Egalité et Réconciliation
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Abus de mémoire

Survivre avec les loups : Une des plus grosses escroqueries de cette dernière décennie ? Edité en 18 langues et vendu à plusieurs millions d’exemplaires, objet du film Survivre avec les loups, de Véra Belmont, le livre de Misha Defonseca ou « la vraie histoire d’une rescapée de la Shoah » pourrait refaire parler de lui. Pour l’historien de la déportation Maxime Steinberg et le spécialiste des enfants-loups Serge Aroles, « il s’agit tout simplement d’une escroquerie ! ». L’éditrice elle-même vient de se désolidariser de l’auteur… catholique.


Déjà en 2005, dans un article de Regards (n°601) consacré à l’auteur, nous demeurions avec plusieurs questions sans réponse. Près de trois ans plus tard, et après un succès médiatique et public unanime, nous avons souhaité revenir sur ce qu’il conviendrait peut-être d’appeler aujourd’hui « une des grosses manipulations de l’Histoire ».

C’est en tout cas l’avis que partagent Maxime Steinberg, historien belge de la Shoah, et Serge Aroles, auteur de L’Enigme des enfants-loups (Publibook) qui analyse le phénomène sur sept siècles, par la consultation d’archives et un minutieux travail de terrain. « Le cas de Misha Defonseca ne figure pas dans mon livre, il était tellement délirant que je ne m’y suis pas attardé, pensant que tout le monde s’en rendrait vite compte » confie le spécialiste, encore stupéfait de l’ampleur prise par les événements. Et blessé d’être aujourd’hui repris par des sites extrémistes pour dénoncer « le business de l’Holocauste » !

« Des sites tels que www.loup.org, ou liés à la nature m’ont d’abord contacté pour analyser le cas de Misha Defonseca » explique-t-il. « J’ai ensuite tenu à prévenir les médias qui avaient accrédité cette supercherie (Le Monde, Le Nouvel Obs, etc.), mais ils n’en ont pas tenu compte, craignant sans doute, comme je l’ai été, d’être traités d’antisémites ».

Si le livre et le film, qui disent s’inspirer d’une histoire vraie, ont reçu toutes les éloges, quelques éléments semblent en effet suffire à en contester l’authenticité.
Enfant-loup : Serge Aroles est formel. « La louve en mal d’adoption peut présenter une « grossesse nerveuse » et se retrouver les mamelles gorgées de lait. Il est très probable, par accident statistique, que des nourrissons, cachés en forêt à la suite de guerres, famines ou abandon, aient pu être allaités sur une courte durée. Mais cela ne concerne que les nourrissons. Et si cela a sans aucun doute alimenté le mythe des enfants-loups, Mowgli n’existe pas ! Quand Misha Defonseca explique qu’une louve l’a réprimandée parce qu’elle urinait comme un mâle en levant la patte, ou qu’elle s’est retrouvée à faire du baby-sitting dans la meute, personne n’est allé si loin dans le délire ».

Déportation : Maxime Steinberg rappelle que les déportations juives ont commencé en Belgique le 4 août 1942. « Il n’y a donc aucune raison pour les Juifs de se cacher ou de fuir au printemps 41, Misha Defonseca anticipe les faits d’un an et demi ! En plus, elle part « à l’Est » alors qu’il s’agira du nord de l’Allemagne ! ». Avant de s’étonner du refus de l’auteur de révéler son identité : « A la limite, on pourrait croire qu’elle s’invente une filiation juive ! La démarche des victimes a toujours été de faire reconnaître la déportation des leurs en présentant les « transport list ». Cacher son vrai nom n’a aucun sens lorsqu’on revendique un rattachement à cette persécution. Sa traversée de l’Europe sans assistance, sinon celle des loups, est tout aussi invraisemblable. C’est symptomatique d’une manière de refuser la singularité de ce qui est arrivé aux Juifs pour entrer dans une singularité encore plus forte et totalement fantasmée ».

Le Pont d’Anderlecht : Loin d’être un détail de l’histoire, le pont constitue un élément majeur dans le récit de Misha Defonseca. C’est de lui que dépendra sa fuite « vers l’Est » pour retrouver ses parents.. Serge Aroles, à l’époque à Bruxelles, s’est rendu sur place pour vérifier ces informations. « Le dentiste qui l’aurait recueillie et menacé de la livrer aux Allemands n’a jamais existé. Pas plus que ce pont bombardé qu’elle décrit minutieusement. Les archives ne mentionnent qu’un pont saboté en 40, rien de plus. Aucun pont n’a été bombardé entre 1941 et 1943 à cet endroit ».

La liste des « aberrations » dressée par Serge Aroles est encore longue, telle cette boussole qui indique inexorablement le ghetto de Varsovie à l’aller, et Anderlecht au retour. La facilité avec laquelle Misha aurait encore traversé le Danube, serait entrée et ressortie du ghetto, et aurait parcouru quelque 6.000 kms !
Alors que nous écrivons ces lignes, son éditrice américaine, suite à une longue querelle judiciaire et financière finalement perdue, diffuse sur internet l’extrait d’un registre de l’année scolaire 1943-1944, attestant qu’à l’époque où l’héroïne (de son vrai nom Monique Dewael !) se disait dans les forêts de Pologne, adoptée par une meute de dix loups, elle était en réalité scolarisée à Schaerbeek ! Un document accablant, accompagné de l’extrait d’acte de baptême catholique de « Misha », née en 1937 à Etterbeek, et aucunement juive, ni de père, ni de mère… Reste à espérer que son récit ne rentre définitivement dans la mémoire collective. Et que la réflexion sur l’enseignement de la Shoah se poursuive car ce genre d’affabulation ne sert qu’une seule cause : celle des négationnistes.

Géraldine Kamps