Le discours prononcé le 9 février 2011 par le Président Nicolas Sarkozy au dîner annuel du CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France) démontre – s’il en était encore besoin – l’alignement total de la France sur les intérêts d’Israël. L’abîme qui sépare cette position de celle qu’avait prise en 1967 le Général De Gaulle, apparaît proprement vertigineux.
Il y a déjà longtemps que, tout comme les congressistes états-uniens qui se bousculent aux dîners de l’AIPAC (American Israel Public Affairs Committee), le personnel politique français se presse au dîner annuel du CRIF pour y faire allégeance à Israël, comme le veulent ses organisateurs, et s’incliner respectueusement devant ce qui n’est pas seulement une organisation communautaire, mais un groupe de pression.
Premier Président de la République à s’être plié à participer aux dîners annuels du CRIF en février 2008, Nicolas Sarkozy a marqué cette année, par son discours, un pas supplémentaire dans la subordination de l’intérêt national de la France à celui d’Israël.
Se présentant comme un « ami d’Israël » à « ce dîner du CRIF qui est devenu au fil du temps un rendez-vous républicain », Nicolas Sarkozy a commencé par quelques injonctions sur la recherche de la « paix » ; comprenez : une paix placée sous le signe de la « sécurité d’Israël », sans qu’il ne soit jamais question de justice ni même de sécurité pour les Palestiniens menacés quotidiennement par les agressions militaires israéliennes :
« Israël et sa sécurité sont pour la France non négociables, mais dans le même temps la France dit aux dirigeants d’Israël : vous devez négocier pour construire la paix. Il n’y aura pas de sécurité pour Israël sans la paix. »
Contrairement à Gilad Shalit - que Nicolas Sarkozy voit « comme un Français » alors qu’il a été fait prisonnier en opération militaire sous l’uniforme israélien - le jeune franco-palestinien Salah Hamouri emprisonné en Israël depuis près de six ans pour des raisons politiques [1] n’a naturellement pas eu droit à la moindre mention, pas plus que les milliers de prisonniers politiques Palestiniens, des civils enlevés arbitrairement de manière extrajudiciaire :
« Je n’oublie pas non plus notre compatriote, j’ai dit notre compatriote car dès mon élection j’ai dit que Gilad Shalit je le voyais comme un Français et que toucher à Gilad Shalit, c’était s’attaquer à la France (…) Je l’ai dit à ses parents Noam et Aviva, jamais nous n’’abandonnerons leur fils à son sort. Un sort que rien, je dis bien rien, ne saurait justifier. »
Nicolas Sarkozy a accusé, une fois de plus, le Président iranien de vouloir « rayer Israël de la carte », une citation mensongère puisque l’on sait que ce dernier a dit en réalité, ce qui n’est pas du tout la même chose : « L’Imam [Khomeiny] a dit que ce régime qui occupe Jérusalem doit être effacé de la page du temps. » [2]. Et, alors que c’est Tel Aviv qui dispose de l’arme nucléaire et qui menace constamment l’Iran de frapper ses installations, Nicolas Sarkozy s’est fait menaçant, accusant l’Iran de violer la loi internationale, sans un mot bien sûr pour toutes les violations du droit international par Israël :
« Que les choses soient claires, on ne peut pas accepter un Iran doté de l’arme nucléaire et de missiles dont la portée s’allonge d’année en année, en violation complète de la loi internationale. (…). Jamais je n’accepterai que des dirigeants iraniens menacent de rayer Israël de la carte. Et cette position, la France l’a affirmée à de multiples reprises. Jamais la France n’acceptera cela. Soyez certain, Monsieur le Président que le droit d’Israël à vivre en paix et en sécurité, c’est une priorité diplomatique et stratégique pour la France. »
Nicolas Sarkozy a terminé son allocution par l’énoncé de ses « convictions » sur le judaïsme et un appui réitéré à Israël :
« Je veux dire, en tant que chef de l’Etat, que le judaïsme a contribué à forger l’identité de la France. (…) Si la France a des racines chrétiennes – je l’ai rappelé et pourquoi le nier puisque c’est la vérité – la France a aussi des racines juives. La présence du judaïsme est attestée en France avant même que la France ne soit la France, avant même qu’elle ne soit christianisée. (…) Oui le judaïsme fait partie des racines de la France. (…) Je sais et je comprends la place particulière que l’Etat d’Israël occupe dans le cœur des juifs du monde entier. Pour la France, l’existence de l’Etat d’Israël est une exigence de la conscience universelle, et jamais les juifs de France, jamais, n’auront à choisir entre leur conscience et leur patrie. »
Alors que Nicolas Sarkozy n’a, en réalité jamais cessé de stigmatiser l’Islam et de le désigner comme une menace, cette apologie du judaïsme – expressément associée à la place que « l’Etat d’Israël occupe dans le cœur des juifs » apparaît particulièrement choquante.
