Discrètement mais sûrement, le gouvernement régularise des sans-papiers. Alors qu’il multiplie les signes de "fermeté" comme ce nouveau renvoi d’Afghans le 15 décembre, les chiffres recueillis par Le Monde auprès du ministère de l’immigration révèlent que plus de 20 000 étrangers en situation irrégulière auront été régularisés en 2009. Ce chiffre est équivalent, si ce n’est supérieur, à celui des expulsions. Le ministre de l’immigration, Eric Besson, se refuse pourtant à communiquer une donnée précise et globale sur cette question.
"La France est généreuse, mais ne le revendique pas", déclarait dans Libération le 20 octobre M. Besson. "Si vous affichez le fait que certains étrangers en situation irrégulière se voient offrir une sorte de droit à la régularisation, vous créez un appel d’air", justifiait-il. Communiquant volontiers sur les interpellations et reconduites à la frontière de sans-papiers - en 2008, sur un total d’éloignements volontaires et contraints de 29 796, le nombre des seuls renvois forcés s’est élevé à 19 724, et il devrait plafonner à ce niveau en 2009 -, le ministre est toujours resté muet sur la question des régularisations, hormis celles accordées au titre du travail.
En 2008, 2 800 travailleurs sans papiers se sont vus accorder une carte de séjour par les préfectures au titre de l’article 40 de la loi Hortefeux de novembre 2007. En 2009, leur nombre devrait être équivalent. Mais ces régularisations par le travail ne représentent qu’une petite partie des titres de séjour délivrés aux sans-papiers : s’y ajoutent ce que l’administration appelle pudiquement les "admissions exceptionnelles au séjour" accordées à titre humanitaire, et surtout les cartes de séjour délivrées pour "liens personnels et familiaux".
Instituée par la loi Sarkozy de juillet 2006, qui avait abrogé la régularisation de plein droit après dix années de résidence en France, la régularisation à titre humanitaire, laissée à la discrétion des préfets, n’est pas officiellement comptabilisée. Quelque 3 000 personnes seraient cependant concernées chaque année selon le ministère.
L’admission au séjour pour raisons familiales est, de loin, la voie la plus fréquente de régularisation. Instaurée par la loi Chevènement de 1998 et maintenue jusqu’ici, cette possibilité d’attribuer une carte "vie privée, vie familiale" à un étranger "dont les liens personnels et familiaux en France sont tels que le refus d’autoriser son séjour porterait une atteinte disproportionnée, à son droit au respect de sa vie privée et familiale", reste très utilisée par les préfets.
"Cas par cas"
Depuis dix ans, le nombre de titres de séjours accordés pour raisons familiales n’a cessé d’augmenter, de 3 314 en 1999 jusqu’à 22 195 en 2006 (année de la régularisation "exceptionnelle" engagée par M. Sarkozy), avant de se tasser un peu. En 2008, il s’établissait encore à 15 858. Et 2009 s’annonçait, fin septembre, du même cru, 10 917 étrangers ayant déjà été régularisés à ce titre.
Les préfets insistent tous sur le fait qu’ils agissent en la matière "au cas par cas". Régulariser n’en reste pas moins pour eux un moyen d’éviter les tensions trop fortes que suscitent les objectifs chiffrés d’éloignements fixés le gouvernement - 27 000 en 2009. "Dès qu’il y a une famille, des enfants, je fais très attention", raconte un préfet, en poste dans un département de l’est. Ce représentant de l’Etat surveille de très près la question, faisant remonter à lui toute procédure de régularisation comme d’éloignement.
Le nombre de personnes en situation irrégulière est estimé entre 200 000 et 400 000 étrangers. Le 22 novembre, alors que le mouvement des travailleurs sans papiers s’amplifiait, la première secrétaire du PS, Martine Aubry, relançait le débat, en appelant à "une régularisation large" sur critères. Depuis, la majorité ne cesse de pointer le "combat passéiste" des socialistes, pour reprendre les termes du porte-parole de l’UMP, Frédéric Lefebvre. "En faisant ça, on fait quoi ? On favorise qui ? Les trafiquants, ceux qui amènent des malheureux en France en leur faisant croire qu’un jour on les légalisera ou qu’ils auront des papiers. Cette politique a toujours échoué", a encore réagi M. Sarkozy, le 16 décembre.
Même s’il s’en défend, le gouvernement s’inscrit pourtant dans une politique de régularisation au fil de l’eau, comme l’ont fait tous les gouvernements depuis l’arrêt, en 1972, des régularisations automatiques des travailleurs étrangers et l’instauration d’une politique de "maîtrise des flux migratoires".