Ce mardi 5 avril de l’an de grâce 2016, rien à signaler sur le front français, tout est normal : les taxis bloquent Toulouse pour manifester contre l’uberisation de leur secteur, les agriculteurs bloquent les routes dans le Nord, les lycéens refusent d’aller en cours et occupent la place de la République à Paris, tandis qu’à Lyon ils essayent de prendre d’assaut le Printemps des entrepreneurs de Gattaz (à Villeurbanne en fait), Bordeaux et Saint-Étienne se préparent aux attentats suivants avec une grosse simulation rassemblant tous les services de secours possibles (600 personnes mobilisées à Bordeaux), bref, c’est la routine bordélique française. On s’ennuierait presque.
Bordel de France
Malgré les appels de l’extrême gauche et les sempiternels « ça va péter », il n’y a pas de grosse déflagration sociale car on vit en conflit social de basse intensité permanent. Par exemple, il ne viendra à personne l’idée de « prendre » l’Élysée, car ça pourrait mal finir, des deux côtés. Imaginons 50 000 (la contenance du Parc des Princes) manifestants vigoureux, décidés, pas comme ces gentils pipounets bien coiffés :
50 000 manifestants organisés, disciplinés, qui montent sur l’Élysée. Merde, que fait le président ? Tout le monde lui crache à la gueule depuis le début de son quinquennat (le Hollande bashing), mais tout le monde semble s’en contenter, car ça soulage de pouvoir insulter le président, qui ne sert quasiment plus qu’à ça. Il prend pour ses employeurs… Les lycéens de 15-16 ans ont beau hurler des « Hollande t’es foutu, la jeunesse est dans la rue », on n’a pas l’impression que ça marche trop, les incantations. Même à 50 000, ça ne change rien au pâté.
En 1917, les bolcheviques étaient autrement motivés. C’est vrai que derrière, y avait la guerre (contre les Boches), la misère (dans les campagnes), et l’oligarchie mondiale anti-tsariste qui allumait ses feux dans les grandes villes, en arrosant de dollars et de Reichsmark les « révolutionnaires ». Sauf qu’en bas, ça a pété, et qu’ensuite, la révolution, il a fallu la sauvegarder, pendant près de quatre ans (la guerre des Rouges contre les Blancs). Les mots se sont donc vidés de leur sens, il ne reste que des peaux mortes qui flottent dans l’air et retombent, qui seront ramassées la nuit par les Africains employés de la ville. Quoi ? C’est la vérité.
On n’est plus ni en 1917, ni en 1944.
Quoi que… la libération par les Russes, c’est peut-être plus actuel qu’on ne le croit.
Poutine, nouvelle ligne de démarcation française
Il y a désormais deux France, comme en 1940-44 : la zone libre, et la zone occupée. Mais pas la zone nord et la zone sud, plutôt la France Poutine et la France anti-Poutine. Le scandale cousu de fil blanc sorossien des Panama papers indique une chose : que le clivage politique droite/gauche est mort, au profit du clivage Poutine/Empire. On le voit en Syrie, on le voit en politique intérieure, avec Fillon qui dévoile son respect au maître du Kremlin, sous-entendu, la paire Obama/Netanyahou, elle peut aller se faire voir. Certes, ce sont peut-être propos de campagne, la realpolitik de soumission à l’Empire s’imposant en général une fois au pouvoir, mais ça évoque la possibilité d’un changement de paradigme.
Du côté Le Pen, on pencherait plutôt du côté d’un axe Paris-Berlin-Moscou, avec les réticences des « israéliens » du bureau exécutif. C’est à cause de cette préférence affichée que les journalistes de Canal+ ont été fouiner à Moscou, sur les traces des liaisons plus ou moins secrètes entre les Le Pen et le duo Douguine-Malofeev.
Pour les journalistes de la chaîne cryptée, le rapprochement Marine Le Pen/Russie valait une enquête, c’est-à-dire une dénonciation, pour parler clairement. Car pour eux, ne pas être aligné sur l’axe américano-israélien est tout simplement incompréhensible. La preuve, il ne leur viendrait jamais à l’idée d’enquêter sur la sionisation accélérée du duo Valls/Hollande. Parce que là, c’est du lourd : en termes d’implication dans une politique honnie par la plupart des pays du monde, et de conséquences néfastes pour notre pays.
