sait comment ces CDS sont répartis, mais leur activation dans le cas de la Grèce risque d’être une incitation forte aux opérateurs pour spéculer contre d’autres pays. D’ores et déjà la question du Portugal se pose, et les taux sur les obligations portugaises à dix ans ont dépassé les 14,8%.
Nous en sommes là, en ce week-end de fin janvier qui s’annonce décisif. Des rumeurs circulent, notamment celle d’un projet allemand de contrôler directement le budget Grec. C’est peut dire qu’une telle « solution » est inacceptable pour Athènes. Quand bien même on forcerait une telle décision dans la gorge des malheureux dirigeants grecs, on créerait un bien dangereux précédent. Une tutelle de cette sorte, sur un pays démocratique, est sans exemple dans l’histoire.
Mais, même si une solution acceptable et préservant les chances de l’économie Grecque de rebondir est trouvée, la zone Euro ne sera pas sortie d’affaire. On apprenait jeudi 26 janvier que l’Espagne comptait désormais plus de 5 millions de chômeurs, soit près de 24% de sa population active. Le pays sombre dans la crise, et le nombre de chômeurs y augmente de 100 000 tous les mois. La Banque Centrale d’Espagne prévoit une contraction du PIB de -1,5% pour 2012, et en réalité celle-ci pourrait atteindre les -3%. Prise dans la spirale déflationniste, ce pays s’enfonce de plus en plus et entraîne avec lui le Portugal où l’on annonce une récession de -3,2% mais qui devrait être en réalité bien plus forte du fait de la crise espagnole.
Dans ces conditions, on comprend que la détente des taux d’intérêts, induite par l’injection de 489 milliards de liquidités par la BCE, ne durera pas. Il sera bientôt évident que le déficit budgétaire réel de l’Espagne pour 2011 a atteint plus de 16% du PIB, 8 % avoués et environ 8% dissimulés sous la forme d’arriérés de paiement de la puissance publique. Calculée en pourcentage du PIB, la dette explose et a atteint 90% en réalité à la fin de 2011. Elle devrait franchir le cap symbolique des 100% d’ici à la fin de 2012.
Dans ces conditions, les appels de Madame Merkel pour disposer d’un peu plus de temps sont à la fois pathétiques et risibles.
Ils sont pathétiques car ils montrent que la dirigeante du pays le plus riche et le plus puissant de la zone Euro est à court d’idées et d’argent. L’accord intergouvernemental qu’elle a négocié avec le Président Français Nicolas Sarkozy prend eau de toute part. Il aurait dû être entériné dans un sommet européen ce lundi 30 janvier, mais de fait les négociations piétinent du fait de l’opposition de nombreux pays. Si le couple franco-allemand, encore que couple est un bien grand mot quand on sait qui porte la culotte, veut absolument faire entériner cet accord, il devra accepter un grand nombre d’exceptions et d’exemptions, qui le videront de son sens.
Ils sont risibles car ils montrent que Madame Merkel vit dans un monde toujours plus éloigné de la réalité. La logique de la crise économique et financière se fait dans une temporalité toute autre que celle des hommes et des femmes politiques. Au lieu d’affronter la crise, elle préfère une fuite en avant qui viole les principes politiques sur lesquels étaient fondées et l’Union Européenne et la zone Euro, comme l’égalité de traitement entre pays membres. Mais, cette fuite en avant viole aussi les principes de base de l’économie. Toute contraction de l’activité économique a des conséquences sur les recettes fiscales. La politique de l’Allemagne et de sa Chancelière nous précipite désormais dans une double crise européenne, économique et politique, et le temps, là, n’y est pour rien.