Le conflit entre l’Arabie saoudite et le Qatar couve en réalité depuis plusieurs années. L’Arabie saoudite a soutenu financièrement, pendant plusieurs décennies, avant de les abandonner – à cause de leur caractère révolutionnaire [1] dont a pâti le royaume saoudite –, l’une des principales armes anglo-américaines de déstabilisation du monde musulman : les Frères Musulmans.
Le divorce entre les Saoudiens et les Frères Musulmans est consommé dans les années 2000. Le prince Nayef ben Abdelaziz Al Saoud (1934-2012) déclarera :
« Nous avons trop aidé les Frères Musulmans qui sont la cause des problèmes dans le monde arabe, et peut-être dans le monde musulman » [2].
Le sixième guide des Frères Musulmans, Maamoun al-Hudhaybi (1921-2004), s’est dit « choqué et attristé ». En juin 2006, dans un colloque sur « le concept de gouvernement civil chez les Frères », Abu al-Fatuh, membre du Bureau de la guidance des Frères, a, en réponse au régime saoudo-wahhabite, qualifié le wahhabisme « d’islam bédouin qui a propagé l’extrémisme et le terrorisme et réduit l’islam à des signes trompeurs, tels que le port de la robe courte (marque distinctive des dignitaires religieux) et des récits sans valeur » [3].
Suite à cette rupture, le Qatar prendra la suite des Saoudiens dans le soutien aux Frères Musulmans.
Le tandem Qatar/Frères Musulmans sera à la pointe de la déstabilisation de la Libye, de l’Égypte, de la Tunisie et de la Syrie à partir de 2011. Le Printemps arabe, qu’il convient d’appeler « Printemps sioniste », a été mis en œuvre pour accomplir le plan israélien de découpage du monde musulman (Plan Oded Yinon, 1982) actualisé et mis en œuvre par les États-Unis (Greater Middle East Initiative, 2002). Le Qatar, par son hyperactivité et profitant du contexte, va alors supplanter l’Arabie saoudite dans un domaine qui lui appartient historiquement : le financement du terrorisme, outil géostratégique de l’Oncle Sam [4] .
La rivalité et la haine entre l’Arabie saoudite et le Qatar va donc s’exacerber à partir du Printemps arabe. Mais ne nous y trompons pas, l’Arabie saoudite a fournis aux terroristes en Syrie des armes et d’importantes sommes d’argent, tandis que la CIA entraînait les terroristes à utiliser les AK-47 et autres missiles antichar, suite à une autorisation secrète donnée par le président Obama à la CIA en 2013, comme le rapporte le New York Times [5].
D’après le journal américain :
« Les Qataris ont aussi aidé au financement des entraînements et autorisé l’utilisation d’une base qatarie pour des entraînements supplémentaires. Mais les officiels américains ont affirmé que les Saoudiens ont été de loin les plus importants contributeurs dans cette opération. »
Cependant, durant le second mandat du démocrate Barack Obama, les États-Unis vont s’éloigner des Saoud en faveur des Frères Musulmans [6] (et donc du Qatar qui en est la source de financement) qu’ils soutiennent depuis les années 1950 [7], mais aussi en faveur des négociations sur le nucléaire iranien avec le libéral Rohani.
Les pétromonarchies, qui ne sont au fond que les outils des États-Unis et d’Israël, font les frais des changements d’administrations aux États-Unis tous les quatre ou huit ans. Il faut savoir que, tout particulièrement depuis Bush père (qui fut un véritable parrain et un second père pour le prince Bandar, ancien ministre de la Défense qui gérait le terrorisme international), les principaux alliés des Saoud aux États-Unis sont les Républicains.
Avec Donald Trump, on assiste au retour des Républicains néo-conservateurs (qui ont soumis Trump) à la tête de l’administration américaine et qui renouent avec les Saoud au détriment des Iraniens et des Qataris. Le contrat d’armement signé avec Trump signifie le renouvellement de l’alliance conclue en 1945 entre Roosevelt et Abdel Aziz ibn Saoud.
L’alliance des Saoud et des néo-conservateurs contre l’Iran
En 1945, le pacte de Quincy liant les États-Unis et la famille Saoud consistait à fournir du pétrole à l’Amérique en échange de quoi celle-ci protégerait et maintiendrait sur le trône la tribu des Saoud. Aujourd’hui, du point de vue des dirigeants saoudiens, l’alliance consiste à recevoir le soutien politique, militaire et diplomatique dans une guerre régionale qui oppose les saoudo-wahhabites à l’Iran et ses alliés, la Syrie et le Hezbollah.