Glucksmann, ben et fils
La question : est-il possible d’échapper à l’étreinte américano-sioniste, quand tant de gouvernements successifs en ont resserré le lien ? Jusqu’à nous associer à leurs politiques destructrices et liberticides, leurs crimes ? C’est la seule question qui vaille, et qui détermine toutes les autres. Sinon, la France est foutue. Larbins de l’Empire, c’est pas terrible, sur un CV.
Les anti-Poutine argueront que les Russes font aussi dans l’impérialisme, avec l’Ukraine, les pays de l’Est (ou ce qu’il en reste), la Syrie, et la remise au pas sanglante de la Tchétchénie… C’était le cheval de bataille de Glucksmann père, qui donnait l’impression de ne travailler pour l’Empire que sur ce sujet, précisément. L’impérialisme russe, ou le néo-panslavisme. Le fils, délesté des lourdeurs conceptuelles foireuses de Mai 68, a repris le flambeau familial, oscillant entre Twitter et l’Ukraine, où il a visiblement des intérêts. Pas une journée sans que son compte Twitter ne vibre d’une dénonciation des ennemis de l’Amérique et d’Israël. Mais il n’est pas tout seul : il peut compter sur une petite escouade de sous-employés du Système, qui savent exactement d’où souffle le vent, et qui ne le contrarient jamais. Par exemple, l’éditorialiste Thomas Legrand, de France Inter, qui accourt pour boucher les fuites dans la propagande officielle mal foutue :
Il faut colmater les brèches, et les volontaires se bousculent de moins en moins pour faire le sale boulot, qui consiste à sortir des rangs, à se faire bien repérer par les résistants ou les dissidents, à plâtrer l’explication officielle et à se faire huer sur le Net. Tout ça pour un salaire. Même grassouillet, c’est dérangeant. Moralement, on se demande jusqu’où ces zozos sont capables de descendre. Comme quoi le salariat, ça a du bon… pour les employeurs. Ça permet de tenir les gens. Le sacro-saint CDI, on est d’accord que ça sécurise les employés, pas mal de gens en ont besoin, mais il y a des conséquences, une perversion. Quand on voit les jeunes qui défilent dans les rues pour défendre le CDI, les avantages sociaux, on se dit c’est très bien, mais ils n’ont pas la vision d’ensemble.
The big picture
D’accord avec Filoche pour dire qu’on ne peut pas jeter les gens d’une entreprise comme ça, mais pas d’accord avec lui sur la vision antipatronale primaire. Et sur la philosophie d’une vie scotchée à un job, un bureau, une sécurité. En ce sens, il n’y a rien de plus patronal que le CDI ! C’est pas de l’ultralibéralisme de dire ça, c’est du bon sens. Le salariat, on en a vu les avantages, mais aussi les dangers : il soumet les hommes. Et ça n’empêche pas de les jeter, voir la désindustrialisation nationale (si l’on peut dire) depuis 40 ans... Une nouvelle forme de relation au travail, à l’employeur, reste à inventer. Chez nous, lentement, l’idée d’une entreprise non pas plus cool (à l’américaine) mais plus adaptée à des relations horizontales, par opposition aux relations verticales, fait son chemin.
On voit arriver chaque année le classement des « entreprises où il fait bon travailler ». Google a donné l’exemple, avec ses salaires élevés, et son cadre de vie inenvisageable en France (ils en ont même fait un film très drôle) : boulotter des sushis à toute heure, se reposer dans les fauteuils musicaux, se faire masser (mais pas plus), laisser ses gosses à la crèche d’entreprise, évoluer à vélo sur le campus, descendre les étages en toboggan, jouer au baby-foot (sauf si une caméra filme et décompte sur le temps de travail)… Tout pour la créativité. Les Américains ne sont pas que des impérialistes cyniques. Il y a de bonnes idées à prendre. Mais les employés français sont-ils prêts ? Non pas à redevenir des gosses obsédés par la consommation et la coolitude, mais à désacraliser les hiérarchies ?