Voici l’analyse politique de la mobilisation contre la loi Travail de Myriam El Khomri par le journaliste Samuel Lafont sur Radio Notre Dame :
Un scénario qui ressemble étrangement à celui de la série de Canal+ sur la gauche socialiste, et très inspirée par le parcours de Julien Dray (qui s’en vante), Baron noir.
On y découvre la fabrication de A à Z d’un mouvement lycéen dirigé contre une mesure estimée nuisible pour l’avenir des jeunes. En réalité, une manip dirigée en sous-main par les trotskistes qui font pression sur la gauche de gouvernement et obtiennent des sièges et/ou du cash. Un classique de l’agit prop et de l’instrumentalisation des jeunes. Les dirigeants lycéens impliqués dans ce racket cynique grimpent dans la hiérarchie syndicale et finissent députés ou sénateurs. On pense à Bruno Julliard, devenu adjoint à la riche mairie de Paris, ou à la sénatrice (!) Laurence Rossignol, spécialisée dans les petites phrases délirantes sur la propriété des enfants ou les « nègres » pro-esclavage.
- Kad Merad et Niels Arestrup dans Baron noir
Toujours est-il que c’est la grève, comme en 36, ou presque. Les transports embrayent, c’est le moment, en année préélectorale, il s’agit de faire du chantage au combinat Élysée-Matignon pour obtenir son petit cadeau sonnant et trébuchant. Une vieille maladie française qui consiste à tirer sur les pis de l’État pour des avantages corporatistes au détriment de la communauté nationale.
Une journée de gros bordel en perspective, pour une opération de basse politique, qui débouchera sur une seule avancée : celle de quelques agitateurs dans la hiérarchie de la gauche. Un faux mouvement social, comparé à la grogne des bonnets rouges ou aux millions de Français descendus dans la rue en 2013 contre la loi sur le mariage pour tous. La preuve : il n’y a pas eu de récupération politique. Elle n’était pas à la base du mouvement, tout simplement. Et elle n’a pas été à l’arrivée. D’ailleurs, les manifestants n’ont pas bloqué les transports (ils les ont utilisés), ni les routes, et ont marché pacifiquement pendant trois dimanches, pour ne pas impacter leur temps de travail. Qui dit mieux, niveau respect de la communauté nationale ?
Bordel de France
On a tout dit sur la France in-réformable, la France insurrectionnelle, la France pré-révolutionnaire. Les mouvements sociaux authentiques existent, explosant sporadiquement, mais implosant assez rapidement, comme des bulles. Le manque d’encadrement politique – souvent en retard d’une guerre sociale – fait que ces bulles ne sont pas exploitées correctement. Les appareils que sont les partis ne sont pas calibrés pour appréhender les nouveaux comportements politiques. Les changements se font désormais hors sphère traditionnelle, dans des associations, des groupes de travail, qui n’ont pas la visibilité des mouvements sociaux autrefois structurés par des militants aguerris. Les nouvelles forces, on pense aux mouvements dissidents issus de l’Internet, ne fonctionnent plus sur le mode classique : pas de manifestation, de blocage de la société, de bras de fer avec les autorités. Plutôt un travail de fond, un rhizome actif, une interconnexion selon une analyse et des buts communs, et une visibilité qui rend les repérages difficiles pour le renseignement (la police politique).
Nous vivons donc la fin d’une ère, celle de la politique du XXe siècle, aux méthodes éventées, et aux résultats décevants. Cette faillite n’est pas celle des hommes –certains y croient toujours – mais d’appareils et de stratégies inadaptés à une société qui a muté. Il ne s’agit pas de tenir le discours du Medef en exhortant les Français en colère à rester chez eux et à se soumettre aux lois « Travail », le syndicat de grands patrons qui se frottent les mains devant l’inefficacité manifeste de ses adversaires. La lutte pour les acquis sociaux est nécessaire, mais elle est détournée par les organisateurs du chaos. Tout le monde voudrait, à l’instar de Gérard Filoche, vivre dans une France de plein emploi avec un taux de CDI de 99,99%, mais aujourd’hui, c’est difficilement possible. Le pays n’est plus maître de son destin. Les décisions, on le sait, se prennent à Bruxelles pour la partie économique, à Londres et à New York pour la partie financière, et à Tel-Aviv pour la partie étrangère. S’il faut jouer sur un curseur, c’est celui de la souveraineté, car toutes les évolutions douloureuses de ces 10 dernières années proviennent de là.
