Il semble de plus en plus évident que l’organisation par le pouvoir – par des chemins détournés mais aisément reconnaissables – des événements « spontanés » appelés « Nuit Debout », constitue un contre-feu à la montée inexorable et jugée dangereuse du vote FN chez les jeunes. La gauche socialiste mobilise, sous couvert d’extrême gauche anticapitaliste et même antisocialiste (on n’en est plus à une contradiction idéologique près), la jeunesse qui « doit » faire gagner la gauche en 2017.
Ici, de jeunes activistes de gauche énervés mettent à sac un local du Parti socialiste, qui est pourtant à l’origine de leur mouvement, idéologiquement et financièrement :
Traditionnellement, la « jeunesse », cette catégorie socio-non-professionnelle vague, fait partie des groupes sociologiques qui votent à gauche. Il est vrai que la raison vient en général avec l’expérience. On dit souvent, en substance, que si on ne vote pas à gauche quand on est jeune c’est qu’on est un « salaud », mais que si on vote encore à gauche à 40 ans, eh bien on est un « con ». Vérité un peu brutale, mais pas entièrement farfelue. Certes, la catégorie « bobo » change la donne, puisque le bobo est un bourgeois de gauche. Un oxymore qui n’est pas interdit par la loi. Le bobo, qui pourtant possède son appartement ou sa maison, vote un peu à gauche par nostalgie, et par culpabilité, par rapport aux pauvres ou aux vieux potes qui sont restés dans la mouise, et qui passent parfois à la maison. Ce vote peut être considéré comme un don à une œuvre de charité, qui s’appellerait « La Gauche », une version politique de l’Armée du Salut. On vit à droite, mais on vote à gauche. Pourquoi pas. Les raisons profondes d’un vote sont impénétrables. Il y a même des ouvriers qui votent à droite, disait Reiser. Toutes les contradictions sont dans la nature, et en font souvent le sel.
Les jeunes et les bobos – ces ex-jeunes de gauche qui ont réussi – ne suffisent pas à faire un électorat gagnant, pour le socialisme, ou le centre-gauche. À cela il faut adjoindre une majorité des fonctionnaires, qui sont traditionalistes dans l’âme, mais qui votent globalement à gauche. Ils n’appartiennent pas à la caste des dominants, même s’il y a de hauts fonctionnaires, catégorie négligeable en termes d’effectifs, qui détient un pouvoir politique, mais pas électoral. Il est des catégories qui ont un pouvoir électoral, mais pas politique... À savoir les immigrés, ou les Français d’origine étrangère (FOE), sur une ou plusieurs générations. On les reconnaît à ce qu’ils ne sont pas blanc-blancs. C’est la seule différence avec les Français de couleur blanche (FCB).
Ces Français récents, dirons-nous, ou de souche récente, aux racines pas trop profondes – mais n’en tirons pas de conclusion hâtive sur leur patriotisme, récemment un des trois Français tombés au Mali était d’origine asiatique, et la Légion étrangère comme son nom l’indique fédère une espèce d’internationale francophile de la bagarre – ces Français récents, donc, votent massivement à gauche. Pourquoi ? Normalement, ils devraient voter pour une droite nationale, patriote, conservatrice, vieille France, quoi. Eh bien non : en fait, ils récompensent ceux qui les ont bien accueillis. Certes, Giscard et la droite des années 60-70 ont fait entrer pour le patronat un à deux millions de travailleurs étrangers, bientôt suivis du reste de leurs familles. Ce qui donne aujourd’hui la dizaine de millions de Français de souche récente (FSR). Mais la gauche a longtemps été la protectrice des « immigrés », jusqu’à un revirement très récent (Val, Valls, Finkielkraut). D’orientation ouvriériste, internationaliste, elle a choyé ses travailleurs étrangers généralement issus des anciennes colonies. Ce qui leur a conféré une aura pas possible.
Résumons : les catégories qui votent à gauche les yeux fermés sont donc les jeunes, les fonctionnaires (beaucoup de profs), les ouvriers (naturellement), les petits employés, les chômeurs (4 à 6 millions, qui recouvrent en partie les autres catégories), les intermittents (250 000) et les Français de souche récente (2 à 3 millions d’inscrits, mais les statistiques fiables, taxées de « racistes » ou « discriminatoires », manquent). Sachant qu’en France on dispose d’environ six millions de 18-25 ans, en âge de voter donc, plus six millions d’ouvriers (en baisse), plus 5,6 millions de fonctionnaires (en hausse), plus… Oui mais attention : toutes ces catégories ne sont pas inscrites à 100% sur les listes électorales. Par exemple, chez les jeunes Français d’origine immigrée, seul un sur deux est inscrit, et vote… à 90% à gauche, tout de même.
Aux dernières présidentielles, 46 millions de Français étaient inscrits sur les listes électorales, 80% d’entre eux ont voté (donc 36 millions), soit 10 millions d’abstentions. Au premier tour, le PS de Hollande a totalisé 10,2 millions de voix, Sarkozy 9,7 millions, Marine Le Pen 6,4 millions, Mélenchon 3,9 (soyons précis sinon ils risquent de s’énerver), Bayrou 3,2 millions, Joly 0,8 million, Dupont-Aignan 0,6, Poutou 0,4, Arthaud 0,2 et Cheminade, dont Haziza et Aphatie raillaient la candidature, 0,09 (89 545 voix exactement). Seul le premier tour est intéressant, socio-politiquement.
