Suite au décès de certains de ses patients, victimes d’hypertensions artérielles, Irène Frachon, pneumologue au CHU de Brest, commence à mener une enquête médico-policière sur le Mediator dès 2007. Avec l’aide de collègues, elle parvient à prouver les effets toxiques de ce médicament et contraint le laboratoire Servier à le retirer de la vente en 2009. Sept ans plus tard, la bataille est loin d’être terminée : le procès pénal se fait toujours attendre, et les victimes peinent à se faire indemniser. À l’occasion de la sortie du film La fille de Brest (170 000 entrées en une semaine), qui raconte cette affaire, nous nous sommes entretenu avec une lanceuse d’alerte déterminée, pour ses patients, à mener la bataille jusqu’au bout.
« Après la révélation du scandale, c’était bien pire que ce que j’avais imaginé », dites-vous. Jusqu’à aujourd’hui, combien de malades ont-ils été touchés par le Mediator ? Combien ont été indemnisés ?
Irène Frachon : Le Mediator était commercialisé depuis 1976, une grande partie des victimes sont donc disparues aujourd’hui. L’alerte a été donnée en 2009-2010 et les gens qui se manifestent aujourd’hui forment la pointe émergée de l’iceberg. Environ 2 800 patients ont à ce jour été reconnus officiellement comme victimes du Mediator, quelques centaines ont eu de lourdes opérations cardiaques à cœur ouvert et quelques dizaines en sont morts. Sachant que les morts qui sont reconnus aujourd’hui individuellement sont souvent décédés après 2009... Mais on estime que le Mediator a provoqué la mort de 2 000 patients. Ainsi que des dizaines de milliers de victimes de maladies cardiaques. C’est monstrueux.
Comment se fait-il qu’il n’y ait toujours pas eu de procès pénal contre le laboratoire Servier, qui produisait ce médicament ?
Parce que les mécanismes de défense des criminels en col blanc sont à l’œuvre. Ces derniers, quand ils sont incriminés ou mis en examen, paient des cabinets d’avocats très prestigieux, des pénalistes-virtuoses. Ils dépensent sans compter pour que ces cabinets d’avocats fassent jouer de manière dévoyée tous les droits de la défense. Sur les aspects procéduraux, ce sont des contestations multiples, des demandes d’annulation et de contre-expertise, des contestations devant la chambre de l’instruction, puis devant la cour de cassation, et ainsi de suite. Ils essaient de mettre en route un cercle infernal de contestation qui empêche la justice d’avancer. Ils font feu de tout bois sur le plan procédural puisque sur le fond, ils sont à poil, et ils le savent.