En pleine occupation Allemande (1943) Simone Weil, à ne pas confondre avec Simone Veil, écrivit “L’Enracinement”, livre précieux sur les causes du nazisme, de la modernité et de l’idéologie du « Progrès » au sens moderne (argent). Morte à l’âge de 34 ans, Simone Weil a partagé sa vie entre l’enseignement, le syndicalisme ouvrier et la philosophie.
Reçue septième à l’agrégation de philosophie, elle n’hésita pas à abandonner la tranquillité de l’enseignement pour devenir ouvrière à la chaîne dès 1934 chez Alstom, afin de mieux comprendre quelles étaient les causes de l’esclavage humain, dont celui le plus emblématique est le travail à la chaîne. Voici quelques extraits de son livre “L’Enracinement”, publié, dans un premier temps, par Albert Camus et repris, en 1949, par Gallimard.
Extraits :
“Le déracinement est de loin la plus dangereuse maladie des sociétés humaines, car il se multiplie lui-même. Des êtres vraiment déracinés n’ont guère que deux comportements possibles : ou ils tombent dans une inertie de l’âme presque équivalente à la mort, comme la plupart des esclaves au temps de l’empire romain, ou ils se jettent dans une activité tendant toujours à déraciner, souvent par les méthodes les plus violentes, ceux qui ne le sont pas encore ou ne le sont qu’en partie. Les Romains étaient une poignée de fugitifs qui se sont agglomérés artificiellement en une cité ; et ils ont privé les populations méditerranéennes de leur vie propre, de leur patrie, de leur tradition, de leur passé, à un degré tel quel la postérité les a pris, sur leur propre parole, pour les fondateurs de la civilisation sur ces territoires. Les Hébreux étaient des esclaves évadés, et ils ont exterminé ou réduit en servitude toutes les populations de Palestine. Les Allemands, au moment où Hitler s’est emparé d’eux, étaient vraiment, comme il le répétait sans cesse, une nation de prolétaires, c’est-à-dire de déracinés ; l’humiliation de 1918, l’inflation, l’industrialisation à outrance et surtout l’extrême gravité de la crise de chômage avaient porté chez eux la maladie morale au degré d’acuité qui entraîne l’irresponsabilité.”
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“Un arbre dont les racines sont presque entièrement rongées tombe au premier choc. Si la France a présenté un spectacle plus pénible qu’aucun autre pays d’Europe (ndlr : pendant la seconde guerre mondiale), c’est que la civilisation moderne avec ses poisons y était installée plus avant qu’ailleurs, à l’exception de l’Allemagne. Mais en Allemagne le déracinement avait pris la forme agressive, et en France il a pris celui de la léthargie et de la stupeur.”
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“L’opposition entre l’avenir et le passé est absurde. L’avenir ne nous apporte rien, ne nous donne rien ; c’est nous qui pour le construire devons tout lui donner, lui donner notre vie elle-même. Mais pour donner il faut posséder, et nous ne possédons d’autre vie, d’autre sève, que les trésors hérités du passé et digérés, assimilés, recréés par nous. De tous les besoins de l’âme humaine, il n’y en a pas de plus vital que le passé. L’amour du passé n’a rien à voir avec une orientation politique réactionnaire. Comme toutes les activités humaines, la révolution puise toute sa sève dans une tradition.”
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“Ce qu’on peut rechercher dans les revendications des ouvriers, c’est le signe de leurs souffrances. Or les revendications expriment toutes ou presque la souffrance du déracinement. S’ils veulent le contrôle de l’embauche et la nationalisation, c’est qu’ils sont obsédés par la peur du déracinement total : le chômage. S’ils veulent abolir la propriété privée, c’est qu’ils en ont assez d’être admis sur le lieu de travail comme des immigrés qu’on laisse entrer par grâce. C’est aussi là le ressort psychologique des occupations d’usines en juin 1936. Pendant quelques jours, ils ont éprouvé une joie pure, sans mélange, à être chez eux dans ces mêmes lieux.”
