Quel bordel, non mais quel bordel la France !
Avant, tout allait bien. Les entreprises tournaient, les Français causaient, au bistrot, les hommes politiques faisaient semblant de se battre dans l’Assemblée, sous les caméras, avant de se retrouver au bar, de boire un (bon) coup et de parler de la dernière assistante parlementaire bien roulée. On allait se taper une bonne bouffe chez Thiou, à la brasserie Bourbon (éviter la tarte poire chocolat), à la terrasse de l’Esplanade ou au Bistrot de Paris. C’était l’bon temps.
« La buvette est le lieu sacré des armistices
Qu’un seul ne peut violer sans que tous le maudissent
Pour âpre et violent qu’ait été le combat
Ici, sans hésiter, on met les armes bas. »
Depuis quelques années, tout semble partir en sucette, chez nous. Le chômage touche 5,7 millions de Français, et pas trois millions et quelques selon les statistiques officielles, ce qui fait quand même dans les 12 à 15 millions de pauvres, en ajoutant les conjoints et les familles ; les jeunes se font mitrailler pendant des concerts, Cyril Hanouna triomphe à la télé (si Jacques Martin voyait ça), Benzema se retourne pendant la Marseillaise pour cracher sur le gazon, on n’est plus du tout dans la rigolade, là.
La gauche est devenue la droite, la droite est devenue la gauche, ça dégénère de tous côtés. Le soir, sur les places des grandes villes, un mélange d’étudiants en socio, de zonards cradingues et de racailles en panne de shit tente de refaire le monde avec 150 mots de vocabulaire et trois concepts chimériques, on n’est pas sortis du merdier. Les flics (manipulés par l’Intérieur) ont ordre de ne pas trop taper sur ces oiseaux de nuit, les télés nous abreuvent de documentaires sur Hitler (le rapport avec la situation présente ?), tandis que le cinéma part à la pêche avec des sujets consanguins. La Grande Famille commence à avoir une sale gueule.
Café Society, le dernier bijou du vieux Woody Allen (qui ressemble de plus en plus à Sam Bot, héros d’une BD de cul populaire des années 70), roi des dialogues interminables et des maximes absurdes, nous tartine de névroses hommes/femmes dans le Hollywood des années 30. Ça va bien nous aider à retrouver un boulot, tiens. On préférerait un biopic sur sa vie de famille, entre pédophilie et inceste, ça nous changerait de la psychanalyse branlante de stars oisives.
Heureusement, pour équilibrer, dans le genre social, il y a la 153e participation de Ken Loach, avec l’histoire de ce « menuisier souffrant de problèmes cardiaques à qui son médecin interdit de travailler mais qui se voit signifier l’obligation d’une recherche d’emploi sous peine de sanction », c’est dans la brochure. On sent qu’on va bien s’amuser. Les frères Dardenne, fondateurs du misérabilisme sociétal, ont fait beaucoup de mal au cinéma. Sinon Pedro Almodovar filme toujours ses Espagnoles bourrées de problèmes, et dans la même veine de l’« homo qui admire les femmes », le pénible Xavier Dolan, en plus jeune et moins gras, nous sert une chronique sexuelle familiale indigeste :
En gros, Cannes, c’est des histoires d’amour contrariantes entre personnes qui ne souffrent pas – à part de peines de cœur, ce qui est un luxe. Boring, chiant quoi, mais l’action est dans la rue, désormais. Et le spectacle, gratuit : tout le monde filme tout le monde avec son mobile, sa tablette, les veilleurs anti-mariage gay et anti-GPA rappellent chaque jour l’abomination que l’esclave Taubira a fait voter pour son maître Bergé (dont la société Yves Saint Laurent avait son compte à Panama, dixit Le Monde dans un effort inouï de transparence, ou alors pour se débarrasser de l’octogénaire encombrant), les branleurs qui n’ont rien à perdre provoquent les CRS (qui se font au moins de bonnes primes de risque, de déplacement, et 950€ pour Vigipirate), avant de chouiner au premier bobo. Cette situation bordélique ne peut pas être le fait du hasard, tout ne peut pas aller aussi mal en même temps. Il y a de l’inévitable, d’accord, mais pas mal de déstabilisation venue d’ailleurs. Disons, de la planète Mars.
Regardez, la construction navale française renaît, les carnets de commandes sont pleins, nos sous-marins se vendent jusqu’en Australie, « nos » Airbus et « nos » Rafale aussi, sauf qu’on ne voit pas la couleur de l’argent. C’est ça, la grande différence avec les 30 Glorieuses : la redistribution.
On a plus de grandes entreprises plus riches, et plus de Français plus pauvres. Schéma pas du tout contradictoire : les bouches « inutiles » sont éjectées du système économique, pour atterrir dans le système social, où elles sont prises en charge par l’État, c’est-à-dire la solidarité nationale. Les survivants enrichissent les actionnaires, mais une partie de l’argent sort du circuit « social », ou n’y retourne pas. On simplifie, bien sûr, mais la finance aspire la richesse, pour s’en abreuver. Et qu’est-ce qu’elle en fait, de tout ce fric ? Eh bien elle thésaurise, elle accumule, elle place, mais pas forcément dans les forces productives et l’emploi. Plutôt la pierre, l’actionnariat, l’improductif. Pour compenser cette perte, les banques dites centrales font tourner la machine à crédit, creusent la dette. Au final, du fric factice, qui perd de sa valeur, mais on peut encore s’acheter une baguette avec un euro. Pourvu que ça dure.