En ce jeudi 14 avril de l’an de grâce 2016, des choses apparemment sans rapport s’entrechoquent : Benzema n’ira pas à l’Euro, Bruckner réhabilite l’Argent, tandis qu’Elisabeth Lévy invite son grand copain Alain Finkielkraut sur RCJ pour analyser les « Panama Papers » et les Nuits Debout. Et soudain, Finky prend la défense de la finance... Serait-ce le Mur de l’Argent, le complot de la finance internationale ?
Benzema ne sera pas à l’Euro 2016 (en juin en France), ou la victoire des vallsiens sur les hollandais
François Hollande voulait, comme son copain Noël Le Graët (le socialiste à la tête de la Fédération Française de Football depuis 2011, soit l’après-Knysna), ainsi que le sélectionneur national Didier Deschamps, que Benzema en soit (de la fameuse liste des 23 qui va sortir en mai). Malheureusement, Valls a tiré le premier, utilisant les médias pour faire pression contre le président, sa méthode préférée. Qu’il a utilisée avec l’islam : quand le président veut calmer le jeu dans les banlieues, Valls envoie une purée de missiles. Sans compter le petit Macron, avec les milieux d’affaires dans le dos, qui vient bousculer le duel.
Benzema pas à l’Euro, qu’est-ce qu’on en a à branler, diront les commentateurs politiques avisés d’E&R. C’est là que vous vous trompez : il s’agit d’une décision éminemment politique. Pourquoi croyez-vous que Jakubowicz, sur un soupçon de tentative d’extorsion de fonds, s’est retiré de sa défense ? Déjà, ça voulait dire que ça sentait le poulet rôti, et puis que Jaku est passé du côté de Valls. Ou plutôt Valls du côté de Jaku, ce qui respecterait le rapport de forces réel. N’oublions jamais que Valls n’est qu’un employé des Jaku’s.
Aussitôt la nouvelle diffusée, c’est le branle-bas de combat dans toutes les rédactions. On imagine les pire scénarios : Benzema avec une ceinture de bombes qui revient se faire péter au Stade de France pour la demi-finale (les Bleus n’iront pas plus loin) ? On exagère à peine. Écoutez la chronique de François Clauss sur Europe 1 ce jour :
"Pas prendre #Benzema c'est céder à une certaine France raciste" Chef du service des sports François Clauss #E1Midi https://t.co/orBjKXkeuZ
— Europe 1 (@Europe1) 14 avril 2016
François Clauss ignore une chose, chez les gens des banlieues : ils ne sont pas uniformes. Il y en a qui pensent au-delà de leur peau, de leur quartier, par exemple. Ne tombons pas dans cet essentialisme qui fait de tous les banlieusards des musulmans prêts à basculer dans la racaille ou l’islamo-fascisme pour faire pression sur la République des Blancs. On dit les choses, nous, on va au bout des choses.
Un autre qui ne va pas au bout des choses – même si c’est un peu son métier – c’est notre ami Finky. Faut dire qu’il a ses raisons : à chaque sortie un peu hardcore, il se prend une volée de bois vert... comme la couleur de l’islam !
Finky & Lévy chez RCJ
L’émission s’appelle L’Esprit d’escalier, elle est coproduite par RCJ (la Radio de la Communauté Juive) et le journal Causeur. Dans l’épisode du 10 avril, le philosophe qui s’empourpre à la moindre contradiction dit une chose essentielle, à 16’12 :
« Cette semaine échevelée, “Le Monde” l’a terminée en beauté par un hymne aux indignés de la Nuit Debout, les Indignés, il les a appelés les Indignés. C’était une manière de nous dire, quand même, c’est ça la leçon, qu’on voudrait tirer, que l’ennemi véritable, ce n’est pas l’islam radical, c’est la finance déchaînée. Et c’est d’ailleurs ce qu’a écrit William Bourdon dans le même numéro du “Monde” : “c’est l’étalage des richesses face à l’extrême pauvreté qui est le ferment du terrorisme”. Et on oublie ainsi par cette exaltation si vous voulez des Indignés face à la Finance, on oublie ainsi un autre scandale, qui a éclaté pourtant au même moment que les “Panama Papers”, on a appris que les Indignés de Podemos étaient partiellement financés par le Venezuela d’Hugo Chavez et la République Islamique d’Iran. »
Comment analyser cela ?
D’abord, savoir que tout est dans les sous-entendus, avec Finky. Par Indignés, il faut entendre « les gauchistes propalestiniens », la gauche à l’ancienne, quoi, remontée contre la finance, derrière laquelle on subodore « finance juive ». Ce n’est pas un amalgame primaire de notre part, c’est le judéocentrisme de Finky qui se pare d’euphémismes. Mais qui tourne toujours autour du même centre, l’antisémitisme et ses mues géographico-historico-politico successives. Avant, c’était le nazisme ; aujourd’hui, c’est l’islamo-fascisme, selon l’expression de BHL, qui a lancé le concept sur le marché, et qui se vend très bien dans les médias.