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“À quoi sert-il aux ouvriers d’obtenir à force de lutte une augmentation des salaires et un adoucissement de la discipline, si pendant ce temps les ingénieurs de quelques bureaux d’études inventent, sans aucune mauvaise intention, des machines qui épuisent leurs corps et leurs âmes ou aggravent les difficultés économiques ?”
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“Le courant idolâtre du totalitarisme ne peut trouver d’obstacle que dans une vie spirituelle authentique. Si l’on habitue les enfants à ne pas penser à Dieu, ils deviendront fascistes ou communistes par besoin de se donner à quelque chose.”
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“Tout le monde répète, avec des termes légèrement différents, que nous souffrons d’un déséquilibre dû à un développement purement matériel de la technique. Le déséquilibre ne peut être réparé que par un développement spirituel dans le même domaine, c’est-à-dire dans le domaine du travail. [...] Une civilisation constituée par une spiritualité du travail serait le plus haut degré d’enracinement de l’homme dans l’univers, par suite l’opposé de l’état où nous sommes, qui consiste en un déracinement presque total.”
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“Nous trouvons aujourd’hui tellement naturel de payer des impôts à l’État que nous n’imaginons pas au milieu de quel bouleversement moral cette coutume s’est établie. Au XIVe siècle le paiement des impôts, excepté les contributions exceptionnelles consenties pour la guerre, était regardé comme un déshonneur, une honte réservée aux pays conquis, le signe visible de l’esclavage.”
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“Quand on loue les rois de France d’avoir assimilé les pays conquis, la vérité est surtout qu’ils les ont dans une large mesure déracinés. C’est un procédé d’assimilation facile, à la portée de chacun. Des gens à qui on enlève leur culture, ou bien restent sans culture, ou bien reçoivent des bribes de celle qu’on veut bien leur communiquer. Dans les deux cas, ils ne font pas des taches de couleur différente, ils semblent assimilés.”
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“Richelieu, qui avait la clarté d’intelligence si fréquente à cette époque, a défini en termes lumineux cette différence entre morale et politique autour de laquelle on a semé depuis tant de confusion. Il a dit à peu près : On doit se garder d’appliquer les mêmes règles au salut de l’État qu’à celui de l’âme ; car le salut des âmes s’opère dans l’autre monde, au lieu que celui des États ne s’opère que dans celui-ci. Cela est cruellement vrai.
Un Chrétien ne devrait pouvoir en tirer qu’une seule conclusion : c’est qu’au lieu qu’on doit au salut de l’âme, c’est-à-dire à Dieu, une fidélité totale, absolue, inconditionnée, la cause du salut de l’État est de celles auxquelles on doit une fidélité limitée et conditionnelle.
Mais, bien que Richelieu crût être chrétien, et sans doute sincèrement, sa conclusion était tout autre. Elle était que l’homme responsable du salut de l’État, et ses subordonnées, doivent employer à cette fin tous les moyens efficaces, sans aucune exception, et en y sacrifiant, au besoin, leurs propres personnes, leur souverain, le peuple, les pays étrangers et toute espèce d’obligation.”
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“Le dévouement de Richelieu à l’État a déraciné la France. Sa politique était de tuer systématiquement toute vie spontanée dans le pays, pour empêcher que quoi que ce soit pût s’opposer à l’État. Si son action en ce sens semble avoir des limites, c’est qu’il commençait et qu’il était assez habile pour procéder graduellement. Il suffit de lire les dédicaces de Corneille pour sentir à quel degré de servilité ignoble il avait su abaisser les esprits. Depuis, pour préserver de la honte nos gloires nationales, on a imaginé de dire que c’était simplement le langage de politesse de l’époque. Mais c’est un mensonge.” [...] Sa conception de l’État était déjà totalitaire. Il l’a appliqué autant qu’il pouvait en soumettant le pays, dans toute la mesure où le permettaient les moyens de son temps, à un régime policier.”