Que cette voix là soit aujourd’hui celle de la France ! Qu’une telle servilité à l’égard des intérêts de l’Etat d’apartheid israélien, une telle cécité politique vis-à-vis des intérêts réels de la France, s’exprime aujourd’hui par la voix du Président de la République française, cela laisse atterrés ceux qui ont encore en mémoire la hauteur de vue, l’intelligence du propos et la lucidité prophétique du Général de Gaulle lors de sa conférence de presse du 22 novembre 1967 dont on trouvera ci-dessous la vidéo et le texte.
Aussi bien sur la forme que sur le fond, le contraste est saisissant !
Les Français sauront-ils se réveiller avant que leur Président n’entraîne leur pays dans des aventures qui ne le concernent pas, menées au seul bénéfice d’Israël ?
Lors de la prochaine élection présidentielle, si Dominique Strauss-Kahn est candidat, sauront-ils se rappeler qu’avec lui aussi les intérêts d’Israël passeront avant ceux de la France ? Ce dernier avait déclaré « se lever chaque matin en se demandant comment il pourra être utile à Israël ».
Silvia Cattori
Conférence de presse du Général de Gaulle, le 22 novembre 1967
Texte de la Conférence
« L’établissement, entre les deux guerres mondiales, car il faut remonter jusque là, l’établissement d’un foyer sioniste en Palestine et puis, après la deuxième guerre mondiale, l’établissement d’un Etat d’Israël, soulevaient, à l’époque, un certain nombre d’appréhensions. On pouvait se demander, en effet, et on se demandait même chez beaucoup de juifs, si l’implantation de cette communauté sur des terres qui avaient été acquises dans des conditions plus ou moins justifiables et au milieu des peuples arabes qui lui étaient foncièrement hostiles, n’allait pas entraîner d’incessants, d’interminables frictions et conflits. Certains même redoutaient que les juifs, jusqu’alors dispersés, qui étaient restés ce qu’il avaient été de tout temps, un peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur, n’en viennent, une fois qu’ils seraient rassemblés dans le site de leur ancienne grandeur, à changer en ambition ardente et conquérante les souhaits très émouvants qu’ils formaient depuis dix-neuf siècles : l’an prochain à Jérusalem.
Cependant, en dépit du flot tantôt montant tantôt descendant des malveillances qu’ils provoquaient, qu’ils suscitaient plus exactement, dans certains pays et à certaines époques, un capital considérable d’intérêt et même de sympathie s’était accumulé en leur faveur, surtout, il faut bien le dire, dans la chrétienté ; un capital qui était issu de l’immense souvenir du Testament, nourri par toutes les source d’une magnifique liturgie, entretenu par la commisération qu’inspirait leur antique malheur et que poétisait chez nous la légende du Juif errant, accru par les abominables persécutions qu’ils avaient subies pendant la deuxième guerre mondiale, et grossi depuis qu’ils avaient retrouvé une patrie, par leurs travaux constructifs et le courage de leurs soldats. C’est pourquoi, indépendamment des vastes concours en argent, en influence, en propagande, que les Israéliens recevaient des milieux juifs d’Amérique et d’Europe, beaucoup de pays, dont la France, voyaient avec satisfaction l’établissement de leur Etat sur le territoire que leur avaient reconnu les Puissances, tout en désirant qu’ils parviennent, en usant d’un peu de modestie, à trouver avec leurs voisins un modus vivendi pacifique.
Il faut dire que ces données psychologiques avaient quelque peu changé depuis 1956, à la faveur de l’expédition franco-britannique de Suez on avait vu apparaître en effet, un Etat d’Israël guerrier et résolu à s’agrandir. Ensuite, l’action qu’il menait pour doubler sa population par l’immigration de nouveaux éléments, donnait à penser que le territoire qu’il avait acquis ne lui suffirait pas longtemps et qu’il serait porté, pour l’agrandir, à saisir toute occasion qui se présenterait. C’est pourquoi, d’ailleurs, la Vème République s’était dégagée vis-à-vis d’Israël des liens spéciaux et très étroits que le régime précédent avait noués avec cet Etat, et s’était appliquée au contraire à favoriser la détente dans le Moyen-Orient. Bien sûr, nous conservions avec le gouvernement israélien des rapports cordiaux et, même, nous lui fournissions pour sa défense éventuelle, les armements qu’il demandait d’acheter. Mais, en même temps, nous lui prodiguions des avis de modération, notamment à propos des litiges qui concernaient les eaux du Jourdain ou bien des escarmouches qui opposaient périodiquement les forces des deux camps. Enfin, nous nous refusions à donner officiellement notre aval à son installation dans un quartier de Jérusalem dont il s’était emparé et nous maintenions notre ambassade à Tel-Aviv.
