Diego Fusaro est un philosophe et essayiste italien de 38 ans, considéré comme le théoricien ayant inspiré le rapprochement de 2018 entre le Mouvement cinq étoiles (M5S) et la Ligue du Nord (Lega). En 2019, il participe à la création du parti populiste et souverainiste Vox Italia (rebaptisé en 2021 Ancora Italia), parti qui s’oppose au libéralisme, à l’atlantisme et à l’américanisation et plaide en faveur d’une sortie immédiate de l’OTAN et de l’Union européenne. Il a également fondé en 2017 Interêt National, une association culturelle éditant une revue.
Égalité & Réconciliation : Selon les médias français, Giorgia Meloni serait une représentante du « post-fascisme »... Comment présenteriez-vous cette candidate et son programme ?
Diego Fusaro : Je la présenterais tout simplement pour ce qu’elle est ! C’est-à-dire une droitarde classique, néolibérale, qui œuvre pour le marché souverain et l’impérialisme atlantiste. Il n’y a pas l’ombre d’un quelconque fascisme !
Exactement comme la gauche du « Parti Démocratique » peut être néolibérale et atlantiste ; c’est juste l’autre face d’un parti unique articulé et néolibéral.
Le néolibéralisme d’aujourd’hui est comme un aigle dont l’aile droite est celle du dollar et l’aile gauche fuchsia, celle du déguisement...
Quels sont les rapports réels entretenus par Giorgia Meloni avec les courants représentés par Silvio Berlusconi et Matteo Salvini ?
Dans cette coalition, le véritable maître reste Silvio Berlusconi. Lui qui imposa dans les années 90 le tournant néolibéral à la politique italienne en considérant et gérant l’État comme une entreprise.
Quand Berlusconi claque des doigts, Salvini et Meloni accourent immédiatement chez lui, à Arcore.
Enfin, concernant Giorgia Meloni, elle fut lancée politiquement grâce au parti Forza Italia de Silvio Berlusconi. La droite italienne, comme je le disais juste avant, est une droite néolibérale, atlantiste, thatchérienne et totalement distante du fascisme. Autant que la gauche arc-en-ciel est distante du communisme d’ailleurs !
Comment comprendre l’éviction de Mario Draghi à l’aune de cette élection ?
Mario Draghi, banquier soutenu de la même façon par les droites néolibérales et les gauches fuchsia néolibérales, incarne et représente parfaitement la vision du monde capitaliste, cosmopolite et financier.
Il s’est retiré un temps non pas pour ne pas porter la responsabilité des incroyables dégâts que l’Italie va subir, mais plutôt pour les faire justifier par le fait qu’il soit parti. Sous cet aspect, Mario Draghi reste un génie absolu de la politique. Un génie qui œuvre pour le camp du Capital et contre les travailleurs et les classes moyennes.
Mais vous savez, Mario Draghi ne s’est pas retiré ! Il continuera à œuvrer, comme il l’a toujours fait, et peut-être même en se trouvant un meilleur poste que celui de président du Conseil.
Quelles répercussions de cette élection pouvons-nous envisager à l’international ?
Sur le plan de la politique internationale, les marchés et la ploutocratie néolibérale peuvent dormir sur leurs deux oreilles ! La droite de Giorgia Meloni reste fermement atlantiste ; et donc, favorable aux guerres impérialistes de l’OTAN, comme celle menée en ce moment contre la Russie, et peut-être bientôt contre la Chine.
En ce qui concerne l’Union européenne, la droite de Giorgia Meloni aboyait contre l’euro et les technocrates de Bruxelles mais elle a déjà abandonné tous ses projets de sortie de l’euro et de la zone euro. Même sur cet aspect, elle s’est rapidement transformée en force européiste alignée sur le discours unique.
Elle aura juste le droit d’essayer de contenir un peu l’horreur de la cancel culture et du Nouvel Ordre érotiquement correct, mais ce seront juste des petites manœuvres de cabotage qui n’affecteront en rien sur les rapports de force néolibéraux qui sont garantis et protégés autant par la droite que par la gauche.
Comment imaginez-vous l’avenir proche de l’Italie ?
Le futur de l’Italie n’est pas très positif, comme il ne l’est pas non plus pour les autres pays européens. Je pense surtout à la guerre impérialiste en Ukraine déclenchée par les politiques expansionnistes de l’OTAN, menée depuis les années 90 environ, dont le but est de mettre sous la domination de Washington l’entière zone post-soviétique.
Nous ne saurons pas qui la gagnera mais on sait déjà qui l’a perdue : et c’est l’Union européenne. L’UE joue le rôle du vase en terre cuite au milieu des vases en métal dans le célèbre roman de Manzoni, Les Fiancés. Les sanctions que l’Europe est contrainte d’imposer contre la Russie n’affectent en rien la Russie mais font beaucoup de mal à l’Europe, laquelle s’affaiblit et se soumet toujours plus à Washington.
Pourquoi Washington, qui est allié de l’Europe, demande à cette dernière d’imposer des sanctions qui ne nuisent pas à la Russie mais qui nuisent à elle-même directement ? Je pense pour deux raisons : en premier lieu, pour punir l’Europe d’avoir regardé avec un peu trop de sympathie la Russie et la Chine ces dernières années. En second lieu, pour séparer l’Europe de l’est, affermir son aspect colonial et pour la rendre encore plus dépendante de la civilisation du hamburger.
L’unique espoir que nous pouvons avoir réside dans la genèse d’une force non-alignée qui dépasserait les clivages gauche/droite, qui opposerait à l’atlantisme impérialiste un monde multipolaire, et qui invoquerait un communautarisme et une métaphysique issus de la culture grecque face à l’individualisme relativiste.
N’oublions pas qu’à la souveraineté du marché s’oppose la souveraineté du demos, et plus précisément, celle des peuples d’Europe.
Pour cela, il faudrait réaffirmer les raisons de la souveraineté populaire par le populisme et le souverainisme, précisément ceux que les groupes financiers dominants diabolisent.