Le 13 septembre 2014, vers 19h00, rue de Charonne à Paris, au sortir d’une conférence qu’il donnait au Théâtre de la Main d’Or pour la promotion de son nouveau livre, Kemi Seba était arrêté avec une mise en scène digne de l’assassinat de Jacques Mesrine.
La nouvelle se répandait rapidement parmi ses amis, camarades et sympathisants. Dès l’annonce de la nouvelle, des militants qui tentaient de se mobiliser pour se rapprocher de lui étaient délibérément égarés et renvoyés par les autorités. On a su par l’AFP qu’on lui avait notifié un jugement du juge d’application des peines de Versailles datant du 10 octobre 2011, révoquant (pour cause de retour en Afrique, à Dakar) le sursis avec mise à l’épreuve dont avait été assortie la condamnation à deux mois d’emprisonnement prononcée contre lui le 29 octobre 2009 par la cour d’appel de Paris (on l’accusait d’avoir molesté un journaliste-activiste). On a su qu’il avait été incarcéré à Fleury-Mérogis, sous le régime de l’isolement. On a appris la curieuse valse des avocates. Mais depuis, c’est le silence, et le désordre dans l’organisation de la mobilisation des sympathisants (en réalité, l’immobilisme, qui semble savamment entretenu). On est contraint à des conjectures pour tenter de reconstituer ce qui s’est passé, et surtout de commencer à tenter d’analyser pourquoi cela s’est passé.
En principe la révocation du sursis n’entraîne pas forcément l’incarcération. L’aménagement de la peine ferme peut encore être organisé. L’incarcération suppose une décision spéciale et motivée. Il semble donc que cela ait été le cas ici, mais l’on n’en connaît pas le motif. Quoi qu’il en soit, une incarcération pour deux mois, c’est une pratique qui se situe d’emblée en dehors du droit commun. D’autant plus sous un ministre (Christiane Taubira) qui milite en faveur d’une politique moins carcérale. De toutes manières, le Code pénal est clair : « en matière correctionnelle une peine d’emprisonnement sans sursis ne peut être prononcée qu’en dernier recours si la gravité de l’infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine nécessaire et si toute autre sanction est manifestement inadéquate » (art. 132-24 CP) ; et même en cas d’emprisonnement ferme il doit y avoir aménagement.
En outre, depuis cette décision de 2011 Kemi Seba était déjà revenu en France en 2012 et 2013, sans qu’il y eût ni notification ni incarcération. Le pouvoir en place a donc soudain décidé de rompre avec une tolérance au moment où celui-ci lançait la promotion de son nouveau livre. Enfin, même une fois incarcéré, Kemi Seba, s’il était traité comme un délinquant de droit commun, devrait faire l’objet d’une mesure d’aménagement qui lui permettrait de recouvrer sa liberté.
Quant au placement à l’isolement, c’est le fameux régime du QHS (quartier de haute sécurité), contre lequel la gauche s’est tellement élevée dans les années 70. Normalement cela résulte d’une décision qui doit être motivée, en indiquant les risques encourus et qui il s’agit de protéger. Évidemment, rien n’a transpiré sur les motifs pris. C’est un régime qui signifie la solitude en cellule et l’absence de promenade en commun comme de toute autre activité collective. Mais normalement Kemi Seba devrait avoir droit à des visites et à une correspondance. Il devrait pouvoir téléphoner. Actuellement ce n’est pas le cas (demander une permis de visite pour un parloir : 01 69 72 31 88 ; écrire : Monsieur Stellio Capo Chichi, Écrou 414 848, 7 avenue des Peupliers 91700 Fleury-Mérogis).
Bref, tout cela est parfaitement anormal. Cela fait près d’un an que Manuel Valls et François Hollande ont annoncé la répression qui se déroule depuis à l’encontre des artistes, intellectuels et chercheurs d’une mouvance que l’on désignera, c’est selon, comme dissidente ou résistante. Deux noms, surtout, avaient été prononcés : Soral et Dieudonné. Cette répression est protéiforme. Elle passe avant tout par les médias, bien entendu. Par des circulaires, par des lois, par des décrets, bref, par des ordres. Elle passe aussi par la révocation de certains agents, militaires ou fonctionnaires, et par de nouvelles nominations, à tous les échelons du commandement. Ceci afin que la menace soit entendue de tous.
Ce qui est absolument notable, c’est que le pouvoir en place cherche encore, à ce stade, à se couvrir derrière la légalité. Mais c’est une légalité distordue, ou violée de manière manifeste. L’Affaire Dieudonné en est un exemple. Il en est d’autres, trop nombreux pour tous les évoquer. Anne-Sophie Leclerc est condamné à de la prison ferme pour une simple blague. Farida Belghoul fait l’objet d’une poursuite disciplinaire. Le pouvoir en place avance à tâtons. Testant ses limites, avançant un pion, ici ou là, grignotant du terrain.
Le cas Kemi Seba est peut-être l’amorce d’une phase plus dure. Or, le signal qui est actuellement envoyé au pouvoir, l’absence de mobilisation de l’opinion, le silence des sympathisants, est extrêmement dangereux. Il sera compris comme la possibilité d’arrêter et d’emprisonner les opposants sans que les populations ne réagissent. Comme si entre la petite délinquance (tout flambe en banlieue pour le moindre petit voyou qui meurt par accident) et l’engagement « islamiste », la bonne voie, la seule dont le pouvoir a peur, peinait à se frayer un chemin. Car la répression actuelle est le signe de ce qu’un courant de pensée accède actuellement au niveau politique. Reste à savoir si cette métamorphose s’accompagnera d’une réelle prise de conscience politique.