Donald Trump a pour l’occasion donné un discours à Riyad (le 21 mai 2017) devant les représentants d’une cinquantaine de pays musulmans. Un discours très agressif vis-à-vis de l’Iran et du Hezbollah qui annonce la relance de la guerre au Proche-Orient :
« En attendant que le régime iranien montre sa volonté d’être un partenaire dans la paix, toutes les nations dotées d’un sens des responsabilités doivent travailler ensemble pour l’isoler. »
Se lançant dans une grossière inversion accusatoire, digne de Benjamin Netanyahou, il ose affirmer à partir de l’Arabie saoudite, qui est le centre historique du terrorisme international, que l’Iran est : « Le fer de lance du terrorisme mondial » et le « vecteur d’instabilité dans la région ».
S’alignant sur les propos du roi bédouin Salman qui, en mettant sur le même plan le Hezbollah et les Houthis du Yémen – qui résistent à l’oppression israélienne et saoudienne – et les groupes terroristes dont sa tribu a toujours apporté son soutien, explique que l’Iran soutiendrait pêle-mêle toutes ces organisations :
« Le régime iranien soutien les groupes et les mouvements terroristes comme le Hezbollah, les Houthis, ainsi que Daech, Al-Qaïda et d’autres. »
Le secrétaire d’État américain, Rex Tillerson, a, quant à lui, demandé au président iranien de « démanteler son réseau de terrorisme ». Et son homologue saoudien, Adel al-Jubeir, avait accusé l’Iran d’avoir créé « la plus grande organisation terroriste au monde », à savoir le Hezbollah.
Israël derrière la nouvelle stratégie américaine et saoudienne
Comme je l’expliquais dans un article du 11 mars 2017 [8], ce n’est que pour complaire à Israël que Donald Trump a adopté une position stratégiquement incohérente dès sa campagne présidentielle. Une position consistant à tendre la main à la Russie tout en attaquant de façon virulente son allié iranien. Si du point de vue américain cette position est incohérente, vue d’Israël, elle en parfaite cohérence avec ses visées géopolitiques.
C’est d’ailleurs devant le lobby pro-israélien, l’AIPAC, le 21 mars 2016 que Donald Trump avait tenu les propos les plus agressifs envers l’Iran et qu’il avait promis de jeter à la poubelle l’accord sur le nucléaire iranien [9]. Il avait déclaré notamment que :
« L’Iran est un très gros problème et continuera de l’être... L’Iran est un problème en Irak, un problème en Syrie, un problème au Liban, un problème au Yémen et sera un très très gros problème pour l’Arabie saoudite. Tous les jours l’Iran pourvoie toujours plus et de meilleures armes pour soutenir ses États marionnettes. Le Hezbollah, le Liban reçoit des missiles anti-navires et antiaériens et des systèmes GPS ainsi que des roquettes... Maintenant en Syrie ils essayent d’établir un nouveau front contre Israël à partir de la partie syrienne des hauteurs du Golan. »
C’est donc dans la continuité de ces propos tenus devant le lobby pro-israélien que Donald Trump, lors de sa visite en Arabie saoudite, fit la proposition d’isoler l’Iran en désignant, comme second ennemi, le Hezbollah. Mais qu’on ne s’y méprenne pas, ce n’est pas du cerveau de Trump que sort cette stratégie anti-iranienne, et ce n’est pas non plus au seul profit de l’Arabie saoudite. C’est, comme nous allons le voir, un plan israélien qui remonte à loin et qui a été récemment actualisé par l’État hébreu. Donald Trump n’est que le porte-voix des intérêts israéliens.
En effet, jusqu’en 1993, les États-Unis n’étaient pas partisans d’une politique agressive envers l’Iran. C’est principalement sous l’influence de l’État hébreu que les Américains ont pris ce tournant anti-iranien. Au début de l’année 1993, alors que Bill Clinton arrive au pouvoir, le Premier ministre israélien Yitzhak Rabin et son ministre des Affaires étrangères Shimon Pérès commencent à défendre l’idée que l’Iran constitue une menace pour Israël et les États-Unis. À la mi-mars 1993, le Washington Post rapportait ceci :
« Quelle que soit leur sensibilité politique, les responsables israéliens estiment qu’il est nécessaire de convaincre l’opinion et les dirigeants américains de l’urgence de mesures visant à contenir l’Iran, et que les États-Unis sont la seule puissance mondiale capable de prendre de telles mesures » [10].
