Il y a 15 ans crevait l’usine AZF, près de Toulouse, dans une explosion titanesque, faisant un cratère de 70 mètres sur 40, tuant 31 personnes, en blessant 2 500, et en laissant 12 000 physiquement (surdité) ou psychologiquement atteintes. La particularité de cette explosion est qu’elle est survenue le 21 septembre 2001, soit 10 jours après les attentats du World Trade Center. Très vite, la presse s’interroge : accident industriel ou attentat ?
Avec une telle pression nationale, les enquêteurs imposeront via les médias la thèse de l’accident chimique, cette rencontre entre nitrate et chlore, résultat d’un laisser-aller professionnel. La thèse de l’attentat sera rapidement abandonnée, malgré le doute dans la population. Le traitement médiatique des événements très nébuleux du 11 septembre 2001 aux États-Unis a laissé le public mondial, et français en particulier, dans l’expectative : depuis, toutes les versions officielles sont automatiquement contestées. Un travail de doute (kantien) nécessaire, qui ne lâchera plus les responsables politico-médiatiques.
Le cas de l’usine pétrochimique toulousaine inaugurera cette déchirure, entre la version officielle, et la version alternative (un trait de lumière, un tir, une explosion, et un « islamiste » mort dans des conditions suspectes). Qu’elle soit justifiée ou pas, il y en aura désormais toujours une. La version alternative pouvant elle-même se scinder en version alternative dure et version alternative douce. La guerre des interprétations, signe d’un conflit ouvert entre élite et peuple, a commencé ce jour-là. Bousculée, la presse suivra parfois la version alternative, mais sera ramenée rapidement dans le droit chemin par les oligarques qui la tiennent. Aujourd’hui, ces deux systèmes d’analyse sont devenus presque irréconciliables, tant la version officielle persiste à s’arc-bouter sur des explications incohérentes (le 11 Septembre est le fait d’une bande d’islamistes dirigés par ben Laden), se démonétisant d’autant.
La version accidentelle :
Le cas médiatico-politique de l’explosion de l’usine AZF a un ancêtre : celui de « l’explosion » du barrage de Malpasset, le 2 décembre 1959, en pleine guerre d’Algérie. Malpasset étant le nom de ce barrage situé au-dessus de Fréjus. Ce soir-là, les murs épais de plus de six mètres à la base et d’un mètre cinquante au sommet craquent et déversent une montagne d’eau d’une hauteur de 40 mètres dans la vallée. 423 personnes, habitant principalement Fréjus, y laisseront leur vie.
Le contexte ? La guerre en Algérie, ou ce qui s’appelait encore un département français, et sur le sol national. L’antiterrorisme de l’époque aux abois, la DST sur les dents, passant son temps à démanteler des réseaux FLN non pas dans les « quartiers », mais dans les bidonvilles de banlieue (Nanterre) et les petits commerces parisiens. Une chasse à trois, puisque FLN et MNA se feront en outre une guerre sans pitié sur le sol métropolitain. La France à cran, des meurtres et des explosions, et une DST qui, malgré le soutien des services allemands (et probablement américains) au FLN, réussira à circonscrire le danger, principalement en Île-de-France.
La thèse de l’attentat FLN :
« Les services de renseignements allemands savaient où et quand cet attentat aurait lieu mais ils n’ont pas prévenu leurs homologues français »
À l’époque, il n’y a qu’une explication : les précipitations abondantes des derniers jours ont rempli le barrage de Malpasset à ras bord, dont la structure présentait depuis le départ des failles, des fissures. L’ouvrage explosera sous la pression de la masse liquide, dans un bruit de tonnerre, en faisant vibrer la terre.
Ce n’est que le 22 janvier 2013, 54 ans plus tard, à l’occasion de la diffusion d’un documentaire allemand sur Arte – qui ne nous avait pas habitués à promouvoir des versions alternatives de grands événements – qu’on apprend que les services secrets allemands savaient qu’un attentat se préparait à cet endroit. Un agent allemand qui suivait le FLN pour le compte de sa hiérarchie, aurait prévenu celle-ci, qui n’aurait en retour pas prévenu ses homologues français.
La version anti-attentat :
Suite à la diffusion du doc, un des derniers survivants de la DST de l’époque rejettera toute implication du FLN dans l’événement, et tout acte terroriste.
En revenant sur cette affaire, nous sommes entrés dans la guerre de la DST (en vérité le SCAA, le service de coordination des affaires algériennes) contre le FLN sur le territoire français, et nous avons remarqué que malgré l’état de guerre, malgré l’extrême tension, malgré l’infiltration de milliers de militants FLN en France, malgré leur activisme politique à destination de la communauté algérienne immigrée en France (racket pour l’impôt révolutionnaire), la DST a su déjouer tous les gros coups prévus par l’organisation armée algérienne. On parle bien de la métropole.
Certes, de nombreux attentats ont eu lieu (contre des casernes et des postes de police), mais cela restait en majorité des affaires intérieures algériennes, entre responsables du FLN et du MNA (on parle de 4 000 morts en France en 6 ans, de 1956 à 1962). Conclusion ? Il y a un demi-siècle, nos services de renseignement fonctionnaient parfaitement, et à chaque attentat, on n’entendait pas parler de « failles », et de « restructuration ». Qu’on se le dise.
- Georges Fenech, monsieur Failles
Aujourd’hui, après chaque attentat, nous apprenons qu’il y a une « faille », un « dysfonctionnement » dans nos services, que ce soit en termes d’effectifs, de surveillance, d’électronique, de stratégie ou de budget. Chaque attentat apporte son lot de remises en question et de restructurations, sans qu’il soit possible de dire que nos services sont enfin opérationnels. Il est vrai que les annonces décourageantes – qui semblent dire que le combat est perdu d’avance – de nos responsables, que ce soit le chef du renseignement, le ministre de l’Intérieur, ou un ancien juge antiterroriste, n’arrangent pas les choses. Alors que nos services extérieurs et intérieurs bénéficiaient d’une excellente réputation (jusqu’à la réforme de Sarkozy), dans le monde et en France, que les rares attentats qui ont eu lieu étaient « explicables » (ceux des années 90), voici, depuis janvier 2015, que plus rien ne fonctionne. Étonnant, n’est-ce pas ?