Daniel Keller, le grand maître du Grand Orient de France, première obédience maçonnique, s’inquiète de la percée du FN.
Comment avez-vous vécu l’annulation surprise de l’émission Des paroles et des actes dont Marine Le Pen devait être l’invitée ?
C’est un exemple de plus de la panique médiatique dans laquelle on vit. Je crains que Marine Le Pen ne gagne encore des points après ce pugilat qui n’honore pas la République. Cet épisode devrait à mon avis rester un non-événement. La majorité des Français se fiche, en effet, de savoir si Marine Le Pen est venue ou pas à une émission de télé. Je suis consterné de voir que, finalement, le débat public se focalise sur les faux problèmes. Continuons comme ça et, dans la région Nord-Pas-de-Calais-Picardie, elle ne va pas faire 46 mais 60%. Il y a une course à l’abîme face à laquelle un sursaut collectif est nécessaire. On est en train de dérouler le tapis rouge au Front national. Ce qui paraissait impossible devient chaque jour un peu plus vraisemblable s’agissant de la présidentielle de 2017.
Faites-vous une différence entre le FN du père et celui de la fille ?
Non. Le Front national est l’expression d’un bloc qui, finalement, n’a jamais admis la Révolution française, n’a jamais admis la République et dont les racines philosophiques, intellectuelles et politiques sont authentiquement réactionnaires. C’est un courant politique qui a toujours existé dans notre pays depuis 1789. Il a connu des périodes de basses eaux et des périodes de hautes eaux. On est aujourd’hui plutôt dans les hautes eaux. La République s’est justement construite contre cette vision réactionnaire de la société. La République reste un combat. Ce n’est pas un régime acquis définitivement. Si tout le monde baisse les bras, je le dis : la République est en danger.
Quel rôle les francs-maçons entendent-ils jouer dans ce climat de crise ?
Au Grand Orient de France, nous sommes une association de plus de 50.000 membres. Il doit y avoir, toutes obédiences confondues, 150.000 à 170.000 maçons en France, qui partagent les mêmes valeurs. Ce qui est important, c’est qu’ils se mobilisent sur le terrain. J’aurai moi-même l’occasion d’aller dans le nord de la France d’ici le mois de décembre pour y faire des conférences publiques, pour faire ce travail de pédagogie, de hussard noir de la République, dont nous avons tant besoin. Aujourd’hui, la France souffre d’un tissu social déchiré et il faut le recoudre, réapprendre aux gens à se parler, retisser du lien. Le rôle des maçons c’est d’être les pédagogues de la République, et de rappeler que la République, ce n’est pas le populisme.