Les États-Unis se plièrent aux exigences israéliennes en pratiquant une politique d’endiguement (contention) de l’Iran en cernant militairement le pays par des bases militaires, tout comme ils le font tout autour de la Russie ; Robert Pelletreau, qui était secrétaire d’État adjoint en charge du Proche-Orient, déclara que cette politique était pour l’essentiel la copie conforme d’une proposition israélienne [11].
Cette politique, une fois mise en place, fut très critiquée pour plusieurs raisons ; une d’entre elles est que ces exigences israéliennes poussaient les États-Unis à adopter une politique d’hostilité à l’encontre de deux pays déjà antagonistes : l’Iran et l’Irak, ce qui d’un point de vue stratégique est contre-productif [12], mais très utile à la stratégie israélienne sur le long terme. Au sein de l’appareil d’État américain, des voix s’élevèrent en conséquence en faveur d’un dialogue avec l’Iran [13].
Ephraim Sneh, l’un des faucons israéliens, s’est exprimé à ce propos sans ambigüité :
« Nous étions contre le dialogue Iran-États-Unis parce que l’intérêt des États-Unis ne coïncidait pas avec le nôtre. » [14]
Et ce dialogue fut amorcé par Barack Obama lorsque la présidence Rohani débuta en 2012, pour prendre fin avec Trump qui est strictement aligné sur la stratégie israélienne.
Mais depuis l’intervention russe en Syrie à partir d’octobre 2015, la donne a changé, et les Israéliens doivent composer leur stratégie en prenant en compte le très encombrant ours russe qui empêche, de facto, l’accomplissement du Grand Israël en soutenant les verrous (l’Iran, la Syrie et le Hezbollah) qui empêchent l’expansion de l’État juif.
C’est ce qui a contraint le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, à se rendre à Moscou le 9 mars 2017 pour demander à Vladimir Poutine de chasser l’Iran de la Syrie, dans la continuité de la stratégie israélienne depuis 1993. Pour convaincre le président russe, Netanyahou lui avait raconté une fable...
Les Perses et leurs héritiers iraniens auraient une volonté ancestrale : détruire le peuple juif...
« Il y a 2 500 ans, raconta Netanyahou à Poutine, il y a eu une tentative en Perse de détruire le peuple juif. Cette tentative a été échouée et c’est ce que nous célébrons à travers la fête de Pourim… Voilà qu’aujourd’hui l’Iran, héritier de la Perse, poursuit cette tentative de détruire l’État juif. Ils le disent de la façon la plus claire, ils l’écrivent sur leurs missiles ». Vladimir Poutine rétorqua : « Oui, enfin, c’était au Ve siècle avant notre ère. Aujourd’hui nous vivons dans un monde différent. Alors parlons-en. » [15]
Insatisfait par la fin de non-recevoir sous forme de moquerie du président russe, les Israéliens se sont attelés à actualiser leur stratégie géopolitique.
Avant le départ de Donald Trump en Arabie saoudite et en Israël, les Israéliens ont proposé un nouveau plan pour le Moyen-Orient à Washington. Ce plan a pour but d’écarter l’Iran du dossier syrien. Et c’est précisément les principes de ce plan qu’énoncera Trump lors de son discours à Riyad.
Comme le rapporte le journal Sputnik :
« C’est sous la forme d’un mémorandum sur les principes d’action des deux alliés en Syrie et dans la région qu’Israël voudrait fixer cette nouvelle base de coopération avec les USA. Le premier point du document concerne la reconnaissance par les États-Unis de la souveraineté israélienne sur le plateau du Golan, occupé depuis la guerre des 6 jours de 1967.
Le point suivant fixe le caractère inadmissible d’une présence militaire permanente des Iraniens en Syrie. Ensuite, il est suggéré aux États-Unis de durcir les sanctions contre Téhéran sur le dossier « soutien du terrorisme par l’Iran dans la région ». Ce qui conduit logiquement au quatrième point du mémorandum relatif à l’accroissement de la pression sur le Hezbollah.
