Dans les Cévennes, une famille d’agriculteurs faisait travailler gratuitement un homme, allant jusqu’à lui ponctionner ses prestations sociales. Le mari a été condamné à dix-huit mois de prison avec sursis.
Un matelas en mousse moisie. Un toit en tôle. Des murs et un sol en planches. Une ampoule au plafond. Et un tas graisseux de haillons pour seule garde-robe. C’est dans ce taudis de 3 mètres sur 3, sans eau ni chauffage, que Jacques passait ses nuits. Il avait 42 ans quand il s’est pour la première fois couché sur ce grabat humide ; il y a dormi jusqu’à ses 71 ans, sans draps, sans rien, avec pour seul compagnon un vieux réveille-matin, détail sordide, quand on sait que Jacques vivait ici, sur le terrain de la famille André, pour travailler chaque jour de l’année, du matin au soir. Il ne s’agissait donc pas de traînailler au lit… Quand il est parti d’ici, après trente ans de labeur, le dos de Jacques formait presque une équerre. Son compte en banque, lui, affichait une platitude totale : 1,48 euro d’économies. Le reste avait disparu dans la poche du couple André.
À Saint-Florent-sur-Auzonnet, le village cévenol dans lequel cette histoire d’esclavage moderne s’est écrite durant toutes ces années, personne n’a réalisé que Jacques, un brave gars simple et sans malice, était exploité par Gérard André. « Ils étaient tout le temps ensemble, on les voyait passer sur le tracteur… Alors moi, je croyais qu’ils étaient frères », confesse un paroissien à la sortie de l’église. Près de lui, une femme confie : « Ces gens, les André, ils ne parlent pas, ils sont un peu sauvages. Et chez eux, avec tout ce débarras devant leur maison, c’est vraiment rustique… » Une autre intervient : « C’est vrai que ce monsieur, là, l’exploité, on ne le voyait jamais dans le village ni au marché. » Même son de cloche dans le quartier : « On le voyait toujours travailler, cet homme, peuchère ! Mais il ne parlait pas, ne se plaignait jamais. Il était habitué comme ça, sûrement, racontent Claude et Marie-Thé, qui résident près du couple André. On savait qu’il travaillait pour ces gens-là, mais on ne savait pas qu’il était si mal logé… »
« Le terrain, une décharge »
Dans ce village du Gard, un homme rongé par la culpabilité ne se pardonne pas d’avoir mal évalué la situation de Jacques : Paul-Michel Gaultier, élégant et érudit généalogiste de 49 ans, possède une vaste bâtisse dont les jardins jouxtent la propriété des André. « Ma mère a acheté cette bastide en 1994, raconte-t-il. Nous avons vite vu que nos voisins, qui se présentaient comme ex ploitants forestiers, vivaient en autarcie, dans une grande précarité. Leur famille compte cinq enfants. Leur maison est un taudis, le terrain est une décharge. Cet environnement soulève le cœur ou génère la pitié mais, dans le milieu rural, il n’y a pas de quoi se formaliser outre mesure. Je me disais que c’étaient là de pauvres gens… »