Qui a dit que la France était un village gaulois où tout le monde s’engueulait avec tout le monde ? Cette campagne présidentielle 2017 a quelque chose d’original : les Français ne se foutent pas sur la gueule les uns sur les autres d’un parti à l’autre, mais à l’intérieur des partis. On n’a pas le combat classique gauche/droite mais gauche/gauche et droite/droite, avec Macron au milieu. Mais lui c’est le candidat d’en haut, qui n’es pas passé par les primaires. Trop primaire pour lui.
Après une année éprouvante marquée par les attentats et un quinquennat misérable, les Français ont envie de respirer, et de rire. Pendant que la presse s’acharne sur Fillon, il y en a qui dédramatisent le débat... tout en s’acharnant sur Fillon.
Nicolas Canteloup a remplacé les Guignols dans le coeur des Français qui ont envie de se détendre après le JT. D’ailleurs, Canteloup était l’une des voix des Guignols, et il n’a pas laissé de très bons souvenirs aux autres imitateurs... mais ça, c’est partout pareil. Les corporations, c’est jalousie et compagnie. Aujourd’hui, sur TF1, Canteloup gagne un max de fric, mais il en redistribue pas mal à ses auteurs, ce qui n’est pas le cas de tous les humoristes.
Ah, oui, l’angle politique : TF1, c’est Martin Bouygues, le grand pote de Sarkozy, qui est à la manœuvre pour dézinguer la candidature Fillon. C’est pourquoi Canteloup peut se lâcher ainsi. Gaccio faisait la même chose sur Canal+ : démolir la concurrence de la chaîne, la concurrence politique (le FN principalement) et les concurrents humoristes (Patrick Sébastien, Jean-Marie Bigard). À un poste aussi exposé, avec des records d’audience (Canteloup est monté à 10 millions de téléspectateurs en 2014 !), les vannes ne peuvent pas être que des vannes. Il y a une intention politique.
Ceci étant dit, les humoristes et leurs spectateurs ne sont pas les seuls à rire. Gérard Larcher s’y met aussi, même si ça fait partie d’une campagne de revalorisation de l’image de son pote.
"Les amis c'est comme les étoiles : c'est pdt la nuit qu'on peut les compter" @gerard_larcher sur @FrancoisFillon vous maintenez ? #Politique pic.twitter.com/UfHP8yRKxm
— Indécis (@IndecisOfficiel) 3 février 2017
L’art de la pique
Transformer Fillon en joyeux loustic, un tour de force. Mais un président rigide c’est peut-être mieux qu’un Monsieur Petites Blagues... Il n’y a pas que les mecs qui se moquent des politiques, il y a aussi les femmes, et avec talent. Exemple, La Bajon, qui joue l’avocate de Penelope :
On retrouve là l’esprit français, fait de gauloiserie, d’ironie mordante, de talentueux irrespect, et ça fait du bien. En parlant d’humour, Christian Clavier, la star du cinéma populaire des années 80, revient dans le jeu avec une espèce de suite de Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ?, une énorme bouse antiraciste qui a ravi la critique et le grand public. Ce coup-ci, il incarne un intello qui accueille chez lui une famille de Roms...
Les films comiques français, en général, partent sur une idée de décalage, et ensuite, on déroule le tapis. Les scénaristes se font pas chier. Ça donne quelque chose de prévisible, et y a rien de pire au cinéma. Clavier évoluera au milieu d’Elsa Zylberstein – l’ex récurrente – et Ary Abittan, le « comique » imitateur d’Arabes (personnage pompé sur le très communautaire Sacha Baron Cohen) promu par le « comique » Arthur...
Plutôt que de voir ce drame qui finit bien (en leçon d’antiracisme), partons faire un tour dans la réalité. Là, point de Clavier : les bobos ont fui le secteur depuis longtemps. Trop de deal, de violence, de SDF, de zonards, de migrants. Nous sommes entre la porte de la Chapelle et la porte des Poissonniers, près du Marché aux Puces de Clignancourt, à Paris (LGBT-City ou Tel-Aviv sur Seine). Les Roms avaient été chassés il y a très exactement un an, le 3 février 2016, par la police de Cazeneuve, et voilà qu’ils reviennent. La France est une baignoire à migrants : tu la vides, elle se re-remplit au-to-ma-ti-que-ment. Dans la cuvette de la petite ceinture, les habitations de bric et de broc s’entassent...
La station RFI a fait un reportage sur le camp. Une femme cherche du bois pour faire du feu... À Paris, en 2017...
Et pour les toilettes, « il n’y a rien non plus, il faut aller au fond et faire ses besoins les fesses à l’air, parfois sous les yeux des passants, alors mon mari est jaloux », rigole India.
À part ça, il y a du boulot, souvent au black, mais aussi du travail honnête et utile de « récupération » (hum, kof kof) :
À l’entrée du bidonville, Alin, un garçon tout frêle de 18 ans à peine, charge des kilos de ferraille à l’arrière d’un camion blanc. « C’est ce qu’on a ramassé dans les poubelles », déclare-t-il. Des hommes montent sur l’escalier brinquebalant de palettes, les bras chargés de métaux destinés à la vente.
L’auteur du reportage a-t-il inspiré les scénaristes du personnage de Christian Clavier ?
Après cette pointe facile, nous terminerons cette chronique sur le dernier sondage, où Macron dépasse – enfin ! après tous les efforts du Média Unique – Fillon. On vous refile le tiercé du jour : Marine à 25%, Macron à 22 et Fillon à 20. On vous rappelle qu’aucun Français n’a encore voté, et déjà, on connaît le second tour. C’est-y pas génial ?
En parlant de Fillon, on revient au début de notre chronique, le village gaulois, la baston, tout ça : la chaîne Public Sénat, dans un élan de transparence informationnelle qui l’honore, a balancé un peu sur les collègues de l’Assemblée, sous le titre Quand les députés se reversaient une part des crédits collaborateurs... On y apprend qu’un député pouvait tout empocher, mais n’embaucher personne. Ou alors des stagiaires.
Bon, et alors ? On comprend que les petites sommes officielles allouées aux députés, pour ne prendre qu’eux (on ne parle même pas des ministres), ne suffisent pas à faire face aux dépenses démocratiques, c’est-à-dire train de vie, campagne, collaborateurs, maîtresses (amants). Du coup, il faut trouver des sources parallèles. Quand on est député, on n’a pas accès aux énormes commissions sur les ventes d’armes ou sur les valises des chefs d’État africains. Alors, faut-il les augmenter pour qu’ils ne soient pas corruptibles ?
Il y a un pays qui a trouvé la parade : c’est celui de Trump. Un milliardaire n’a pas besoin de 900 pauvres milliers d’euros. Élisons un milliardaire !