Enfin, le volet politique du mémorandum se termine par l’engagement des parties d’empêcher la création d’une ligne continue de présence iranienne sur l’axe Iran-Irak-Syrie-Liban. » [16]
Ce plan israélien sied parfaitement à l’Arabie saoudite, allié des Israéliens, mais il ne sera certainement pas du goût des Russes. Ce dont sont parfaitement conscients les Israéliens. D’ailleurs, le ministre israélien du Renseignement Yisrael Katz, qui s’est rendu à Washington en avril, a déclaré :
« Si les Russes veulent garder Assad, ils devront faire sortir l’Iran de Syrie… Sinon, nous (Israéliens, Américains et Arabes) le feront (chasser l’Iran de Syrie et Assad du poste présidentiel) nous-mêmes. » [17]
De toute évidence, les Russes ne laisseront pas faire sans réagir. On le constate une fois de plus, ce sont les Israéliens qui sont à l’origine du feu de la guerre au Proche-Orient, et si leur plan venait à être mis à exécution par les Américains, la Troisième Guerre mondiale serait à terme inévitable. Une guerre mondiale par et pour Israël.
La prédication terroriste wahhabite au Qatar et en Arabie saoudite
En pleine crise saoudo-qatarie, la Ligue islamique mondiale (créée en 1962 par l’Arabie saoudite) a exclu Yusuf Al-Qaradawi, la grande figure des Frères Musulmans qui est réfugié au Qatar depuis plus de quarante ans, et d’où il donnait des prêches enflammés à la télévision du régime. L’organisation a salué la publication par l’Arabie saoudite, le Bahreïn, l’Égypte et les Émirats d’une liste de terroristes dans laquelle figure Yusuf Al-Qaradawi [18].
Yusuf Al-Qaradawi, avec qui travaille Tariq Ramadan [19], a activement soutenu les terroristes de Libye et de Syrie ; il a, sur Al-Jazeera, le 21 février 2011, émis une fatwa (un avis juridique) appelant au meurtre de Mouammar Kadhafi [20].
Toujours sur Al-Jazeera, en décembre 2012, il lança un appel au meurtre de masse en Syrie [21] en ces termes :
« Ceux qui agissent avec le pouvoir, il nous est obligatoire de tous les tuer : militaires, civils, oulémas, ignorants… ceux qui sont du côté de ce pouvoir (syrien) injuste. » [22]
Mais l’Arabie saoudite a l’air d’oublier qu’elle a aussi son Qaradawi national… Dans une version plus virulente et caricaturale. Il s’agit de Adnan Arour, guide spirituel de ladite rébellion syrienne ; un « savant » wahhabite d’origine syrienne vivant dans le royaume saoudien. En 2011, lors d’une émission de télévision sur une chaîne saoudienne, Adnan Arour a menacé tous les musulmans de Syrie, qu’ils soient sunnites ou chiites (de même que les alaouites, les ismaéliens, etc…) qui se sont opposés aux terroristes, de les « faire hacher afin de les donner comme nourriture aux chiens » [23].
Adnan Arour et Yusuf Al-Qaradawi se situent dans la droite ligne du père fondateur de l’idéologie des régimes saoudien et qatari, Mohamed Ibn Abd alWahhab (1703-1792), qui a motivé les massacres (auxquels il participa) commis par les troupes de la tribu des Saoud à partir du XVIIIe siècle et ce jusqu’à l’instauration du dernier royaume saoudite en 1932 [24] – doctrine et massacres qui ont servi de modèle, entre autres, à l’Armée Syrienne Libre (Frères Musulmans), al-Nosra (al-Qaïda) et Daech.
Nous avons, dans une des lettres écrites par Mohamed Ibn Abd al-Wahhab en 1740, la synthèse de la doctrine ex-communicatrice (le takfirisme) et guerrière sur laquelle sont calqués les discours des prédicateurs du terrorisme actuel :
« La croyance dominante en la sainteté (il fait allusion aux saints que des musulmans vénéraient) et en des choses semblables est de l’associationnisme. Si vous en êtes convaincus, vous devez savoir aussi que ceux qui disent que nous ferions mieux de cesser d’accuser les gens d’impiété et de leur faire la guerre se trompent. » [25]
Le Qatar a échoué à accomplir sa mission
Ce qui a aussi largement affaibli le Qatar, c’est l’échec de la guerre en Syrie qui devait faire tomber Assad dès 2011 ; projet auquel les Russes ont mis un coup d’arrêt, ainsi qu’à la progression des groupes terroristes. La géopolitique proche-orientale est pour beaucoup dans la disgrâce dans laquelle sombre le Qatar et par suite les Frères Musulmans qui vont en pâtir.
Les Saoudiens vont donc essayer de faire changer le régime au Qatar pour en faire un vassal et se débarrasser de ce dangereux voisin avant l’arrivée d’une nouvelle administration aux États-Unis.