Une fois mis un terme à l’affaire algérienne, nous avions repris avec les peuples arabes d’Orient la même politique d’amitié, de coopération qui avaient été pendant des siècles celle de la France dans cette partie du monde et dont la raison et le sentiment font qu’elle doit être aujourd’hui une des bases fondamentales de notre politique extérieure. Bien entendu, nous ne laissions pas ignorer aux Arabes que, pour nous, l’Etat d’Israël était un fait accompli et que nous n’admettrions pas qu’il fût détruit. De sorte qu’on pouvait imaginer qu’un jour viendrait où notre pays pourrait aider directement à ce qu’une paix fût conclue et garantie en Orient, pourvu qu’aucun drame nouveau ne vînt la déchirer.
Hélas ! Le drame est venu. Il avait été préparé par une tension très grande et constante qui résultait du sort scandaleux des réfugiés en Jordanie, et aussi d’une menace de destruction prodiguée contre Israël. Le 22 mai, l’affaire d’Aqaba, fâcheusement créée par l’Egypte, allait offrir un prétexte à ceux qui rêvaient d’en découdre. Pour éviter les hostilités, la France avait, dès le 24 mai, proposé aux trois autres grandes puissances d’interdire, conjointement avec elle, à chacune des deux parties d’entamer le combat. Le 2 juin, le gouvernement français avait officiellement déclaré, qu’éventuellement, il donnerait tort à quiconque entamerait le premier l’action des armes, et c’est ce que j’avais moi-même, le 24 mai dernier, déclaré à Monsieur Eban, ministre des Affaires étrangères d’Israël, que je voyais à Paris. “Si Israël est attaqué”, lui dis-je alors en substance, “nous ne le laisserons pas détruire, mais si vous attaquez, nous condamnerons votre initiative. Certes, malgré l’infériorité numérique de votre population, étant donné que vous êtes beaucoup mieux organisés, beaucoup plus rassemblés, beaucoup mieux armés que les Arabes, je ne doute pas que le cas échéant, vous remporteriez des succès militaires, mais ensuite, vous vous trouveriez engagés sur le terrain et au point de vue international, dans des difficultés grandissantes, d’autant plus que la guerre en Orient ne peut pas manquer d’augmenter dans le monde une tension déplorable et d’avoir des conséquences très malencontreuses pour beaucoup de pays, si bien que ce serait à vous, devenus des conquérants, qu’on en imputerait peu à peu les inconvénients.”
On sait que la voix de la France n’a pas été entendue. Israël, ayant attaqué, s’est emparé, en six jours de combat, des objectifs qu’il voulait atteindre. Maintenant, il organise sur les territoires qu’il a pris l’occupation qui ne peut aller sans oppression, répression, expulsions, et il s’y manifeste contre lui une résistance, qu’à son tour il qualifie de terrorisme. Il est vrai que les deux belligérants observent, pour le moment, d’une manière plus ou moins précaire et irrégulière, le cessez-le-feu prescrit par les Nations unies, mais il est bien évident que le conflit n’est que suspendu et qu’il ne peut y avoir de solution sauf par la voie internationale.
Un règlement dans cette voie, à moins que les Nations unies ne déchirent elles-mêmes leur propre charte, doit avoir pour base l’évacuation des territoires qui ont été pris par la force, la fin de toute belligérance et la reconnaissance réciproque de chacun des Etats en cause par tous les autres. Après quoi, par des décisions des Nations unies, en présence et sous la garantie de leurs forces, il serait probablement possible d’arrêter le tracé précis des frontières, les conditions de la vie et de la sécurité des deux côtés, le sort des réfugiés et des minorités et les modalités de la libre navigation pour tous, notamment dans le golfe d’Aqaba et dans le canal de Suez. Suivant la France, dans cette hypothèse, Jérusalem devrait recevoir un statut international. Pour qu’un tel règlement puisse être mis en œuvre, il faudrait qu’il y eût l’accord des grandes puissances (qui entraînerait ipso facto celui des Nations unies) et, si un tel accord voyait le jour, la France est d’avance disposée à prêter sur place son concours politique, économique et militaire, pour que cet accord soit effectivement appliqué. Mais on ne voit pas comment un accord quelconque pourrait naître non point fictivement sur quelque formule creuse, mais effectivement pour une action commune, tant que l’une des plus grandes des quatre ne se sera pas dégagée de la guerre odieuse qu’elle mène ailleurs. Car tout se tient dans le monde d’aujourd’hui. Sans le drame du Vietnam, le conflit entre Israël et les Arabes ne serait pas devenu ce qu’il est et si, demain, l’Asie du Sud-Est voyait renaître la paix, le Moyen-Orient l’aurait bientôt recouvrée à la faveur de la détente générale qui suivrait un pareil événement. »