Pas facile d’être politiquement lucides dans la France de ce mois de juin 2017 ! Car tout va très vite, et tout est à décrypter en temps réel. Les euphémismes verrouillent les discours, les masques sont nombreux et quand il y en a un qui tombe, un autre prend automatiquement sa place. Le Système ne nous laisse pas respirer. Ça rappelle la course-poursuite entre les pirates et la police du Net : elle augmente en vitesse et en complexité, et tout le monde n’a pas le loisir de suivre. Et parfois, las de tout ce bruit et de toute cette fumée, le peuple de France baisse les bras, et fait ce qu’on lui dit. C’est ce qui s’est globalement passé ce 11 juin 2017, lors du 1er tour des législatives.
La victoire de l’a-politique
Toute la twittosphère s’est réjouie de la mort de Cambadélis et ses potes : à chaque fois qu’un cacique socialiste mordait la poussière, des hourras de victoire retentissaient sur les réseaux sociaux. Les faux socialistes payent des années, voire des décennies de mensonges et d’inadéquation. Inadéquation de leur discours, de leur fonction et de la réalité de leurs actes. Pourtant, tous les opposants du PS ne devraient pas crier victoire, car la mort de ce parti, crédité de 10% des voix au niveau national, ce qui le ramène à des scores de la SFIO (section française de l’internationale ouvrière, ce qui a du sens), est le signe d’une évolution négative.
Premier tour de la présidentielle 1965, Mitterrand surprend avec 31% des voix contre 44% à De Gaulle. En 1969, Gaston Deferre fait 5%, loin derrière Jacques Duclos et ses 21% pour le PC. En 1974, Mitterrand atteint les 43%, un chiffre stratosphérique, toujours au 1er tour. Mais c’était l’union de la gauche, PC compris, hors écologistes. Mitterrand, encore lui, fait 25% au 1er tour de 1981, puis 34% en 1988. Jospin fera 23% en 1995, et 16% en 2002. Royal fera 26% en 2007, Hollande 28% en 2012. Hamon fermera la marche avec 6% au 1er tour des présidentielles 2017. Un Hamon qui sera d’ailleurs balayé dès le 1er tour des législatives de ce dimanche 11 juin. Le dimanche noir du faux socialisme, et donc un bon dimanche pour tous les électeurs et les Français floués par ce faux-nez de l’oligarchie.
Mais nous ne sommes pas là pour enfoncer les perdants, un sport que n’importe qui peut pratiquer. C’est comme d’aller chercher sa baguette en bagnole à la boulangerie du coin. Ce qui est intéressant, c’est le renversement prévu du politique par les penseurs du Système. Une ingénierie d’une efficacité record. Jugez vous-mêmes : un parti artificiel créé de toutes pièces par le think tank de l’oligarchie (Attali et consorts), promu par le média unique (BFM TV et consœurs), gagne la présidentielle face à un faux danger fasciste (la très pacifique Marine) après la destruction du candidat républicain (le « voleur » Fillon), et rafle l’écrasante majorité des sièges à l’Assemblée. Macron a su mobiliser les électeurs apolitiques, pas vraiment au fait des ingénieries utilisées à grande échelle depuis mars 2016, date de la mise sur le marché du futur produit présidentiel.
Nos candidatures signent le retour de la société civile à la politique. Une bouffée d'air frais à l'Assemblée nationale. #LaMajoritéEnMarche
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) 28 mars 2017
Le coup génial a consisté à utiliser le levier du rejet du politique (socialiste et conservateur après deux quinquennats pitoyables) pour vendre à un peuple électoral la nouveauté de « la société civile », cette bande de 400 à 430 semi-innocents qui va siéger demain à la Chambre, destinée à valider dans la foulée les ordonnances anti-sociales d’Édouard Philippe, le nouveau représentant des Marchés. Après ce tour de passe-passe, cette chambre d’amateurs ne servira plus à rien, et on l’oubliera. Si on décrit le processus de manière un peu brutale, c’est pour que ça rentre dans la tête des apolitiques, des indécis et des ignorants qui ont fait l’élection de Macron le 7 mai 2017.
Car ce sont eux qui ont été visés en premier lieu par la machinerie d’En Marche !, qui doit sa redoutable efficacité au croisement entre la finesse du big data et la puissance des mass-médias, tous en première ligne pour le candidat du Système. Ceux qui ont perdu sont ceux qui connaissent un peu ou prou la politique, et qui ont de la mémoire. Macron et ses députés ont été élus sur un effacement de la mémoire collective politique. Les électeurs macronistes pensent avoir gagné avec ces ministres-experts économiques qui promettent de les arracher à la crise, alors qu’ils ont porté au pouvoir des carnassiers politiques déguisés en « société civile » qui vont leur déchiqueter les dernières protections sociales.
« Il y a eu une volonté de renouvellement annoncée de façon très claire et une volonté de cohérence avec l’élection présidentielle, ce sont les deux facteurs très importants »
- Cédric donne des cours de maths gratuits dans la rue aux Français qui ne savent pas compter
C’est le sens de la quasi-élection du brillant Cédric Villani dans la 5e de l’Essonne, le Nobel de mathématiques (médaille Fields, qui n’a rien à voir avec la médaille du trotskiste à la pipe Field). Et de la défaite de Gérald Dahan, l’imitateur qui se présentait pour la France insoumise dans la 10e des Hauts-de-Seine. Il avait déclaré avoir posé sa candidature suite à « la montée du Front national et de l’extrême droite au second tour ».
Avec 8,31% des voix, le chevalier blanc antifasciste est exclu du tournoi, qui sera probablement gagné par le candidat LREM. Il s’agit de Gabriel Attal, inconnu au bataillon pour l’électeur lambda qui lui a trouvé une bonne bouille, sauf que Gaby, malgré ses 28 ans, est issu du cabinet de l’ex-ministre de la Santé Marisol Touraine. Qui elle, une fois n’est pas coutume dans l’hécatombe des ministres socialistes, arrive en tête de la 3e d’Indre-et-Loire avec 28,54% des voix.
Résumé – conclusion – morale ?
La victoire promise de la « jeune société civile » symbolise l’effacement volontaire d’une mémoire historico-politique au profit d’un désir de consommation politique puéril. Ce nouveau comportement électoral basé sur le dégoût des Français lucides ou politisés – qui se sont abstenus dans ce jeu truqué – laisse le champ libre à toutes les expérimentations sociales et antisociales des rois du Marché.
Des maîtres du calcul ont fabriqué cette élection miracle/catastrophe – au choix –, pas étonnant qu’un maître des mathématiques en soit le symbole.