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“Louis XIV s’installa au pouvoir dans un esprit de dictateur bien plutôt que de souverain légitime. C’est ce qu’exprime : « l’État c’est moi. » Ce n’est pas là une pensée de roi. Montesquieu a très bien expliqué cela à mots couverts.”
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“Louis XIV avait dégradé l’Église française en l’associant au culte de sa personne et en lui imposant l’obéissance même en matière de religion. Cette servilité de l’Église envers le souverain fut pour beaucoup dans l’anticléricalisme du siècle suivant. Mais, quand l’Église commit l’erreur irréparable d’associer son sort à celui des institutions monarchiques, elle se coupa de la vie publique. Rien ne pouvait mieux servir les aspirations totalitaires de l’État. Il devait en résulter le système laïque, prélude à l’adoration avouée de l’État, en faveur aujourd’hui.”
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“Pendant le XIXe siècle, les chemins de fer firent d’affreux ravages dans le sens du déracinement. Georges Sand voyait encore dans le Berry des coutumes peut-être vieilles de plusieurs centaines d’années, dont le souvenir même aurait disparu sans les notes sommaires qu’elle a prises. La perte du passé, collective ou individuelle est la grande tragédie humaine, et nous avons jeté la nôtre comme un enfant déchire une rose. C’est avant tout pour éviter cette perte que les peuples résistent désespérément à la conquête.”
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“Les Grecs possédaient une science qui est le fondement de la nôtre. Elle comprenait l’arithmétique, la géométrie, l’algèbre, sous une forme qui leur était propre, l’astronomie, la mécanique, la physique, la biologie. La quantité des connaissances accumulées était naturellement beaucoup moindre. Mais, par le caractère scientifique, dans la signification que ce mot a pour nous, d’après les critères valables à nos yeux, cette science égalait et dépassait la nôtre.”
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“Quand aux applications techniques, si la science grecque n’en a pas beaucoup produit, ce n’est pas qu’elle n’en fût pas susceptible, c’est que les savants grecs ne le voulaient pas. Ces gens visiblement très arriérés relativement à nous, comme il convient à des hommes d’il y a vingt-cinq siècles, redoutaient l’effet d’inventions techniques susceptibles d’être mises en usage par les tyrans et les conquérants. Ainsi au lieu de livrer au public le plus grand nombre possible de découvertes techniques et de les vendre au plus offrant, ils conservaient rigoureusement secrètes celles qu’il leur arrivait de faire pour s’amuser ; et vraisemblablement ils restaient pauvres.”
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“La science grecque ne ressuscita qu’au début du XVIe siècle, en Italie et en France. Elle prit très vite un essor prodigieux et envahit la vie entière de l’Europe. Aujourd’hui, la presque totalité de nos pensées, de nos coutumes, de nos réactions, de notre comportement à tous porte une marque imprimée soit par son esprit, soit pas ses applications. Cela est vrai plus particulièrement des intellectuels, même s’ils ne sont pas ce qu’on nomme des « scientifiques », et bien plus vrai encore des ouvriers qui passent toute leur vie dans un univers artificiel, constitué par les applications de la science. Mais, comme dans certains contes, cette science réveillée après presque deux millénaires de léthargie n’était plus la même. On l’avait changée. C’en était une autre, absolument incompatible avec tout esprit religieux. C’est pour cela qu’aujourd’hui la religion est une chose du dimanche matin. Le reste de la semaine est dominé par l’esprit de la science.”
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“Le phénomène moderne de l’irréligiosité du peuple s’explique presque entièrement par l’incompatibilité entre la science et la religion. Il s’est développé quand on a commencé à installer le peuple dans un univers artificiel, cristallisation de la science. En Russie, la transformation a été hâtée par une propagande qui, pour déraciner la foi, s’appuyait presque entièrement sur l’esprit de la science et de la technique. Partout, après que le peuple des villes fut devenu irréligieux, le peuple des campagnes, rendu influençable par son complexe d’infériorité à l’égard des villes, a suivi, bien qu’à un degré moindre. Du fait même de la désertion des églises par le peuple, la religion fut automatiquement située à droite, devint une chose bourgeoise, une chose de bien-pensants.”
