Depuis 2015, on était habitué à la catastrophe, l’horreur, la mort, le mensonge et la désinformation. Sans oublier la connerie quotidienne sur toutes les ondes. Parfois, une petite nouvelle redonne foi en l’humanité française. Aujourd’hui, par exemple, le grand journal du soir qui nous sert de propagandomètre vient de créer son « Making of ». Passons sur le mauvais exemple donné aux étudiants (qui lisent encore Le Monde) d’une expression anglaise plutôt que tricolore, et concentrons-nous sur la nouveauté.
En ces temps de complotisme et de doute vis-à-vis médias, la rédaction a choisi d’exposer sa façon de travailler, ses débats, voire ses désaccords dans une rubrique régulière.
Pourquoi c’est un moment historique dans l’histoire de la presse mainstream ? Parce que ce journal, attaqué sur le Net à chaque fois qu’il fait de la propagande en lieu et place de journalisme, ou camoufle de l’injonction oligarchique sous de l’information, se justifie. Cela veut dire que le travail critique qui a lieu sur le seul média encore indépendant des puissances de l’argent porte ses fruits. Normalement, un média géant ne s’abaisse pas à répondre aux cris de souris venus des étages inférieurs, voire de la cave. Il est une loi non écrite dans les médias qui veut qu’un gros attaqué par un petit ne s’abaisse pas à répondre : il a tout à y perdre. C’est pourtant ce qui se passe avec le « making of ».
En quoi consiste le « making of » ? Vous allez pouvoir entrer dans le saint des saints, la fabrique numéro un de l’information dominante française, à l’image de ce qu’a fait le New York Times, sorte de Le Monde mondial : « L’idée ? Permettre aux abonnés de pénétrer à l’intérieur de la rédaction, à New York ou dans les nombreux bureaux dont dispose le journal à travers le monde. » Le directeur de la rédaction, Luc Bronner, précise : « En ces temps de complotisme et de doute profond sur les médias, nous pensons utile de réfléchir avec nos lecteurs à la pratique du journalisme telle que nous l’envisageons. »
On applaudit l’audace, confraternellement, mais on sait que ça ne changera rien au résultat final : les puissances de l’argent, les grands lobbies qui tiennent le journal, tourneront cette mise en abyme autocritique en simulacre d’ouverture, de transparence et d’honnêteté. On va faire une petite analogie : l’entrée de caméras dans les abattoirs, pour les militant de la cause animale, ne changera pas la fabrique de viande, fondamentalement. On y verra peut-être moins de brutalités, ou alors elles auront lieu dans les angles morts… On sait tous que les véritables influences ne se disent pas dans les conférences de rédaction. La démocratie est un théâtre, qui rassure le public. La vraie décision est en coulisses, toujours, à l’abri des regards.
C’est pour cela que la Chambre des députés, dite aussi très pompeusement Assemblée nationale, n’est qu’une chambre d’enregistrement de l’exécutif. De Gaulle ne voulait pas revenir au bordel permanent de la IVe République, alors il a donné les pleins pouvoirs au président. Une excellente idée quand le président est au niveau, une catastrophe quand il est en surclassement.
Le député LR Pierre Lellouche évoque la légèreté du président actuel et pose la question de sa destitution :
Avant-hier a eu lieu un débat houleux sur les opérations extérieures. La gauche et la droite s’y écharpent dans un théâtre qui ne passionne plus personne, que ce soient les lycéens en goguette ou les téléspectateurs de LCP. On y causait guerres, budgets, car la guerre ça coûte bonbon, et surtout, on y commentait les aveux théoriquement confidentiels du président de la République dans le livre de Lhomme & Davet sur les opérations « homo », ou homicides, commanditées par le chef des armées. Des éliminations ciblées illégales, qui sont considérées comme des crimes de guerre par les lois internationales... de la guerre. Oui, ça existe, des lois dans la guerre. Tout le monde s’assoit dessus, mais il faut jouer le jeu, pour ces enfants que sont le grand public.
L’enquêteur Vincent Nouzille révèle en janvier 2015 le comportement peu professionnel du président de la République sur les opérations sensibles :
Quelle est précisément la boulette du président ? Avoir fourni la liste des – on parle de 14 noms – chefs terroristes ciblés par le service Action de la DGSE. Fanfaronnade aux conséquences dangereuses ? Volonté de transparence portée à son point de rupture ? Hollande n’avait pas besoin de ça. Il s’agit d’un « manquement grave à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat », et ça mérite la Haute Cour. Heureusement, la justice de notre pays est complètement inféodée au politique, qui est lui-même complètement inféodé aux groupes de pression, qui sont les vrais détenteurs du pouvoir. Donc François, le président qui ne sait pas tenir sa langue, est tranquille.
Un qui n’est pas tranquille, Julien Chollet. Julien est directeur d’une société d’événementiel à Cognac, et il veut rendre coup pour coup au méchant Ménard qui a placardé son affiche désormais célèbre sur les murs de Béziers : « Ça y est, ils arrivent… Les migrants dans notre centre-ville ! »
N’écoutant que son cœur de gauche, notre Juju lance une campagne pro-migrants en demandant 4 230 euros sur un site participatif. Il veut placarder sa contre-affiche antiraciste sur les abribus de la cité occitane.
« C’est une démarche de bobo, mais je m’en fiche, j’assume complètement. Je connais des personnes qui accueillent des migrants, et ça, malheureusement, on ne le montre pas. [...] Devant des extrémistes, j’ai toujours prôné l’ignorance. Mais aujourd’hui ces personnes sont devenues trop importantes, elles se mobilisent, utilisent des agences de communication, et convainquent de plus en plus de gens... Là, ça devient dangereux. Alors, j’ai évolué. Je pense maintenant qu’il faut être cash, qu’il faut dire tout fort que ces gens sont incultes, voire bêtes. Car si on ne bouge pas, si on se tait ou qu’on les ignore, ils vont continuer. »
- Julien part en guerre contre la bêtise et la méchanceté
Julien, comment dire ça sans brutalité, on ne veut pas te décevoir, mais ton affiche, elle va être mal reçue. Tes 4 000 euros, ils vont finir déchirés, à la poubelle, et recouverts d’affiches anti-migrants dans la nuit. Quand on organise ce genre d’action, il faut déjà, Julien, prendre la température locale. Et là, question migrants, elle n’est pas super chaude. Reste plutôt t’occuper des événements culturels à Cognac, tu prendras moins de coups, et de désillusions. Ceci étant dit, ton initiative nous fait bien rigoler, et on aimerait voir ce que ça donne, in vivo.
Le grand Cyrus, fondateur de l’empire perse, a lancé un jour à ses troupes le fameux « qui m’aime me suive ». Vérifie quand même que tu as du monde derrière toi…