Pourquoi ce retour en arrière et ces chiffres, que tout le monde connaît ? Si le PS n’a pas trop perdu sur les fonctionnaires (bien que 40% des profs votent à droite ou au centre), qu’il embauche et cajole, il a un peu perdu sur les immigrés (qui ne votent pas à droite mais qui ne votent plus PS) à cause du mariage homosexuel, pas très en odeur de sainteté du côté des musulmans, mais il a surtout énormément perdu chez les jeunes. C’est là où on voulait en venir : Le Monde était obligé d’admettre, lors des élections régionales de décembre 2015, que le FN était le premier parti chez les jeunes… qui votent. 27% des jeunes qui ont voté ont glissé un bulletin FN dans l’urne. Le pire, pour la gauche, ce sont les stats affinées par tranches d’âge : 35% des 18-24 ans ont choisi un candidat FN, et 28% des 25-34 ans. Et dans ce tableau, l’ultime humiliation pour la gauche : les scores catastrophiques des écologistes, du Front de gauche, et de l’extrême gauche. 7% pour les écolos, 4% pour le FDG, et 1,5% pour l’extrême gauche. Bon, oui, et alors ?
Alors « Nuit Debout ». La jeunesse de gauche qui s’engage, partout, dans toutes les grandes villes de France, une jeunesse de gauche qui se voit, se montre, casse (un peu, mais c’est normal c’est des jeunes), fait du bruit, chante, discute, un vrai revival 68 ! Oui mais voilà, c’est de la poudre aux yeux. Ça ne pèse rien en termes électoraux, cette mobilisation surmédiatisée. Tous les jeunes réunis dans les agoras ou forums urbains, les dizaines de milliers de connexions quotidiennes sur le site nuitdebout.fr, tout cela ne pèse pas le dixième des jeunes qu’on ne voit pas, qui ont l’air eux de dormir (et peut-être de bosser le lendemain matin), et qui votent ou voteront FN.
Merde, alors, elle est où cette jeune France qui pèse si lourd et qu’on ne voit pas ? L’autre, celle qui ne pèse plus grand-chose, on la voit et on l’entend partout, ça ressemble à une méthode Coué électorale : regardez ces jeunes, comme ils sont démocrates, tolérants, actifs, motivés, vivants, présents, courageux (ils affrontent des armées de policiers armés jusqu’aux dents), ils sont la jeunesse de France, ils sont l’avenir, soyez comme eux, soyez eux !
Ben non, ils ne sont qu’une minorité transformée en majorité par la loupe des médias, c’est tout. Sans les médias, cette mobilisation ne pourrait même pas prendre. Il s’agit donc d’un mouvement médiatique artificiel à objectif politique caché, qui n’est évidemment pas le retrait de la loi Khomri, dont les participants de Nuit Debout se fichent. C’est juste le prétexte trouvé par les concepteurs du cette agit’prop. Oui, l’urgence pour le pouvoir socialiste et par extension pour le pouvoir tout court (le premier étant le masque du second), c’est de truquer les cartes, pour effacer cette jeunesse qui vote mal.
La « Nuit Debout » est un attrape-jeunes médiatique, destiné à faire croire que l’opposition qui se lève contre le pouvoir, c’est elle, et elle seule. Une resucée de SOS Racisme ravalée en SOS Antifascisme. Un mouvement antiflics, anti-ordre, et anti-FN par extension. Fausse opposition à un faux pouvoir, mise en scène sous les projecteurs, quand est laissée dans l’ombre la véritable opposition au pouvoir réel.
En ce qui concerne le FN, premier contre-pouvoir organisé et visible (même si c’est sous une lumière volontairement blafarde), le pouvoir profond ne pouvant plus rien faire au niveau de la base – les réseaux sociaux ont eu raison de la propagande de masse que les jeunes ne regardent plus – il lui reste encore de quoi agir au sommet. Ce qu’il a fait en ayant séparé la tête (Jean-Marie Le Pen) du corps, et en essayant d’amadouer la fille. Si la direction du FN est en voie de normalisation (l’étape suivant la dédiabolisation), du fait de sa position sur l’immigration, homéopathiquement acceptée par le corps politique presque entier, il reste un doute au niveau de ses électeurs : il semble qu’ils soient beaucoup plus en colère que ses représentants. Mais d’une colère qui ne se voit pas, et surtout, qui ne doit pas être montrée. La colère de « Nuit Debout », à côté, c’est de la petite bière.
Lorsque le présentateur célèbre du 20 Heures de TF1 apprend qu’une biographie non autorisée est en train de s’écrire sur lui, il prend les devants, et pond à toute vitesse une contre-biographie, qui connaîtra un succès d’édition. Nous sommes en 2005, le livre de l’enquêteur Bernard Violet sur PPDA sort le 14 septembre, il a droit à un TLMP (Tout le monde en parle), avec Ardisson et Baffie, qui ont ordre de démolir son travail. Le 31 août, est sorti Confessions, le livre autobiographie de PPDA sous forme d’entretiens avec Serge Raffy, journaliste au Nouvel Obs. L’enquête aux informations sulfureuses sur PPDA n’aura pas le succès escompté : elle aura été neutralisée par son contre-feu.
Tout porte à croire que « Nuit Debout » est un contre-feu à la montée du vote FN chez les 18-35 ans, montée qui annonce un vote FN profond, durable, et massif dans la France de demain. Si Marine Le Pen n’arrivera sans doute pas au pouvoir en 2017, selon la prédiction d’Alain Soral, il semble que cette lame de fond (puisque tout y concourt, du chaos migratoire au chômage, en passant par le terrorisme et l’échec moral définitif du parti unique de l’alternance) permettra à un élu frontiste – s’il s’appelle encore ainsi – de monter sur le trône dans les 10 années qui viennent. D’accord, mais quel Front national ? Et que se passera-t-il d’ici là ? Car 10 ans, dans une France chamboulée, c’est une éternité.