La loi Travail expliquée par Gérard Filoche :
Non pas que la fin de l’Europe serait le début de 30 nouvelles Glorieuses pour la France, mais la perte de son autonomie a eu des conséquences incalculables. Les européistes arguent que l’intégration dans le marché européen puis mondial, a créé plus d’emplois qu’il n’en a détruits par l’augmentation des échanges. De fait, il n’y a quasiment plus un produit qui ne soit pas de fabrication étrangère, ou issu d’un mélange de pays. Même la viande connaît un circuit complexe : un veau naît en France, est engraissé en Italie, vendu sur pieds en Allemagne, dealé en Hollande, puis revient sous forme de morceaux dans nos entrepôts, qui sont desservis dans nos cantines. Pour les produits industriels, le circuit est plus complexe encore. Si nous ne pouvons pas concurrencer les immenses ateliers chinois, qui grignotent notre propre tissu industriel, quels sont les emplois que nous pouvons créer ici ?
Les Américains ont résolu la question il y a 40 ans, en signant un pacte économique avec la Chine, sur le mode : tu produis pour nous, et on achète tes produits, que l’on déverse sur notre marché intérieur. Cela équivalait à tirer dans le dos des ouvriers américains, à abandonner le tissu industriel, exception faite des secteurs essentiels à l’indépendance nationale, que nos cousins défendent farouchement. D’un autre côté, les Américains ont été se servir dans les autres pays, par la force si nécessaire. Tes ressources, contre ma protection. Un racket mondialisé, et pour qui n’obéissait pas au racket americana (comme la pax du même nom), c’était la déstabilisation, le chaos, la révolution, les bombes. Un scénario immuable, qui a toujours cours aujourd’hui.
Si la France n’a pas les moyens d’appliquer le mode de prédation de l’Empire, elle doit trouver des solutions originales. Singer l’Amérique ou monter au cul de son camion ne sert à rien, à part ramasser des miettes, et des miettes parfois dangereuses. Notre ministre de l’Armement Jean-Yves Le Drian vient d’entrer dans la phase de finalisation d’un énorme contrat d’armement avec le Qatar…
- Le président François Hollande et l’Émir du Qatar, le cheikh Tamim Ben Hamad Al-Thani, le 4 mai 2015 à Doha, lors de la signature de contrats d’armement entre le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian et son homologue qatari
Le meilleur moyen pour se ficeler encore plus les mains en ce qui concerne notre politique étrangère, déjà inféodée à l’axe américano-sioniste dans ses buts, et achetée par la paire de banquiers arabo-qatari, qui financent le wahhabisme. C’est la politique étrangère du « pauvre », c’est-à-dire des petits pays riches en cash mais sans grands moyens diplomatiques dans le concert des nations.
La France a vendu son indépendance, elle en profite et en souffre. Mais ceux qui en profitent ne sont pas ceux qui en souffrent. De là la déchirure sociale en cours, qui n’a rien à voir avec les opposants factices à la loi Khomri. Que 99,99% des manifestants sont incapables de résumer en deux phrases. Un foutage de gueule dans le foutoir, alors que nous devrions nous demander si nous pouvons être à nouveau indépendants dans cet entrelacs d’intérêts. Peut-on faire entendre une voix différente, prendre par exemple la tête des non-alignés, face à l’Empire ?
Il semble que ce rôle soit désormais dévolu à la Russie de Poutine, même si les BRICS n’avancent pas en ordre très cohérent : la Chine dépend des États-Unis pour son commerce extérieur, son marché intérieur n’étant pas encore suffisant pour absorber toute sa production, et ses réserves de dollars n’ont pas rendu son peuple plus libre ou plus riche pour autant. Le Brésil, récemment cité comme exemple par tous les économistes, vit une dangereuse passe sociale et politique, le grand melting pot communautaire idéal recouvrant des réalités socio-raciales dures. Quant à la Turquie, son rêve de reconstitution d’empire ottoman piloté par Israël est en train de tourner au fiasco. La situation internationale est chaotique, notre situation intérieure aussi, de là il peut sortir le pire comme le meilleur.
Comme dit l’adage du renseignement extérieur : agissons pour le meilleur, et préparons-nous au pire !