Pendant que les derniers pauvres quittent Paris, que les hiérarques locaux refilent les bons plans apparts à leurs amis, que le tourisme s’effondre – et c’est pas juste un effet des attentats, il y a aussi les antifas, la saleté, les migrants, les SDF – la mairie communique sur Paris Plages à bord d’une péniche. Plus hors sol tu meurs dans un module débranché de sa station orbitale comme dans Gravity. Hors sol, orbite, c’est l’occasion de parler de la grande Famille du Cinéma, qui embauche ses enfants pour leur éviter le chômage. Touchante attention.
Les cinéastes français officiels n’ont plus d’idées, ils font des films sur le cinéma (The Artist), sur les acteurs (Actrices), sur les réalisateurs (Le Redoutable). Ce dernier ressemble à un biopic de Jean-Luc Godard, période chinoise, c’est-à-dire « mao », quand lui et ses potes voulaient buter tous les bourgeois.
Godard, que dire. Il y a sur terre deux races humaines, ceux qui aiment Godard et ceux qui n’aiment pas, ou qui s’en foutent, ou qui n’y comprennent rien, ou alors qui disent qu’il n’y a rien à comprendre. Godard a été neuf, branché, adulé au début des années 60 avec trois films : À Bout de souffle (1960), Le Mépris (1963), et Pierrot le ouf (1965). Bon, après, ça part un peu en cacahuète, pour paraphraser Cyril Hanouna, l’homme qui remplit Le Refuge, cette assoce qui accueille avec gourmandise les jeunes homosexuels qui sont chassés par leurs familles homophobes.
Après ce tir groupé qui a stupéfait l’Amérique, qui l’invitera mais qui le dégagera aussi sec (trop phraseux, trop Cahiers du cinéma), tout bascule. Avec La Chinoise, d’abord, docu-drama sur les premiers « maos » français, qui se ridiculiseront pendant que les Chinois s’entretuaient avec leur Révolution culturelle, puis une série de non-films qui videront les salles aussi sûrement qu’une grenade oubliée sur un strapontin. Il faut se faire une évidence : la créativité a été là un temps, rencontrant son public et un désir de changement, et ensuite, pfuit, disparition de la magie. Ne restait plus que des images plates sur des textes pontifiants. Les Cahiers reprenaient leurs droits. Illustration avec Film Socialisme, par exemple :
Comme dirait Henri Verneuil, qui a toujours voulu faire des films populaires, il y en a qui devraient écrire un livre ou faire une analyse au lieu de réaliser un film... Dans le genre sauvetage in extremis, il y en a un qui était mal parti dans la godardisation, et qui a réussi à s’en sortir, c’est Carax, avec Holy Motors. Des éléments godardiens mais avec une vraie trame, de la vraie création. Ne jamais oublier que le cinéma est un art populaire, qu’il faut rendre intelligible l’œuvre pour le grand public, sinon c’est de l’art contemporain, et ça finit en « film pour soi » ou pour sa tribu (le 5e arrondissement). Avec l’argent public, souvent. Les Français sont contents de financer la création pure, mais c’est bien aussi d’avoir une petite récompense visuelle à l’arrivée, hein.
Justement, ce mercredi 24 mai sort le Rodin de Doillon. Qui est Rodin ? Un sculpteur. Qui est Doillon ? L’ex de Jane Birkin. Plus sérieusement, un réal français dans la lignée des « nouvelle vague » qui avait un peu disparu des radars. Doillon, un peu à la Godard, c’est un démarrage foudroyant suivi par une petite vitesse de croisière. Oh, il ne fera jamais les 20 millions d’entrées de Dany Boon, mais il fera son petit « long » bon an mal an. En 1996, il réalise Ponette, l’histoire d’une fille de 4 ans confrontée à la mort de sa mère. Ce sera son chant du cygne. La critique le massacrera pour la « performance » de la petite « actrice » de 5 ans.
« Au départ, je voulais filmer un documentaire sur la représentation de la mort chez les petits. Je me suis aperçu, en visionnant les cassettes enregistrées, qu’ils baptisaient le cercueil « la boîte ». Et que, pour eux, lorsque quelqu’un mourait, il allait à l’hôpital, où on lui faisait des piqûres. Les parents ont les jetons d’aborder le sujet et les gosses finissent par se débrouiller seuls. Pourquoi les poser sous des cloches à fromage et attendre ? Et puis, attendre quoi ? L’âge de raison ? »
Avant cela, Doillon avait plutôt l’habitude de focaliser sur les ados et leurs histoires d’amour. Un de plus : on pense à Rohmer et à Miller, qui fera « tourner » Charlotte Gainsbourg à 13 ans… Justement, Lou Doillon est la demi-sœur de Charlotte. Nous voilà en plein « grande famille du cinéma », avec ses relations assez étranges et inextricables. Ah oui, le film : Doillon filme Rodin, ou plutôt Vincent Lindon, qui incarne l’homme fragile et féministe dans le cinéma français. Le Alain Souchon du 7e Art…
Vincent Lindon, arrière-petit-fils d’Alfred Lindon, né Abner Lindenbaum, qui épousera la sœur d’André Citroën. Pépé lui a participé à la création de l’État d’israël, nous dit Wikipédia. Pourquoi cette généalogie soudaine ? Que Frédéric Haziza se rassure, c’était juste pour planter la banderille finale : le rôle de Camille Claudel (que les féministes ont transformée à la longue en génie immense détruit par ce salaud de Rodin) échoit à Izia, la fille Higelin. Et dans le Hazanavicius – on passe de Hazan à Doillon sans transition car tout ça reste en famille – c’est le petit-fils Garrel qui joue Godard. Louis, de son prénom. Son papa à Louis est cinéaste, et son papi acteur, qui a joué pour les réals de la Nouvelle vague. Tout se tient, non ? Par la tête et aussi le reste. Une dernière, pour la route : Louis croule sous les récompenses. Quand la famille honore la famille…
Voici ce qu’Izia déclare sur Camille Claudel dans L’Express :
« Elle a souffert de la non-reconnaissance de son statut de femme, alors qu’elle était aussi douée que Rodin, voire davantage à certains moments. »
Comme si les créateurs « hommes » n’en avaient jamais chié, eux aussi !
Izia a déjà reçu un César pour son rôle dans La Belle saison, dans lequel elle joue une jeune lesbienne qui découvre la lutte pour les droits des femmes dans les années 70 :
La boucle est bouclée, non ?