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II se dit prophète en son pays, Alexandre Douguine : « eurasiste » contre atlantistes

Agé de 46 ans, Alexandre Douguine est l’un des intellectuels les plus influents de la Russie actuelle. Titulaire d’un doctorat en histoire de la science, d’un second en science politique, auteur de nombreux ouvrages dont Les Fondements de la géopolitique (1997), il a été conseiller à la présidence de la Douma pour les questions stratégiques et propage depuis une dizaine d’années une vision eurasiste, qui vise à constituer un grand bloc continental eurasien pour lutter à armes égales contre la puissance maritime « atlantiste », qui représente selon lui le « mal mondial » entraînant le monde vers le chaos.

Le Choc du mois : durant les dernières années du régime soviétique, vous étiez un jeune intellectuel traditionaliste et anticommuniste qui eut à encourir les foudres du pouvoir au point de connaître l’emprisonnement. Puis, sous la présidence de Bons Eltsine, vous vous êtes réclamé du « national-bolchevisme ». Curieuse évolution...

Alexandre Douguine : Ma formation intellectuelle s’est forgée sous l’influence de penseurs appartenant à des groupes traditionalistes marginaux de Moscou, tels Djemal, Golovine ou Mamleev. A la fin des années 1970 et au début des années 1980, le noyau central de ma doctrine correspondait aux données de la Tradition et à son opposition au monde moderne.

Cela renvoyait approximativement à la troisième voie » : ni capitalisme libéral, ni communisme.
Dans les années 1980, mes convictions étaient inébranlables j’étais un dissident de droite et anticommuniste vivant dans un milieu marxiste, je considérais le communisme comme l’aboutissement d’un cycle historique. La vision de Julius Evola, notamment la logique d’un processus régressif des castes dominantes (dans l’ordre prêtres, guerriers, marchands et prolétaires) m’avait beaucoup influencé. Evola prédisait la victoire de la quatrième caste sur la troisième, des communistes donc sur les bourgeois.

Or les événements des années 1980- 1990 en Russie ont montré qu’Evola, sur ce point, avait tort. La victoire a été acquise par les libéraux capitalistes de l’Occident. Cette considération m’a forcé à réviser mon attitude négative envers le communisme et surtout le soviétisme. J’ai découvert que l’interprétation du système soviétique était inexacte et il m’est apparu qu’il s’agissait d’une survivance des éléments de la société traditionnelle, bien que dans des formes perverties. En visitant l’Europe vers la fin des années 1980, j’ai fait la connaissance d’Alain De Benoist et de la Nouvelle Droite , dont l’attitude critique envers le système libéral-démocratique était conforme à mes propres impressions. Finalement, je suis arrivé à une version corrigée du traditionalisme qui inclut certains aspects de l’expérience soviétique, du socialisme et même du communisme. La lutte réside en réalité entre les partisans des valeurs traditionnelles et l’ennemi absolu, c’est-à-dire l’Occident, les Etats-Unis, le libéralisme et la société marchande.

Un « néo-traditionalisme » donc...

Un néo-traditionalisme qui trouve des échos chez certains précurseurs de mouvements idéologiques marginaux au sein des mouvances « « national-bolchevique » » (Ustiyalov en Russie, Niekisch en Allemagne) et eurasiste (Troubetskoy, Savitsky, Vernadsky, Gumilev). S’y ajoute une métaphysique qui renvoie à celle de René Guénon et de Julius Evola. II s’agit donc d’une Weltanschauung (« vision du monde ») nouvelle.
Ainsi est né le dualisme stratégique l’atlantisme contre l’eurasisme, Leviathan contre Behemeoth, la Mer contre la Terre (Carl Schmitt). Dans cette optique, l’URSS apparaît comme la Terre (donc comme un pôle positif). Ces cadres conceptuels ont également existé au sein de la Révolution conservatrice allemande des années 1920-1930, surtout dans ce qui l’opposait aux nazis et à leur atlantisme raciste.

La suite dans Le Choc du Mois n° 19 . Janvier 2008
Arnaud Guyot Jeannin

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