À trente-cinq ans, le philosophe spécialiste de Marx et de Gramsci est le théoricien qui a inspiré la campagne du Mouvement cinq étoiles.
Né à Turin en 1983, Diego Fusaro est docteur en philosophie de l’histoire et enseigne à l’Université de Milan. Il puise dans sa lecture de Hegel, Marx, Gramsci ou encore Gentile pour construire une pensée politique dissonante, très hostile à l’euro et au capitalisme financier. Il publie régulièrement sur son blog personnel.
L’entente entre la Ligue et le Mouvement 5 Étoiles est-elle l’alliance de vos vœux pour remplacer le clivage gauche/droite ?
Diego Fusaro : Oui, absolument. Dans notre temps, celui du capitalisme financier, la vieille dichotomie droite-gauche a été remplacée par la nouvelle dichotomie haut-bas, maître-esclave (Hegel). Au-dessus, le maître a sa place, il veut plus de marché dérégulé, plus de globalisation, plus de libéralisations. Au-dessous, le serf « national-populaire » (Gramsci) veut moins de libre-échange et plus d’État national, moins de globalisation et une défense des salaires, moins d’Union européenne et plus de stabilité existentielle et professionnelle. Le 4 mars en Italie n’a pas été la victoire de la droite, ni de la gauche : le bas a gagné, le serf. Et il est représenté par le M5S et la Ligue, les partis que le maître global et ses intellectuels diffament comme « populistes », c’est-à-dire voisins du peuple et pas de l’aristocratie financière (Marx). Si ceux-ci sont populistes, il faut dire que les partis du maître sont carrément démophobes, ils haïssent le peuple.
Le président Mattarella a finalement permis la formation du nouveau gouvernement, Savona n’est plus à l’économie mais il fait encore partie de l’équipe. A-t-il eu peur que de nouvelles élections ne donnent encore plus de voix aux deux formations dissonantes ?
Tout à fait. Il fallait ne prendre aucun risque. L’Italie, comme tous les pays d’Europe, vit sous une pérenne dictature financière des marchés. Cela veut dire un totalitarisme glamour, le totalitarisme du marché capitaliste. Les marchés demandent, les marchés se sentent nerveux : ils sont des divinités qui décident d’en haut, c’est l’aboutissement du fétichisme bien décrit par Marx. En 2011, l’Italie fut victime d’un coup d’État financier voulu par l’UE. Et encore maintenant cela s’est presque reproduit. Malgré tout, le gouvernement « jaune-vert » (les couleurs du M5S et de la Ligue, respectivement) a été formé, même s’il a souffert de fortes modifications (notamment le rôle de Savona), pour ne pas laisser les marchés trop insatisfaits...