Le titre de cet article fera sans doute sourire les connaisseurs du sujet, tant la légalité internationale a été constamment bafouée dès le début dans cette guerre en Syrie qui n’en finit plus. En utilisant l’expression d’ « abandon progressif », je veux souligner que dans les premiers temps, les puissances qui œuvrent à la destruction de la Syrie, au nombre desquelles on peut compter (liste restreinte) : la France, le Royaume-Uni, les États-Unis, la Turquie, Israël, l’Arabie saoudite, le Qatar, ont eu le souci, au moins en apparence, de respecter cette légalité, et que les années passant, et le « régime syrien » résistant encore et toujours, ces puissances ont été contraintes de piétiner de plus en plus ostensiblement les règles du jeu, fait très inquiétant puisqu’il indique que ces puissances semblent déterminées à renverser au besoin l’échiquier s’il s’avérait qu’elles puissent ne pas gagner la partie, même après avoir enfreint systématiquement toutes les règles du jeu pendant plus de cinq ans.
C’est ainsi qu’on assiste, pour être précis depuis le tournant du tir à l’arme chimique du 21 août 2013, à un abandon progressif de la légalité internationale de la part des puissances œuvrant à la déstabilisation de la Syrie.
Rappelons quatre événements-clés (liste non exhaustive) marquant cette évolution, en précisant qu’aucune puissance alliée de la Syrie (Iran, Russie) ne s’est rendue coupable entre-temps de violations comparables du droit international.
Le 6 septembre 2013, en marge du sommet du G20 de Saint-Pétersbourg, 11 chefs d’État et représentants des pays de ce groupe (Australie, Arabie saoudite, Canada, Corée du sud, Espagne, États-Unis, France, Royaume-Uni, Italie, Japon, Turquie) se déclarent prêts à une intervention en Syrie sans l’aval de l’ONU, suite au tir à l’arme chimique dans la banlieue de Damas le 21 août 2013, dont ces pays accusent, sans nuances et avant toute enquête, l’armée syrienne de l’avoir perpétré [1].
20 septembre 2014 : suite à l’expansion foudroyante de Daech en Irak et dans l’est de la Syrie, à partir du mois de juin, et eu égard aux gravissimes exactions commises par ses combattants, est mise en place une « coalition internationale » pour lutter contre Daech en Irak. Cette coalition, dans laquelle on retrouve la plupart des pays précités, est légitimée le 20 novembre 2015 par le vote de la résolution 2249 de l’ONU [2] qui autorise les états membres à recourir à « tous les moyens nécessaires [3] » pour contrer Daech non seulement en Irak, mais également en Syrie. Les avions de la coalition à partir de là vont pouvoir mener des frappes en Syrie, prétendument pour éradiquer Daech, sans avoir besoin de l’accord des autorités syriennes qui se plaignent de ce qu’elles considèrent d’autant plus comme une ingérence dans leurs affaires, que les membres de la coalition refusent en même temps de façon catégorique tout appui au sol de la part des troupes syriennes.
22 août 2016 : Les USA transmettent un communiqué au gouvernement syrien et à l’autre coalition anti-terroriste, (composée de la Russie, de l’Iran, et du Hezbollah libanais), quant à elle appuyée au sol par les troupes syriennes. Les USA y font savoir qu’ils ont prélevé à leur usage une bande du territoire syrien, qu’ils entendent occuper militairement en y maintenant des troupes, des forces d’opérations spéciales, des conseillers, des mécaniciens et des unités de soutien ; ils ont également établi une zone d’exclusion aérienne (« no fly zone ») et averti qu’ils abattraient tout avion syrien ou russe qui survolerait cet espace réservé. Les autorités syriennes protestent vigoureusement contre ce qu’elles dénoncent comme une atteinte à la souveraineté de la Syrie.
17 septembre 2016 : l’aviation des États-Unis bombarde une position tenue par l’armée syrienne surplombant l’aéroport de Deir El Zor, causant la mort de plus de 80 soldats syriens [4]. La position est aussitôt reprise par l’organisation EI qui assiège cet aéroport depuis 2 ans. Cette grave « bavure » met gravement en péril l’accord de cessez-le-feu conclu après de longues et âpres négociations entre John Kerry et Sergueï Lavrov le 13 septembre. La Russie en riposte convoque immédiatement une réunion d’urgence du conseil de sécurité qui se réunit le jour-même de la frappe (17 septembre). Samantha Powers, la représentante des USA à l’ONU reconnaît la responsabilité de l’armée de son pays, mais en minimise la gravité en rappelant, sans donner de détails et avec les éléments de langage anti Assad traditionnels, que le régime « frappe volontairement des cibles civiles avec une régularité effrayante (…) et a torturé des milliers de prisonniers ». La diplomatie russe, très remontée, y voit un « mauvais présage ». L’incident est d’autant plus grave que la Russie et les USA sont les principaux garants de l’accord de cessez-le-feu du 13 septembre, et que John Kerry et Sergueï Lavrov doivent s’entretenir mercredi 21 pour annoncer une reprise des pourparlers, dans la foulée de l’accord de cessez-le-feu signé une semaine plus tôt.