Gad Elmaleh a réussi son pari : hier soir, trois millions de Français étaient devant leur écran pour voir la première de son plagiat, pardon, de son remake du Saturday Night Live Show américain, autrement dit le Spectacle du samedi soir en direct, mais en français ça craint trop sa mère. Ce qui est intéressant avec le divertissement, c’est qu’il est l’exact complément de la dureté politique de la dominance. L’un et l’autre sont complètémentaires dans le Système.
On s’explique : dans une France plombée par une oligarchie qui joue le chaos pour se maintenir au pouvoir et écraser toute contestation (de cette même oligarchie), le divertissement se doit d’être léger, apolitique, et nettoyeur d’esprit. Un procédé anti-contestataire qui absorbe les colères, un tueur de lucidité, mais qui fait du bien (car la lucidité fait mal). Un mauvais bien, car un bien non durable. De cette eau vous aurez toujours soif... On n’est pas en train d’expliquer que Gad Elmaleh est un salaud au sens sartrien, mais que sa marge de manœuvre est étroite par rapport aux besoins du Système : il fait ce qu’il faut là où on lui dit de faire. Et il le fait bien. Gad Elmaleh est l’exact pendant de Manuel Valls : l’un tend la laisse, l’autre la détend.
M6 ayant bloqué toutes les vidéos de l’émission, pour cause de niveau lamentable, il reste quelques secondes de live, mais qui disent tout mieux que des mots :
La joie de Jalouli, grand vainquer du Meilleur patissier du #SNLGad. Cc @MalikBentalha pic.twitter.com/VFuwbvxMnP
— M6 (@M6) 5 janvier 2017
Le même soir, soit jeudi 5 janvier 2017, Manuel Valls passait son grand oral dans L’Émission politique de France 2. Qui ne réunit que 2 millions de téléspectateurs. On n’est pas là pour se faire engueuler, on est là pour voir le défilé, chantait Boris Vian. C’est exactement ça. Regarder l’ex-Premier ministre bafouer son programme bidon est un exploit, mais ça n’est pas de la politique. Les vrais donneurs d’ordres sont cachés, et Valls travaille pour eux, pas pour nous. Au moins Elmaleh ne nous ment-il pas. Il pratique l’omission, certes, mais c’est le rôle du divertisseur. Valls, lui, ne divertit pas. Il croit même que son sérieux est gage de… sérieux. Alors qu’il est tendu à rompre par ses propres contradictions internes (entre les intérêts de la France et ceux d’Israël), une équation impossible à solutionner, et qui l’oblige à mentir en permanence.
Pendant que Valls et Elmaleh se disputaient 5 millions de téléspectateurs, sur NT1, petite chaîne de la TNT, un million de Français regardaient La Mémoire dans la peau, le film de Doug Liman adapté du roman de Robert Ludlum, l’homme qui voit des complots partout. Si on ne l’a jamais accusé de complotisme, c’est qu’il a eu l’intelligence de couler sa lucidité politique dans l’habit du roman d’aventures. Du coup, ça passe mieux. Mais Ludlum parle du projet MK-Ultra, nommé « The Enterprise » par la cellule archi-secrète de la CIA. Il s’agissait de déprogrammer/reprogrammer des tueurs pour des assassinats politiques ciblés, sans qu’on puisse remonter à la source de l’organisation. C’est donc de manière surprenante sur NT1 qu’on pouvait se plonger dans la politique la plus pure.
Le mal est-il un faux bien ?
Ceci dit, tout le monde ne peut pas admettre une telle manipulation. La lucidité se paye en dépression… passagère. C’est un mauvais moment à passer. De nombreux Français préfèrent encore confier leur esprit à des divertisseurs, plutôt qu’à des avertisseurs.
Le divertisseur numéro un du moment, c’est Cyril Hanouna, monstrueusement rémunéré par le Système (incarné pour l’occasion par Vincent Bolloré) pour ce travail d’extinction de la lumière intérieure. Sautant sur la popularité du bonhomme, le journaliste René Chiche vient d’en sortir une biographie… non autorisée. Le problème, avec Hanouna, c’est qu’il n’y a pas grand-chose à dire. La seule chose intéressante serait de savoir comment un vendeur de chaussettes du Sentier (c’est une image) se retrouve animateur-producteur numéro un du PAF en à peine quatre ans. On a notre petite idée mais on préfère ne pas la donner, pour un tas de raisons, toutes financières, comme dirait John Fante.
René Chiche a été interviewé par L’Express :
Il faut quand même savoir qu’à France Télévisions, son surnom était « Ah non non ». Il était vraiment has-been, considéré comme un comique de bas-étage. Et il a réussi malgré ça, ce que je trouve hallucinant en tant qu’observateur et professionnel des médias. Il n’avait aucun piston, aucun réseau. C’est la force du personnage. C’est pour ça que je me dis qu’il va durer longtemps. Qu’il n’est pas seulement un feu de paille.
[…]
Il représente la France de la diversité, de religion juive, avec des grands-parents judéo-arabes. C’est le seul animateur français qui a imposé des mots en arabe à la télévision française ! Et puis n’oublions pas qu’il a longtemps milité pour SOS Racisme, pour Ni putes ni soumises... S’il y a une montée du Front national, je sais de source sûre qu’il se positionnera contre. De part son parcours personnel, il déteste le FN. Il a lui-même déjà reçu beaucoup de menaces antisémites.
Quelle lucidité de la part de Chiche ! Quel courage politique de la part d’Hanouna ! Bon, à part le fils Bolloré, Jean-Pierre Foucault, qui lui a mis le pied à l’étrier en le sortant de la triste chaîne Comédie ! du sioniste Dominique Farrugia, Hanouna n’a pas de réseau… Ce qu’il faut entendre, tout de même. Un qui n’avait pas besoin de réseau, juste d’air et de montagne, de vide à l’extérieur mais pas à l’intérieur, c’est Tancrède Melet.
Tancrède, l’homme-vertige
Tancrède s’est tué il y a un an pile, le 5 janvier 2016, en tombant d’une montgolfière. Une chute de 20 mètres « seulement », alors qu’il avait flirté toute sa vie avec des hauteurs vertigineuses. Le mariage avec le vide… Tancrède était un fou de montagne, il avait créé ce groupe de Flying frenchies, mais il avait fait de ce sport quelque chose entre l’art et le jeu. Il dansait sur les cimes, se moquant des verticales, tutoyant le danger à chaque sortie. Un jeu de la mort qui n’a pas mal fini, même avec la mort au bout, parce qu’il reste un parcours extraordinaire, celui d’un ingénieur qui ne voulait rien faire comme les autres. La vie pépère, très peu pour lui.
L’aiguile de la République
L’audace, l’originalité, l’efficacité, tout ce qui fait le génie français. Exactement ce qui manque à nos dirigeants qui, à côté de cet ange, font figure de pachydermes tristes.