Le député PS Christian Sirugue, que personne ne connaissait jusque-là, à part peut-être ses administrés (et encore, un député ne fout quasiment plus les pieds dans sa circonscription, où il a moins de pouvoir que les principaux maires) balance un pavé dans la mare, qui a disparu depuis belle lurette sous tout ce qu’elle s’est pris dans la poire. Avec ces pavés, on pourrait construire un château en Espagne. Christian propose de verser aux jeunes dès 18 ans un RSA de 400 euros environ. À droite, on accuse le gouvernement de ne pas assumer sa position et de rester au milieu du gué d’un revenu universel. Au fait, le revenu universel, c’est quoi ?
Les Suisses y pensent, mais il faut dire qu’ils ont les moyens. En France, il serait versé à tous les enfants, dès leur naissance, mais ils ne pourraient le toucher qu’à 18 ans. Arrivés là, le petit capital servirait soit à payer ses études, au cas où les parents ne pourraient pas assumer cette charge, soit à créer, par exemple, une entreprise (l’auto-entreprise grignote le salariat). En période de crise, on ne peut évacuer les idées un peu perverses du type : acheter un kilo d’héroïne pour le revendre et décupler sa mise, malgré les risques ; jouer au casino toute la somme en une nuit pour faire sauter la banque ; ou tout simplement craquer le magot en achats de plaisir (restos, sorties, voyages, prostitué-e-s, pour parler comme nos amis LGBT ou Nuit Debout).
Sortons de la prospective pour retourner dans le réel : le chômage touche en France, en moyenne, car les disparités sont énormes, selon les régions (Marseille et Roubaix, c’est plus dur que Lyon et Paris), selon les origines socio-professionnelles familiales (CSP plus ou moins), un quart des jeunes en âge de travailler. Le RSA, actuellement, n’est versé qu’à ceux qui ont plus de 25 ans. Attention, un RSA est versé à des 18-24 ans qui sont des parents isolés (jeune mère seule, donc) ou qui ont déjà bossé. Ajoutons ici que dans les quartiers, par exemple, beaucoup de « jeunes mères seules » se présentent comme telles aux services sociaux, pour toucher cette fameuse aide, alors qu’elle sont plus ou moins en couple. voire carrément en couple. Le conjoint, copain, mec ou keum ne devant évidemment pas se montrer quand l’assistance sociale débarque pour voir si tout va bien : est-ce que bébé est bien nourri ? L’appartement (au loyer souvent assumé en totalité par les APL) est-il bien tenu ? L’assistante vérifie du coin de l’œil s’il n’y a pas de trace de passage d’homme au passage… Il suffit de faire le ménage avant, car les visites ne sont pas impromptues, mais programmées. Petite hypocrisie sociale des deux côtés, qui permet de faire quelques courses au Lidl ou au Franprix (on peut les citer, c’est pas des marques trop prestigieuses), quand la jeune mère seule en question ne bénéficie par de bons de paiement (il y en a même pour les loisirs et les vacances).
On le voit, le système social français va très loin dans le soutien aux plus démunis, même si un pourcentage non négligeable de ces derniers réussit, en poussant un peu les meubles, à rentrer dans les critères d’attribution. En allant plus loin, les mères vraiment démunies ou en difficulté chronique, se font carrément prendre en charge par l’État, qui remplace des familles déficientes, absentes ou paumées, et là, la jeune mère passe sous la coupe des autorités. La mise sous tutelle est impitoyable : l’État paye les dettes (EDF et compagnie), la « mauvaise » mère suivie de A à Z doit tout justifier, et le risque c’est qu’elle perde la garde de ses enfants. L’État devient le tuteur officiel de l’enfant ou des enfants. Et malheur à la mère seule qui craque...
Mais ça, c’est le gros social qui tâche. Au-dessus de cette situation difficile – la pauvreté des mères seules est la pauvreté montante en France (mais n’oublions pas celle des personnes âgées, nous y reviendrons un autre Jour en France) – dont les origines sont souvent à chercher dans une éducation foireuse, un drame ou un rejet familial, il y a une jeunesse qui veut ou ne peut travailler.
Pas la peine de se jeter des chiffres à la figure, la frange des glandeurs est inquantifiable, tandis que celle des vrais chercheurs de boulot gît dans les bases de données du Pôle Emploi : il suffit de suivre l’historique des tentatives d’intrusion dans la vie active des 18-24 ans en termes de rejets de candidature pour appréhender la situation. La raison principale de ce rejet du « marché » devant la demande d’emploi globale des jeunes est multiple : un, il n’y a pas assez d’offre pour trop de demande, deux, les jeunes en question ne sont pas forcément qualifiés ou adaptés aux postes vacants existants, trois, les jobs proposés ne correspondent ni aux désirs ni aux formations des jeunes (ce qui est différent), et quatre, les employeurs sont rétifs à embaucher pour moult raisons. Trop cher, pas assez (ou pas immédiatement) rentable, le jeune reste sur le carreau entre stages et CDD pendant plusieurs années, pour toucher, en moyenne toujours, son premier vrai emploi en CDI vers 28 ans. On entre de plus en plus tard sur le marché classique de l’emploi, on en sort plus tard aussi, pour avoir ses 41,5 ans de cotisations (166 trimestres pour partir à 62 ans en ce qui concerne le régime général).