Mais tout le monde ne l’entend pas de la même oreille. La Turquie en particulier – l’on comprend parfaitement le sentiment de solidarité d’Erdogan à l’égard du petit émirat [26], puisqu’il a été, avec le Qatar, un des principaux soutiens des Frères Musulmans dans la destruction de la Syrie – et le Pakistan, qui envoient au Qatar respectivement 5 000 et 20 000 hommes [27] pour protéger le régime d’une éventuelle agression. Depuis, un certain nombre de pays musulmans (le Maroc, Oman, le Koweït) ont soutenu le Qatar, refusant l’injonction des Saoudiens qui sont contraint de relâcher quelque peu la pression.
Le Qatar retourné par les Iraniens ?
Une des hypothèses avancées qui expliquerait la crise actuelle serait la coordination en Syrie des actions du Qatar avec l’Iran.
Selon le journal russe Sputnik « des sources diplomatiques qataries rapportent que le Qatar tente de mettre au point une coordination avec l’Iran en Syrie, ce qui expliquerait en partie la crise dans les relations entre Doha, d’une part, et Riyad et ses alliés de l’autre. En ce sens, la publication des propos positifs de l’émir Tamim ben Hamad al-Thani concernant Téhéran sur le site de l’agence de presse qatarie, prétendument suite à un piratage, pourraient ne pas relever du hasard. Des sources diplomatiques russes estiment que l’aspiration du Qatar à établir une coopération avec l’Iran, y compris sur la situation en Syrie, le distingue des autres monarchies du Golfe. » [28]
Une autre source a déclaré « qu’il s’agit de réduire la tension entre les groupes armés et supervisés par Doha et les militaires et volontaires iraniens » [29].
L’analyse du politologue russe Stanislav Tarassov va dans le même sens :
« On observe à présent en Syrie une stabilisation relative de la situation en faveur des forces gouvernementales et de Damas, qui est soutenu y compris par l’Iran. Au Yémen, les combats se poursuivent et les insurgés, qui bénéficient des sympathies de l’Iran, luttent contre la coalition arabe conduite par l’Arabie saoudite, et Doha est depuis longtemps soupçonné dans le Golfe de lorgner du côté de l’Iran... Et l’Iran déclare pour sa part que ce règlement ne peut être qu’inter-syrien et que les pays occidentaux, les États arabes et la Russie ne doivent être que des observateurs et dans une certaine mesure des garants. » [30]
C’est le renversement complet du rapport de forces dans la guerre opposant la Syrie aux groupes terroristes, depuis l’intervention russe, qui a de toute évidence contraint le Qatar à amorcer une coopération avec l’Iran sur le terrain, le tout supervisé par les Russes.
D’ailleurs, le 10 juin dernier, le ministre qatari des Affaires étrangères Mohammed ben Abderrahmane Al Thani, s’est rendu à Moscou pour rencontrer son homologue russe, Sergueï Lavrov [31], probablement pour y trouver une forme de soutien.
Les Iraniens sont en train de retourner en leur faveur l’ennemi qatari qui est aux abois et acculé, comme Vladimir Poutine a retourné Erdogan alors qu’il se retrouvait isolé après s’être aliéné son allié américain [32], comme le Qatar s’est mis à dos son frère rival saoudien. Pour survivre, le régime qatari n’a pas d’autre choix que de chercher un soutien auprès de ceux qu’il combat par proxy en Syrie : la plus grande puissance régionale, l’Iran, et la plus importance puissance militaire d’Eurasie, la Russie.
Les liens qu’entretiennent le Qatar et l’Iran ne sont qu’un prétexte utilisé (tout comme celui du terrorisme) par l’Arabie saoudite, car le Sultanat d’Oman, par exemple, a des liens bien plus forts avec l’Iran que n’en a le Qatar.
Contrairement à ce qu’affirment nombre d’analystes, les liens économiques qui existent entre l’Iran et le Qatar (ils exploitent ensemble un champ gazier), s’ils ont leur importance et qu’ils ont pu peser sur la balance, ne constituent absolument pas la cause première de cette évolution du Qatar ; la cause première est le rapport de forces militaire sur le terrain en Syrie.
C’est un des effets de ce que j’ai appelé dans un article du 10 mars 2017 [33] : le basculement de la géopolitique mondiale, dont la Grande Syrie (le Sham) est le pivot et le révélateur.