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“Si une partie de la bourgeoisie a été moins gênée dans sa piété par la science que ne l’a été la classe ouvrière, c’est d’abord parce qu’elle avait un contact moins permanent et moins charnel avec les applications de la science. Mais c’est surtout parce qu’elle n’avait pas la foi. Qui n’a pas la foi ne peut pas la perdre. Sauf quelques exceptions, la pratique de la religion était pour elle une convenance. La conception scientifique du monde n’empêche pas d’observer les convenances.”
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“Les savants exigent du public qu’il accorde à la science ce respect religieux qui est du à la vérité, et le public les croit. Mais on les trompe. La science n’est pas un fruit de l’Esprit de vérité, et cela est évident dès qu’on fait attention. Car l’effort de la recherche scientifique, telle qu’elle a été comprise depuis le XVIe siècle jusqu’à nos jours, ne peut avoir pour mobile l’amour de la vérité. Il y a là un critère dont l’application est universelle et sûre ; il consiste, pour apprécier une chose quelconque, à tenter de discerner la proportion de bien contenue, non dans la chose elle-même, mais dans les mobiles de l’effort qui l’a produite.”
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“Pour que cet amour fût le mobile du savant dans son effort épuisant de recherche, il faudrait qu’il eût quelque chose à aimer. Il faudrait que la conception qu’il se fait de l’objet de son étude enfermât un bien. Or le contraire a lieu. Depuis la Renaissance — plus exactement, depuis la deuxième moitié de la Renaissance — la conception même de la science est celle d’une étude dont l’objet est placé hors du bien et du mal, surtout hors du bien, considéré sans aucune relation ni au bien ni au mal, plus particulièrement sans aucune relation au bien. La science n’étudie que les faits comme tels, et les mathématiciens eux-mêmes regardent les relations mathématiques comme des faits de l’esprit. Les faits, la force, la matière, isolés, considérés en eux-mêmes, sans relations avec rien d’autre, il n’y a rien là qu’une pensée humaine peut aimer.”
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“Les savants jouissent de deux avantages en réalité incompatibles, mais compatibles dans l’illusion ; ce qui est toujours une situation agréable. Ils sont au nombre de ceux qui font le destin des hommes, et dès lors leur indifférence à ce destin réduit l’humanité aux proportions d’une race de fourmis ; c’est une situation de dieux. Ils ne se rendent pas compte que dans la conception actuelle de la science, si l’on retranche les applications techniques, il ne reste plus rien qui soit susceptible d’être regardé comme un bien. Sans la technique, personne aujourd’hui ne s’intéresserait à la science ; et si le public ne s’intéressait pas à la science, ceux qui suivent une carrière scientifique en auraient choisi une autre. Ils n’ont pas droit à l’attitude de détachement qu’ils assument. Mais quoique elle ne soit pas légitime, elle est un stimulant. Pour d’autres, la pensée des applications au contraire sert de stimulant. Mais, ils ne sont sensibles qu’à l’importance, non au bien et au mal. Un savant qui se sent sur le point de faire une découverte susceptible de bouleverser la vie humaine tend toutes ses forces pour y parvenir. Il n’arrive guère, ou jamais, semble-t-il, qu’il s’arrête pour supputer les effets probables du bouleversement en bien et en mal, et renonce à ses recherches, si le mal paraît plus probable. Un tel héroïsme semble même impossible ; il devrait pourtant aller de soi. Mais, là comme ailleurs, la fausse grandeur domine, celle qui se définit par la quantité et non par le bien. Enfin, les savants sont perpétuellement piqués par des mobiles sociaux qui sont presque inavouables tant ils sont mesquins, et ne jouent pas un grand rôle apparent, mais qui sont extrêmement forts. Qui a vu les Français, en juin 1940, abandonner si facilement la patrie, et quelques mois plus tard, avant d’être réellement mordus par la faim, faire des prodiges d’endurance, braver la fatigue et le froid pendant des heures, pour se procurer un œuf, celui-là ne peut pas ignorer l’incroyable énergie des mobiles mesquins. Le premier mobile social des savants, c’est purement et simplement le devoir professionnel. Les savants sont des gens que l’on paie pour fabriquer de la science ; on attend d’eux qu’ils en fabriquent ; ils se sentent obliger d’en fabriquer. Mais c’est insuffisant comme excitant. L’avancement, les chaires, les récompenses de toutes espèces, honneur et argent, les réceptions à l’étranger, l’estime ou l’admiration des collègues, la réputation, la célébrité, les titres, tout cela compte pour beaucoup.”