Chaque année, 600 000 Français sortent du marché du travail (ils partent à la retraite), et 750 000 y arrivent. Mais les 600 000 places ne sont pas occupées mécaniquement par une grande partie des 750 000 primo-arrivants : des postes ne sont pas remplacés (dans l’administration, par exemple), des profils ne correspondent pas forcément, et c’est là que la formation intervient. Mais c’est encore un autre et vaste débat.
Concentrons-nous sur le fait du jour, le RSA versé à partir de 18 ans. Le risque, que Martine Aubry, la maman des « 35 heures », pointe, c’est que le RSA attribué dans cette tranche d’âge tue le désir ou le besoin de trouver un premier emploi. Cela alourdirait donc la facture sociale tout en alourdissant le chômage des jeunes, qui serait repoussé à 25 ans. Si même Titine dit ça… Au fait, qu’est-ce qui fait que la France n’arrive pas à embaucher ses jeunes ? D’où vient cette particularité française (Espagnols mis à part) ?
- La Cour des Comptes pointe le peu de temps, de moyens et d’énergie accordés par le Pôle Emploi aux demandeurs d’emploi
Tout le monde sait – les médias culpabilisateurs nous le serinent chaque jour – que nos voisins allemands se débrouillent mieux : leur industrie est gourmande d’emplois, leur agriculture a besoin de bras, leurs exportations se portent bien, mais leur formation pratique est supérieure. On en a déjà parlé : en Autriche, par exemple, personne n’est laissé sur le carreau. Chaque jeune a droit à une formation, souvent pratique, qui est, comme chacun sait, dévalorisée chez nous. L’école et son adaptation aux formations qui marchent est en question, mais l’organisme censé trouver du boulot aux primo-arrivants est vraiment sur la sellette. Les employés du Pôle Emploi font ce qu’ils peuvent, mais ils croulent sous les dossiers, qui sont fatalement mal-traités. Un agent devait gérer théoriquement une trentaine de personnes (jeunes et moins jeunes mêlés), il se retrouve en général avec 70 à 80 dossiers, voire une centaine. Résultat, cette grosse machine nationale à changer la merde en or qu’est le Pôle Emploi a une image et une efficacité désastreuses, et en majorité, ce n’est plus par elle qu’on trouve du boulot. Et on ne parle même pas des radiations plus ou moins motivées par le désir de faire baisser les chiffres, qui sont l’angoisse des hommes politiques.
Il résulte de tous ces blocages, inadaptations ou manquements, une grogne sociale qui s’exprime comme elle peut, où elle peut : elle peut prendre des formes politiques (engagement à gauche ou à droite pour améliorer les choses ou « changer le monde »), des formes moins institutionnelles (activisme, marginalisation) ou plus violentes. Il est impossible d’affirmer que le chômage endémique des banlieues (on atteint des records dans certains quartiers, de 50 à 80% de chômage chez les jeunes) mène, avec quelques injections idéologiques sur cette frustration, à du terrorisme. Mais à un rejet du Système, sans aucun doute, pour paraphraser Julien Courbet. S’il est facile ou compréhensible de grogner, la grogne n’est pas une solution.
Une fois arrivés là, la sempiternelle question : que faire ? D’abord, ne pas incriminer les acteurs sociaux, qui font ce qu’ils peuvent avec une situation lourde. Le filet social français fonctionne pour trois millions de chômeurs au maximum, et six millions de pauvres (six millions, six millions !). Mais à six millions de chômeurs et 12 millions de pauvres, ça complique tout et craque de partout.
L’angoisse, à 20 ans, devant ce tableau, est légitime. Mais on ne vit pas que d’angoisse, et l’angoisse a au moins cet avantage, qu’elle déclenche l’action. À 20 ans, on dispose d’assez d’énergie pour encaisser des situations dures (survivre avec peu), compenser un avenir qui semble plus sombre que pour la génération 68 (celle de Finkielkraut, BHL, Bruckner et Glucksmann), avec des petits plaisirs et de la solidarité tribale (amis, réseaux), mais surtout, tout est possible. On peut partir en voyage, pas forcément via Air France et Kuoni (un tour opérateur de luxe décrété meilleur voyagiste du monde) : certains partent plusieurs mois par an dans des pays où l’on vit très bien avec 10 euros par jour, trouvant même des petits jobs là-bas (l’Asie a la cote, demandez à Seth Gueko), et se refaisant la pelote en France avec des jobs saisonniers pour mieux repartir ensuite. Attention, nous ne soutenons pas que quitter la France est la solution !
Il reste beaucoup à faire chez nous, à réparer, selon l’expression du mage Attali, et des solutions d’économie autonome surgissent ça et là. Des contre-sociétés et des micro-sociétés se créent, sur des bases fraternelles plus saines que ce qu’on voit dans les grandes entreprises. Le chaos est aussi créateur. C’est le moment des possibles, où l’on n’a plus rien à perdre. Les expériences foisonnent, et les Français commencent à comprendre que l’échec n’est pas une preuve d’erreur ou de faute, comme l’école nous l’a bêtement appris, mais un jalon normal sur un chemin nouveau, celui de l’expérimentation sociale.