C’est l’année de la signature de l’Édit de Nantes, en 1598, que commença le Grand siècle, qui fut celui de la dynastie des Bourbons : Henri IV, mort assassiné en 1610, son fils Louis XIII, régna de 1610 à 1643, auquel succéda Louis XIV. Ce dernier avait cinq ans quand mourut son père. Sa mère, Anne d’Autriche, assura la régence pendant sa minorité avec l’aide du cardinal Mazarin. A la mort de ce dernier, en mars 1661, le jeune Louis XIV, alors âgé de 22 ans, prit en main les rênes du pouvoir et porta au plus haut degré ce qu’on appelait la monarchie absolue. Il fut roi pendant soixante-douze ans, et régna sans partage pendant cinquante-quatre.
Louis XIV, c’était l’absolutisme triomphant, le pouvoir d’un seul homme poussé à son plus haut point de réussite et d’éclat, la gloire du monarque et la ruine de ses opposants.
Certainement le roi de France n’avait pas tous les droits. Il ne pouvait, par exemple, ni morceler son royaume, ni attenter à la propriété, ni léguer sa couronne à sa fille ou au fils de sa maîtresse ou enfin ne plus être catholique. Sous cette réserve, et depuis la fin de la monarchie féodale, en 1484, aucune liberté privée ou publique ne lui était plus opposable : au-dessus de lui, il n’y avait que Dieu. Le roi ne rendait de comptes à personne pour déclarer la guerre ou conclure la paix. Lui seul pouvait légiférer. Toute décision de justice relevait de lui, et quand il jugeait lui-même, ses décisions étaient sans appel. Enfin il levait des impôts à son gré : il avait bien tous les pouvoirs.
Depuis la fin du moyen âge, aucun nobliau de province, aucun seigneur, aucun grand féodal ne pouvait plus opposer de résistance au roi : la monarchie féodale était un souvenir. Dans le royaume il n’y avait plus que des vassaux, chaque seigneur ne tenait plus que du souverain. Et quand l’un d’eux voulait purger un différend avec un voisin, il devait faire appel à la justice royale.
Pour réussir cette unification du royaume, les rois s’étaient appuyés sur une classe en pleine expansion, les légistes du Tiers-État issus de la bourgeoisie. A Paris et dans les provinces les plus récemment rattachées, des parlements, composés de fonctionnaires qu’on appelait des officiers, enregistraient les lois et rendaient la justice au nom du roi en lieu et place des anciens féodaux. La roture prenait la place de la noblesse d’épée.
L’affirmation de l’absolutisme à la française passa par la création, année après année, d’offices de plus en plus nombreux : toute fonction était un office, et tout office était un don du roi. Comme la justice était payante, posséder un office était une excellente affaire et les candidats soudoyaient des courtisans pour tenter d’en obtenir. Plutôt que de s’en offusquer, au XVIe siècle, Louis XII et François 1er avaient pris l’initiative de vendre les offices de fonctions publiques. Qui en avait les moyens pouvait ainsi devenir juge, grâce à un contrat en bonne et due forme passé avec la royauté. Désireux d’arranger les finances royales et de se ménager la même classe montante, Henri IV rendit les offices héréditaires par l’instauration de la Paulette, une sorte de « prime d’assurance sur la vie », qui garantissait la charge à la famille si l’officier avait un fils en âge d’exercer. La Paulette renforçait et augmentait la valeur des offices, mais elle rendait les officiers dépendants, en permettant au roi d’agiter le spectre du refus de renouvellement. La vente d’offices fit rentrer des fonds bienvenus, et les offices se multiplièrent. Il y en avait environ 5 000 au début du XVe siècle, et près de 46 000 cent-cinquante ans plus tard. A l’échelle de notre découpage actuel, cela fait près de 500 par département.
Tandis que les gentilshommes, appauvris par leur faste, vendaient leurs biens aux robins (la « Robe » était la magistrature, les robins étaient les juges), par décision royale, ces « vils bourgeois » devenaient comtes ou marquis, s’agrégeaient à la noblesse et prenaient de l’importance. Alors qu’Henri III n’avait que des gentilshommes en son Conseil, Henri IV fit entrer de plus en plus de robins. En quelques générations, ceux-ci devinrent nobles à part entière et se mirent à faire des dynasties.
Inamovibles, propriétaires de leur office, devenus nobles, ils formèrent petit à petit une classe nouvelle, ils devinrent un corps avec un intérêt commun à défendre, une sorte de quatrième Etat de plus en plus indépendant. Et une nouvelle menace pour la royauté.
Le Parlement de Paris avait comme prérogative d’inscrire dans ses registres l’intégralité des décisions royales. Cette faveur, purement administrative, l’amena au fil des ans à prétendre soumettre les lois à des remontrances préalables à l’enregistrement, afin de s’assurer qu’elles ne violaient pas les lois fondamentales. Quand les juges parisiens résistèrent à l’enregistrement de l’Edit de Nantes, Henri IV les remit à leur place : « Vous faites les entendus en matière d’Etat et n’y entendez non plus que moi à rapporter des procès » leur dit-il. Les robins prétendaient désormais se mêler du fonds des textes qu’ils devaient enregistrer. Henri IV ne les laissa pas faire
Pour faire pièce au pouvoir grandissant des officiers, les rois avaient, dès 1550, commencé à envoyer en province des agents révocables à volonté et en mission temporaire, les intendants. Ceux-ci, chargés d’une commission c’est-à-dire commissaires, en vinrent marcher sur les brisées des premiers. La charge des commissaires n’était pas vénale, le roi les choisissait pour leurs mœurs et leur personne. La montée de leur influence eut pour les officiers une conséquence sonnante et trébuchante : l’arrêt de la valorisation du prix de leurs offices. Les magistrats perdaient non seulement du pouvoir mais également de l’argent. Leur humiliation fut profonde. Après avoir été les instruments de la centralisation monarchique contre les féodalités, les robins en devenaient à leur tour les victimes.
Totalement dépendants de l’Etat monarchique sur le plan économique, ils s’éloignèrent politiquement et idéologiquement d’une royauté qu’ils ne pouvaient ni ne voulaient remettre en cause en tant que telle.
L’idéologie, en ce temps-là, c’était la religion. Les robins furent au cœur de toutes les querelles religieuses de leur temps.
(à suivre)
Sources :
- Roland Mousnier, Les XVIe et XVIIe siècles. Les nouvelles structures de l’Etat. Histoire générale des civilisations. PUF 1967.
- Dictionnaire encyclopédique d’Histoire, Mourre. Éditions Bordas