Dans un bel ensemble, Pascal Bruckner, le numéro trois de la bande des quatre (BHL, Finky, Glucksmann et Bruckner), sort un livre sur l’argent, qui réhabilite l’argent. On va un peu vite, mais ça revient à ça, dans une société post-catholique toujours honteuse de la richesse, de l’aisance, de la réussite. C’est lui qui le dit, pas nous. Nous avons exhumé une longue interview du philosophe (encore un) dans Le Figaro du 12 avril. Dans cet entretien, il prend la défense de l’argent, sur le mode « mauvais maître/bon serviteur ». Classique. Mais il va plus loin. Aux États-Unis, son essai serait reçu comme une banalité ; ici, comme une gifle. Schématiquement, Bruck distingue les pro- des anti-argent. Dans les anti, il range le FN, l’Église, et l’ultragauche. Regardez bien :
Le Figaro - La mise en cause de la Société générale a remis Jérôme Kerviel au centre du débat. Que révèle-t-il de notre rapport à l’argent ?
Pascal Bruckner - Jérôme Kerviel est un génie du marketing symbolique. Personnage christique, il porte à la fois les péchés de la finance et leur rédemption. Il sait qu’en pays catholique on pardonne au pécheur qui se repent plus qu’au juste qui n’a jamais péché. Felix culpa. D’où le triple soutien à son endroit du Front national, de l’ultragauche et de l’Église. Le trader fou est devenu martyr et pénitent. Quel talent !
On retrouve les racines de « la France moisie » de ce pauvre Sollers. La bande des quatre a l’avantage de la cohérence. Notez en passant que l’expression « bande des quatre » nous vient de Chine, et s’appliquait aux politiciens chinois – comprenant l’épouse de Mao – qui pensaient prendre et conserver le pouvoir du Grand Timonier. Mais Deng, fort de ses soutiens dans l’armée et les Murs rouges, en décidera autrement... Petite parenthèse maoïste pour anciens maos, n’est-ce pas. L’ultragauche d’hier est aux commandes, enfin, la tendance BHL. L’autre, la vraie, la pure, celle qui est restée à l’usine, ou dans les champs, ne goûtera jamais aux délices de l’argent que vante Bruck. Mais revenons à notre sujet, qui est d’importance.
Hollande avait confié ne pas aimer les riches…
Le mot de Hollande est habile parce qu’il rencontre la psyché collective des Français dressés, en paroles du moins, contre le Veau d’or. Mais Hollande, en homme de gauche, aurait dû dire : “Je hais la pauvreté, qui dégrade les hommes.” La rhétorique antifinance vise moins à punir les huppés, même si on a menacé un temps de les taxer à 75 %, qu’à faire honte aux classes moyennes et populaires de déployer de grandes ambitions. Il est plus facile de maudire les nababs que d’arracher les déshérités au besoin. C’est tout le paradoxe : pour pouvoir mépriser l’argent, il faut en avoir un peu. C’est quand il manque qu’il règne en maître dans nos vies.
Tiens tiens, les pensées de Bruck et de Fink se rejoignent. L’antifinance serait aujourd’hui l’ennemie du développement et de la paix. On retrouve là le grand fantasme d’Attali avec l’argent qui répare, l’argent qui vient sur le monde pour réparer les injustices et tout ça. S’enrichir, c’est bien ; ce qui est mal, c’est la pauvreté. On est d’accord. Pourquoi pas. Mais ça n’a pas l’air de bien marcher, comme programme mondial. On dirait même que ça bascule dans l’hyperrichesse et l’hyperpauvreté, avec une immense fosse entre les deux, qui risque de se remplir de morts, mais on ne sait pas encore de quel côté. Enrichissez-vous, ça ressemble à une promesse à la Staline, les lendemains qui chantent... la version du paradis sur terre, repoussé aux calendes...
« La France dans son rapport à l’argent repose sur trois piliers. Le catholicisme, d’abord. Il faut choisir entre Dieu et Mammon. L’argent est le principal concurrent de Dieu sur terre, ce que prouve la condamnation du veau d’or et de l’usure. Péguy, Bloy, Bernanos ont écrit des pamphlets terribles contre le vil métal. »
Veau d’or, usure... les complotistes vont faire des bonds de cabri ! Bruck en profite pour régler son compte à Rousseau, le grand précurseur de cette mauvaise herbe d’ultragauche qui rêve d’un monde plus juste :
Le Figaro - Comment voyez-vous les défenseurs de la décroissance ?
L’ancêtre de ces mouvements, c’est Rousseau, lui-même héritier du paupérisme volontaire des ordres religieux. Quand la pauvreté est un choix spirituel, pour une vie de travail et de prière, elle est tout à fait respectable. Ce qui est inquiétant chez les décroissants, c’est leur plaidoyer en faveur de la paupérisation pour tous.
Sur la réhabilitation de l’Argent, la défense de la finance, contre laquelle se dressent les piliers de l’Eglise, de la Nation et de la gauche sociale (celle du travail, hein), la bande des quatre se retrouve, comme par magie, comme au bon vieux temps, sur la même ligne. La gauche sociale c’est fini, mort, enterré, c’est devenu des salauds qui s’en prennent à Israël ou qui soutiennent la Palestine, alors non merci. On simplifie, bien entendu. Mais ces quatre cavaliers de l’apocalypse philosophico-sioniste, comment font-ils pour être toujours sur la même longueur d’onde ? C’est de la télépathie ? Il est vrai qu’ils y passent beaucoup, à la télé.