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“L’esprit de vérité est aujourd’hui presque absent et de la religion et de la science et de toute la pensée. Les maux atroces au milieu desquels nous nous débattons, sans parvenir même à en éprouver tout le tragique, viennent entièrement de là. « Cet esprit de mensonge et d’erreur, de la chute des rois funeste avant-coureur », dont parlait Racine, n’est plus aujourd’hui le monopole des souverains. Il s’étend à toutes les classes de la population ; il saisit des nations entières et les met dans la frénésie. Le remède est de faire redescendre l’esprit de vérité parmi nous ; et d’abord dans la religion et la science ; ce qui implique qu’elles se réconcilient. L’esprit de vérité peut résider dans la science à la condition que le mobile du savant soit l’amour de l’objet qui est la matière de son étude. Cet objet c’est l’univers dans lequel nous vivons. Que peut-on aimer en lui, sinon sa beauté ? La vraie définition de la science, c’est qu’elle est l’étude de la beauté du monde.”
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“Quand la religion chrétienne fut officiellement adoptée par l’Empire romain, on mit dans l’ombre l’aspect impersonnel de Dieu et de la Providence divine. On fit de Dieu une doublure de l’Empereur. L’opération fut rendue facile par le courant judaïque dont le christianisme, du fait de son origine historique, n’avait pu se purifier. Jéhovah, dans les textes antérieurs à l’exil, a avec les Hébreux la relation juridique d’un avec des esclaves. Ils étaient esclaves du Pharaon ; Jéhovah, les ayant tirés des mains du Pharaon, a succédé à ses droits. Ils sont sa propriété, et il les domine comme n’importe quel homme domine ses esclaves, sauf qu’il dispose d’un choix plus large de récompenses et de châtiments. Il leur commande indifféremment le bien ou le mal, mais beaucoup plus souvent le mal, et dans les deux cas ils n’ont qu’à obéir. Il importe peu qu’ils soient maintenus dans l’obéissance par les mobiles les plus vils, pourvu que les ordres soient exécutés. Une telle conception était précisément à la hauteur du cœur et de l’intelligence des Romains. Chez eux l’esclavage avait pénétré et dégradé toutes les relations humaines. Ils ont avili les plus belles choses. Ils ont déshonoré les suppliants en les forçant à mentir. Ils ont déshonoré la gratitude en la regardant comme un esclavage atténué ; dans leur conception, en recevant un bienfait, on aliénait en échange une partie de sa liberté. Si le bienfait était important, les mœurs courantes contraignaient à dire au bienfaiteur qu’on était son esclave. Ils ont déshonoré l’amour ; être amoureux, pour eux, c’était ou bien acquérir la personne aimée comme propriété, ou bien, si on ne le pouvait pas, se soumettre servilement à elle pour en obtenir des plaisirs charnels, dût-on accepter le partage avec dix autres. Ils ont déshonoré la patrie en concevant le patriotisme comme la volonté de réduire en esclavage tous les hommes qui ne sont pas des compatriotes. Mais il serait plus court d’énumérer ce qu’ils n’ont pas déshonoré. On ne trouverait probablement rien.”
Par Julien, pour “Nos Libertés”, le 21 septembre 2011.